Journaliste au Soir
10/09/2011
De tous côtés, on mobilise : la visite à Paris du président rwandais Paul Kagame, les 11 et 12 septembre, suscite un remue-ménage sans précédent. Au sein de l’opinion et de la diaspora rwandaise comme en France même. Au départ cependant, il ne s’agit que d’un acte de réciprocité : le président rwandais, qui a accueilli Nicolas Sarkozy en mars 2010, se rend à son tour à Paris pour sceller le rétablissement des relations diplomatiques et il sera reçu à l’Elysée lundi midi. Cette visite est censée mettre fin à deux décennies d’une « guérilla « diplomatique, médiatique, judiciaire. Cependant, sur fond de génocide et d’accusations réciproques, toutes les blessures demeurent à vif.
Kigali en effet accuse les militaires français d’avoir été complices du génocide en fournissant des armes et des entraînements aux miliciens hutus, puis d’avoir couvert leur fuite lors de l’opération « Turquoise ». Publié en 2008, le rapport de la Commission d’enquête rwandaise cite nommément 13 personnalités politiques et 20 militaires. Les militaires français engagés au Rwanda considèrent ces accusations comme une « insulte », le socialiste Paul Quilés parle d’une « ignominie », le président du Sénat Paul Larcher invoque un agenda électoral chargé pour ne pas recevoir le président rwandais tandis qu’Alain Juppé, qui était déjà aux Affaires étrangères en 1994, se trouve fort opportunément en voyage en Nouvelle-Zélande. Quant à l’ambassadeur de France à Kigali, Laurent Contini, jugé trop favorable à la réconciliation, il vient d’être limogé.
Du côté rwandais, le ressentiment est aussi vif : il se fonde sur le fait que de nombreux dignitaires de l’ancien régime (dont la veuve du président Habyarimana) ainsi que des personnalités impliquées dans le génocide furent accueillis en France et que Paris fut longtemps l’épicentre d’une intense campagne de dénigrement dont le point culminant fut la délivrance, par le juge Bruguière, de mandats d’arrêt contre neuf personnalités rwandaises proches du président Kagame, accusées d’avoir abattu l’avion du président Habyarimana !
A l’heure actuelle, cette enquête ayant été reprise par un nouveau juge d’instruction, Marc Trevidic, bien des charges se sont effondrées, les témoins clés de Bruguière se sont rétractés, les liens entre les enquêteurs et les services français ont été démontrés ! Cependant les charges n’ont pas été retirées, et les mandats d’arrêt internationaux ont été réactivés par le juge espagnol Fernando Meirelles, inspiré par l’acte d’accusation de Bruguière. En outre, le rôle de l’armée rwandaise au Congo a été dénoncé par le « mapping report » de l’ONU, - documenté par la France – évoquant des massacres de réfugiés hutus et de civils congolais.
Dénonçant le régime Kagame comme autoritaire et répressif, des milliers d’opposants rwandais, appuyés par des groupes de Congolais, se préparent à manifester après avoir vainement tenté de faire annuler la visite…
Malgré ces écueils, c’est un nouveau Rwanda, fier de son développement économique, que son président veut présenter aux Français et à ses compatriotes de la diaspora. La rencontre avec Sarkozy aura été précédée d’un petit-déjeuner au Medef, où des opérateurs économiques rwandais rencontreront le patronat français. La première journée du séjour devrait être consacrée à un dialogue avec la communauté rwandaise, dont on attend plus de 3000 représentants, venus de France, de Belgique, mais aussi de Suisse, de Norvège.
Kagame leur répétera ce qu’il déclara déjà à Bruxelles voici quelques mois : « Venez et voyez », revenez au pays et jugez par vous-mêmes… « Cette visite est un pas vers la normalisation », assure Louise Mushikwabno, la ministre rwandaise des Affaire étrangères. Des surprises ne sont cependant pas à exclure au cas où le président rwandais serait accompagné de personnalités qui font toujours l’objet d’un mandat d’arrêt international. Plusieurs associations, dont Survie, demandent aussi que cette visite ne soit pas marquée par une sorte d’« amnistie réciproque », où la fin des enquêtes sur l’implication de la France aux côtés des génocidaires serait échangée contre l’abandon des poursuites contre des militaires rwandais accusés de crimes au Congo.
Pourquoi les deux parties ont-elles cependant tout intérêt à ce que cette visite se traduise par un succès ?
Du côté français, le président Sarkozy souhaite que la France reprenne enfin pied dans l’Afrique des Grands Lacs et du côté rwandais, c’est le réalisme qui prévaut : Kigali souhaite notamment séduire les investisseurs, et obtenir le soutien de la France dans sa participation à des opérations de paix sous la bannière de l’ONU.
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