20/04/2012
Le nouveau Premier ministre congolais, Augustin Matata Ponyo. |
Personne n’était disposée, jeudi 19 avril 2012, à parier sur les chances de réussite d’Augustin Matata Ponyo à la tête du gouvernement. Des personnes contactées doutaient de la capacité à tenir tête à son "mentor" en menant des réformes volontaristes susceptibles de conduire le Congo démocratique sur le chemin d’un changement qualitatif tant au niveau de la gestion des affaires publiques que des conditions sociales de la population. Pour de nombreux observateurs, le nouveau «Premier» ne serait ni plus ni moins qu’un «pur produit» de la société congolaise. Un "technocrate" qui va profiter de son passage à la Primature pour se faire du "fric", à l’instar de ses prédécesseurs. Procès d’intention?
Il y a plus de soixante-douze heures, les députés originaires de la province de Bandundu «recevaient» Aubin Minaku, le tout nouveau président de l’Assemblée nationale. Par recevoir, il faut entendre «fêter». A pareille occasion, les convives rient à gorge déployée tout en buvant et en mangeant. C’est la belle vie ! Il va sans dire que le nouveau «speaker» est un natif de cette région. Il se raconte à Kinshasa que le champagne a coulé à flots, mercredi 18 avril, dans les milieux des originaires du Maniema. Le nouveau «Premier» est un «enfant du pays». Un natif de la ville de Kindu. Qui oserait jeter la première pierre aux «Bandundois» ainsi qu’aux «Maniémiens» ? Depuis la Deuxième République à ce jour, n’est-il pas devenu coutumier que les originaires d’un coin ou d’une tribu organisent des réjouissances pour «solenniser» la «promotion sociale» d’un des leurs ?
Réactions
Mercredi soir et au cours de la matinée de jeudi 19, la rédaction de Congo Indépendant a joint au téléphone plusieurs observateurs et autres analystes de la politique congolaise. Objectif : recueillir leurs réactions à la suite du choix porté sur la personne d’Augustin Matata Ponyo. «Le Congo n’est pas sorti de l’auberge», réagit un confrère kinois. Selon lui Matata serait tout aussi «corrompu» que la grande majorité des responsables politico-administratifs du pays. «Il a fait des «coups fumants» alors qu’il dirigeait la BCECO avec la complicité de certains hauts fonctionnaires de la Banque mondiale», confie un homme d’affaires. «C’est un homme taciturne mais imbu de sa personne», estime? pour sa part, un fonctionnaire du ministère congolais des Finances. «Il n’a pas la carrure pour diriger un gouvernement. D’ailleurs, vous allez voir qu’il va obéir à Joseph Kabila au doigt et à l’œil», tranche, sur un ton cruel, un banquier.
Point de presse
Tout gouvernement digne de ce nom a pour mission d’assurer la direction générale des services publics. A ce titre, il exécute des lois et dispose de ce que les juristes appèlent la «contrainte organisée». En clair, le gouvernement a pour mission de maintenir les conditions essentielles une vie collective apaisée.
Vingt-quatre heures après sa nomination, le tout nouveau «chef» du gouvernement - qui semble maîtriser les règles de la communication - a animé, jeudi 19 avril, son tout premier point de presse. On retiendra pour l’essentiel que la consolidation de la paix sociale, la sécurité de l’Etat, l’amélioration des conditions sociales de la population et l’amélioration de la «gouvernance économique» seront les grands axes de l’équipe en gestation. Aura-t-il les moyens de sa politique?
Une fausse note. Par obséquiosité, Matata a promis de «se battre pour matérialiser la Révolution de la modernité». Il glosait sur un passage contenu dans l’allocution prononcée le 20 décembre dernier par «Joseph Kabila» selon lequel son «projet de société» a pour intitulé «La Révolution de la Modernité». «Ce projet, précisait "Kabila", vise à faire de la République Démocratique du Congo, un pool d’intelligence et de savoir-faire, un vivier de la nouvelle citoyenneté et de la classe moyenne, un grenier agricole, une puissance énergétique et environnementale, une terre de paix et de mieux-être, une puissance régionale au cœur de l’Afrique, l’objectif ultime étant l’émergence de notre pays». Interdiction de rire. Matata qui est tout sauf un analphabète croit-il sérieusement que son président de patron serait capable de réaliser en quatre années et six mois ce qu’il n’a pu faire en une décennie? D’où proviendraient les ressources humaines et financières?
Un Parlement et une Justice aux ordres
Le président de la République, le Parlement, le gouvernement et les Cours et tribunaux constituent les Institutions de la République. Les rédacteurs de la Constitution de la RD Congo promulguée en février 2006 étaient animés par le souci d’une séparation des trois Pouvoirs. Il est connu que toute personne qui détient tous les pouvoirs entre ses mains est enclin d’en abuser. Cinq années après, l’Institution «président de la République» a fini par phagocyter les autres. L’appareil judiciaire est géré au gré des caprices du Prince. On assiste à la restauration d’un pouvoir dictatoriale voire tyrannique : les deux Chambres du Parlement ne sont plus que des «chambres d’enregistrement». Une situation qui va se perpétuer. Mardi 17 avril, le tout nouveau président de l’Assemblée nationale a été reçu par « Joseph Kabila » au Palais de la Nation. Une visite aux allures d’acte d’allégeance. Minaku était accompagné de tous les membres du Bureau. Dans une déclaration à la presse, le numéro un de la Chambre basse de déclarer qu’il était venu «s’imprégner de la pensée, de la vision et du son projet de société» du locataire du Palais de la nation. Et de souligner au passage que l’Assemblée entend travailler «en synergie avec le président de la République, le gouvernement et le pouvoir judiciaire, sans interférence». «Synergie», d’accord ! Que deviendrait dès lors une des missions essentielles du Parlement consistant à contrôler le pouvoir exécutif ? Comment pourrait-on accomplir une telle mission en toute indépendance devant la subordination apparente de l’Assemblée nationale vis-à-vis du chef de l’exécutif ?
