09/09/2011
Une vue du centre des affaires à Kinshasa.
Photo d’archives
A moins de trois mois des élections présidentielles et législatives, la capitale congolaise a vécu des scènes dignes de «guérilla urbaine» et de «terrorisme d’Etat»: la vandalisation d’un immeuble du parti présidentiel par des "combattants" de l’UDPS a été suivie par l’incendie du siège de cette formation ainsi que de la chaîne "RLTV" (Radio Lisanga TV) par des individus identifiés comme des membres de la police nationale et de la garde présidentielle. Et si la confusion entretenue entre l’appareil d’Etat et le parti présidentiel PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie) était l’épicentre du climat de «pré-guerre civile» qui règne à Kinshasa?
Analyse
Un calme tendu règne dans la capitale congolaise après les affrontements aux conséquences imprévisibles entre des «combattants» de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et des éléments de la police anti-émeutes épaulés par des membres de la «Ligue des jeunes» du PPRD. Une milice dont les membres sont armés pour le moment d’armes blanches et des machettes. Demain, des Kalachnikovs? Les deux camps désormais antagonistes sont sur le pied de "guerre". Les événements du 5 et 6 septembre sont au centre de toutes les conversations.
«Instrumentalisation des jeunes»
Dans un communiqué daté du 6 septembre, le ministre de l’Intérieur et de la sécurité, le PPRD Adolphe Lumanu Mulenda Bwana N’sefu, donne sa grille de lecture. Selon lui, «il s’observe depuis un certain temps une tendance (…) à une instrumentalisation de la jeunesse, appelée déjà maintenant, à contester les résultats des élections (…)» à venir. Et d’ajouter : «Dans cette stratégie préparatoire à une insurrection souhaitée par certains politiciens, la CENI est devenue le bouc émissaire de prédilection. En lieu et place des stratégies électorales, l’on assiste plutôt chaque jour à des manifestations de rue non encadrées par les organisateurs débouchant régulièrement sur des actes de vandalisme.» «Pour toutes ces raisons, poursuit Lumanu, sur instruction du président de la République, le Premier ministre, (…), Adolphe Muzito a réuni autour de lui quelques membres du gouvernement dont le vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur et Sécurité, le ministre de la Justice et Droits humains, le ministre en charge des Relations avec le Parlement, le gouverneur de la ville-province de Kinshasa et les responsables des services de sécurité pour faire le point de la situation prévalant dans le pays et, notamment dans la ville de Kinshasa.» Les participants à cette réunion ont noté «que les actes posés par ces différents manifestants sont constitutifs d’infractions de pillages, de destructions méchantes, de coups et blessures volontaires et autres.» Par conséquent, «le gouvernement condamne avec la plus grande fermeté ces actes inciviques» et «tous les délinquants appréhendés et leurs commanditaires seront jugés et sanctionnés conformément à la Loi», note par ailleurs le communiqué.
Le ministre Lumanu parle d’«instrumentralisation de la jeunesse» par certains partis. Il laisse sous silence la présence, le 1er et le 5 septembre, des fameux «Pomba» - ces karatéras et autres judokas désoeuvrés - aux côtés des éléments de la police anti-émeutes. Il est surprenant de lire dans le communiqué précité que «le gouvernement (…) salue le professionnalisme de la police nationale (…)». S’agissant des policiers réputés pour leur manque de sang-froid autant que pour leur tendance à tirer sur tout ce qui bouge, n’est-ce une injure pour les victimes? Peut-on franchement parler de "professionnalisme" de la part des policiers qui se comportent en minables tueurs dénués de tout respect pour la vie et la dignité de la personne humaine ? Devrait-on s’esclaffer ou en pleurer en lisant dans le même communiqué que «sous l’impulsion du président de la République, (…), le gouvernement rassure la population qu’il ne ménagera aucun effort pour garantir la sécurité des biens et des personnes et préserver la paix chèrement acquise ainsi que la cohésion nationale»? Ce fameux président de la République et son gouvernement peuvent-ils ignorer que ce sont des «hommes en uniformes» qui ont été aperçus tant au siège de l’UDPS qu’aux studios de la RLTV en feu? Où est passé l’Etat, le garant de l’intérêt général? Pourquoi aucune information judiciaire n’a été diligentée jusqu’ici par les autorités judiciaires?