Gouvernement parallèle
Vital Kamerhe, alors président de l’Assemblée nationale, avait eu le courage de dénoncer l’existence d’un « gouvernement parallèle » au niveau de la Présidence de la République. Alors Vice-Premier ministre en charge de l’Emploi, François-Joseph Nzanga Mobutu avait fustigé un «gouvernement perpendiculaire» comme pour dire que les préoccupations de celui-ci étaient aux antipodes de celles du gouvernement formel. L’existence de ce fameux gouvernement de l’ombre s’est matérialisé par la décision de «Joseph Kabila» de retirer au Premier ministre d’alors la gestion du compte du Trésor soit la qualité d’ordonnateur des dépenses de l’Etat. Cet ukase a été communiqué à l’intéressé par une banale lettre du directeur du cabinet présidentiel de l’époque, Adolphe Lumanu Mulenda. La correspondance était datée du 28 mai 2009. « (…), j’ai l’honneur de vous informer que sur instruction de la «Haute Hiérarchie», désormais, tout ordonnancement des dépenses publiques devra, avant paiement, requérir l’autorisation préalable de son excellence Monsieur le président de la République. Il en est de même des plans de trésorerie mensuels», écrivait Lumanu. Pour garder son poste et les privilèges qui s’y rattachent, le "Premier" de l’époque, en l’occurrence Adolphe Muzito, préféra courber l’échine.
Tout en étant politiquement «irresponsable», «Joseph Kabila» s’est donc arroger le pouvoir de poser des actes de gestion. Problème : il ne rend compte à personne. Il n’est soumis à aucun contrôle au simple motif que c’est lui qui nomme et révoque les membres du gouvernement. Le Premier ministre, en tête. Et pourtant. Les alinéas 3, 4 et 5 de l’article 91 de la Constitution sont univoques : «Le gouvernement conduit la politique de la Nation. La défense, la sécurité et les affaires étrangères sont des domaines de collaboration entre le président et le gouvernement». «Le gouvernement dispose de l’administration publique, des forces armées, de la police nationale et des services de sécurité». «Le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale (…)».
Matata osera-t-il assumer les prérogations constitutionnelles reconnues au chef du gouvernement?
Un nouvel ordre politique
La signature, en juillet 1999, à Lusaka, de l’Accord de cessez-le-feu entre le gouvernement de LD Kabila les mouvements rebelles (MLC, RCD) marquait l’échec cuisant de la «libération» du 17 mai 1997. Une «libération» qui a raté l’occasion de tenir ses promesses : l’instauration de l’Etat de droit et la promotion de la démocratie. Lors des travaux du Dialogue intercongolais, fin 2002, un seul thème occupait les discussions. A savoir l’avènement d’un "nouvel ordre politique". En fait, la conclusion d’un nouveau «contrat social» entre l’Etat et les citoyens. Un contrat de respect mutuel. La Constitution promulguée en février 2006 portait un réel espoir de renouveau. Un espoir déçu par les atteintes massives aux droits et libertés ainsi qu’au déni de démocratie. Lors des élections du 28 novembre dernier, le président sortant a subi une véritable "sanction électorale". Les citoyens lui ont renvoyé à la face ses «infrastructures». N’eut été les fraudes massives constatées ici et là ainsi que le recours abusif aux forces dites de sécurité, le "sortant" aurait déjà été «dégagé» du sommet de l’Etat. La crise de confiance demeure patente.
Les Premiers ministres Antoine Gizenga et Adolphe Muzito ont gouverné ce pays durant un total de près de cinq années (2007-2012). Les deux personnalités du Palu (Parti lumumbiste unifié) n’ont pas laissé de souvenirs impérissables en termes d’amélioration des conditions sociales de la population. Il y a eu plus de discours que des actes. Force est de constater que les deux anciens «Premiers» n’ont pas fait précéder leur entrée en action par l’organisation d’un diagnostic sous la forme d’un «audit». Un état des lieux dont l’objectif est d’identifier les problèmes majeurs auxquels est confronté le pays. On pourrait citer : pénurie d’eau et d’électricité, insécurité dans les provinces du Kivu et la Province Orientale, pillages des ressources naturelles, injustice sociale, chômage, absence de transport en commun, insécurité juridique et judiciaire, mauvaise qualité des soins de santé. Sans oublier un enseignement au rabais. La liste n’est pas exhaustive. On le sait, le Congo ne produit plus rien. Tous les biens consommés sont fabriqués à l’étranger.
Sans un diagnostic, Matata risque, à l’instar de ses prédécesseurs, de passer à côté des véritables défis qui touchent l’Etat congolais au niveau de l’exercice de ses missions régaliennes (la défense des frontières à l’extérieur et le maintien de la paix civile à l’intérieur). Il en est de même du «quotidien» de la population. Une chose est sûre : le nouveau «Premier» sera jugé sur ses actes et non sur ses paroles. Augustin Matata Ponyo sera-il capable de conduire le Congo sur le chemin de l’éspérance? Rien n’est moins sûr!
Baudouin Amba Wetshi
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