"Périmètre inviolable"
Mercredi 7 septembre, la direction de l’UDPS a organisé une réunion avec toutes les «structures de base». Un "deuil" sera observé pour le "camarade" qui a péri. Pour le moment, toutes les activités sont suspendues jusqu’à l’enterrement du «combattant» Junior Folo Ngamake, fixé à samedi 10 septembre. Au cours de cette réunion, le parti cher à Etienne Tshisekedi wa Mulumba a pris une grave décision. «Nous avons décrété que le périmètre compris entre la résidence du président de l’UDPS et la permanence du parti est inviolable, explique le secrétaire général de l’UDPS, Jacquemain Shabani Lukoo, joint au téléphone jeudi matin à Kinshasa. Nous ne voulons plus y voir des personnes en armes.» Pour Shabani, cette décision constitue une réponse à l’incapacité de l’Etat à assurer une égale protection à toute la population au-delà des clivages idéologiques ou philosophiques. «La police dont la mission est de sécuriser la population a agressé les personnes et les biens appartenant à notre parti, fait remarquer Shabani. Nous allons désormais prendre en mains notre sécurité.»
Les pouvoirs publics sont donc accusés de partialité. Une partialité qui ne peut que "disqualifier" les gouvernants actuels. On ne dira jamais assez que pour être légitime, l’Etat en tant que pouvoir politique doit servir l’intérêt général et non l’intérêt d’un individu ou d’un groupe d’individus. Il règne une confusion digne d’un parti-Etat entre le système de gouvernement qui dirige la RD Congo et le parti dominant, le PPRD.
Dans un communiqué publié le même mercredi 7 septembre, le gouverneur de la ville de Kinshasa, André Kimbuta Yango, qui est par ailleurs le président de l’Interfédérale du PPRD pour la capitale, «a interdit toute manifestation à caractère politique sur la voie publique jusqu’au dimanche 11 septembre 2011». Motif invoqué : Permettre un déroulement normal des opérations de dépôt des candidatures. Pourquoi pas? «L’ukase prise par {le gouverneur} Kimbuta ne nous concerne nullement dans la mesure où celui-ci est également le président de l’Interfédérale du PPRD qui est occupé à mettre en place une milice», martèle Shabani qui conclut : «Notre parti a été créé pour la promotion de la démocratie au Congo-Kinshasa. Il ira jusqu’au bout pour la réalisation de cet objectif.»
La décision prise par le gouverneur Kimbuta paraît discutable. S’il est vrai que la liberté n’est pas un droit absolu, il n’en demeure pas moins vrai que toute décision d’une autorité administrative doit se conformer au droit. C’est le principe de la légalité. L’article 26 de la Constitution promulguée en février 2006 édicte dans son premier alinéa que «la liberté de manifestation est garantie». «Toute manifestation sur les voies publiques ou en plein air, impose aux organisateurs d’informer par écrit l’autorité administrative compétente», dispose le deuxième alinéa. Question : Quel est la base juridique sur laquelle s’est fondé le premier magistrat de la ville de Kinshasa pour restreindre cette liberté constitutionnelle? «La liberté de manifester doit s’exercer conformément aux lois et au respect de l’ordre public, commente un constitutionnaliste. Il reste que le communiqué publié par le gouverneur pose problème. La population a le droit de manifester. Le rôle de l’autorité est justement d’encadrer les manifestants.»
Les réactions
Les affrontements entre les militants de l’UDPS et la police nationale sont au centre de toutes les conversations dans les milieux congolais. A l’intérieur et à l’extérieur du pays. Au cours d’un point de presse tenu mercredi, l’archevêque de Kinshasa, Laurent Monsengwo Pasinya, a dit la «préoccupation» de l’Eglise catholique face à des «événements susceptibles de perturber la paix sociale et le processus électoral». Il a invité le personnel politique «à éviter les provocations et à faire preuve de calme et de retenue». Le cardinal a conclu son adresse en «condamnant» en termes vagues les «récents incidents» qui sont de nature à «provoquer l’escalade de la violence dans le pays» et à «détourner l’attention des citoyens des vrais problèmes qui attendent des solutions rapide».
Dans un communiqué daté du 7 septembre, l’association de défense des droits humains «Asadho» s’est dite «vivement préoccupée par le climat d’intolérance politique entretenu par certains partis politiques à la veille des élections présidentielle et législatives du mois de novembre prochain.» Après avoir rappelé l’attaque respectivement de la permanence de l’interfédérale provinciale du PPRD, de la permanence de l’UDPS et du siège de la chaîne «RLTV», l’association explique les circonstances du décès du militant de l’UDPS. «Le mardi 6 septembre 2011 à 8h00 du matin, indique le communiqué, un groupe de policiers armés s’est rendu à la permanence de l’UDPS qui avait été l’objet de saccage et voulaient y pénétrer sans accord des membres de ce parti. Devant la résistance des militants, les policiers ont tiré des balles réelles qui ont occasionné la mort de Monsieur Junior Folo Ngamake et des blessures graves sur Messieurs Okoka Tshombe (au niveau du bassin) et Tonton Belamangi (au niveau de deux cuisses).» A en croire l’Asadho, les deux victimes seraient aux soins intensifs à la clinique Bondeko. L’association de déplorer le décalage existant entre le discours public «appelant à l’organisation des élections transparentes, libres et apaisées», et les agissements de «certains partis politiques» qui «recourent toujours à la violence pour faire taire les adversaires ou régler les divergences politiques».
A Paris, le Quai d’Orsay s’est fendu mercredi 7 septembre d’un communiqué dont le contenu est assimilable aux larmes de crocodile. Le ministre français des Affaires étranges dit «condamner toute forme de violence dans le cadre de la campagne électorale» en RD Congo tout en souhaitant «un dialogue renforcé entre les différents partis politiques.» «Elle {la France} appelle l’ensemble des acteurs à préparer les échéances électorales dans un climat apaisé, autour de l’objectif commun de scrutins libres et crédibles attendus des citoyens congolais. (…).» Sans vouloir éluder la part de responsabilité incombant aux Congolais, l’Union européenne en général et la France de Nicolas Sarkozy en particulier doit assumer la sienne. Ce sont des experts français qui ont assuré et continuent à assurer la «formation» des policiers congolais. Une formation manifestement bâclée au vu des résultats sur le terrain.
Le 24 mars dernier, le ministre congolais de l’Intérieur et de la sécurité et l’ambassadeur de France à Kinshasa signaient une convention d’un import de deux millions d’euros soit 2,7 millions de dollars américains. Objet : formation de deux bataillons d’une unité spéciale de la Police nationale congolaise. Et ce, en prévision des élections. Une attitude pour le moins étrange de la part du «pays des droits de l’Homme» quand on sait que le défenseur des droits humains Floribert Chebeya Bahizire n’a pas été revu en vie après un rendez-vous avec l’Inspecteur divisionnaire en chef de la police nationale congolaise, John Numbi Banza Tambo. C’était le 1er juin 2010 au Quartier général de la police. Le corps de son compagnon d’infortune, Fidèle Bazana Edadi, n’a pas été retrouvé. Lors de la signature de cet accord, le diplomate français déclarait que «l’objectif est de donner les moyens au gouvernement congolais de pouvoir assurer une parfaite sécurité au processus électoral, si jamais il y avait débordement de nature à mettre en péril le processus démocratique».
L’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique, James Entwistle, a, pour sa part, invité, mardi, «les acteurs politiques congolais à s’engager dans un dialogue pacifique et à dénoncer les violences». «Je note avec inquiétude les violences avec perte en vies humaines qui ont eu lieu dans la nuit de lundi et mardi matin entre l’UDPS et le PPRD», a-t-il souligné en estimant que «les élections crédibles ne peuvent se dérouler que dans le calme, la tolérance et à la stabilité.»
"Rien ne va dans ce pays"
Joint au téléphone jeudi à Kinshasa, un analyste politique, qui a requis l’anonymat, a eu ces mots lourds de signification : «Cher confrère, vous avez quitté le pays depuis longtemps. Vous ne pouvez appréhender les réalités que nous vivons. Rien ne va dans ce pays. La population souffre. Elle vit dans un dénuement total : manque d’eau et d’électricité ; manque de revenus pour avoir des soins de santé et assurer la scolarité des enfants; absence de transport en commun pour assurer la mobilité etc. Joseph Kabila est très impopulaire. La population ne veut plus de lui à la tête du pays.»
Et de poursuivre : «L’actuel chef de l’Etat est un homme usé avant l’âge par dix années passé à la tête de l’Etat. Il va rarement à son bureau. Il passe le clair de son temps dans sa ferme. Le Congo se meurt. L’Etat n’existe plus. L’arrière-pays n’est plus administré. Là où le bat blesse est que Kabila veut s’accrocher au pouvoir. Il a avec lui l’armée, la police, les services de sécurité et le soutien du Rwanda, de l’Ouganda et de la tanzanie. La population est mobilisée. Je ne voudrais pas être un oiseau de mauvaise augure. Il me semble que toutes les conditions sont réunies pour une guerre civile dans la capitale : la grande majorité de la population kinoise n’acceptera en aucun cas une «victoire» de Kabila comme en 2006.»
Baudouin Amba Wetshi
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