LE MONDE
11.10.2014
Par Frédéric Bobin (New Delhi, correspondant régional)
Kailash Satyarthi, le 10 octobre à New Delhi. / AP Bernat Armangue
La décision du comité d'Oslo d'accorder, vendredi 10 octobre, le prix Nobel de la paix à Kailash Satyarthi, a causé une certaine surprise en Inde où le lauréat – récompensé aux côtés de Malala Yousafzai – ne jouit pas d'une grande notoriété. Agé de 60 ans, Kailash Satyarthi est un militant plutôt discret de la lutte contre le travail des enfants, un fléau qui est encore loin d'avoir disparu en Inde et entache son image de pays émergent candidat au statut de grande puissance.
Né dans l'Etat du Madhya Pradesh (centre de l'Inde), M. Satyarthi est un ingénieur électricien de formation. Il dirige depuis 1980 l'ONG qu'il a fondée, Bachpan Bachao Andolan (« Mouvement pour sauver l'enfance »), mobilisée pour arracher les enfants aux griffes du travail forcé. Familière des raids dans les ateliers ou les chantiers, Bachpan Bachao Andolan a sauvé 82 000 enfants de l'« exploitation », selon les chiffres fournis par l'ONG.
DURCISSEMENT PROGRESSIF DE LA RÉGLEMENTATION
Disciple de Gandhi, M. Satyarthi est également coutumier des marches visant à sensibiliser le public à sa cause. La réalité du travail des enfants a toujours été une source d'embarras pour l'Inde dans les forums internationaux, notamment dans les débats autour de la Convention des Nations-unies sur les droits de l'enfant (1989). New Delhi a ratifié ce document en 1992, mais en l'assortissant d'une « déclaration » affirmant que la fixation d'un âge minimal pour le travail des enfants n'était « pas praticable » au regard des conditions socio-économiques alors en vigueur dans le pays.
De fait, une loi votée en 1986 n'interdisait le travail des enfants de moins de 14 ans que dans les activités dites « dangereuses » (mines, chimie...). Quant aux enfants de 14 à 18 ans, leur emploi demeurait juridiquement sans limite. Petit progrès, un projet de réforme initié il y a deux ans tient désormais pour « illégal » tout travail – quel qu'en soit le secteur – des enfants de moins de 14 ans. Et il proscrit l'emploi de la tranche 14-18 ans dans les activités « dangereuses ».
Le durcissement progressif de la réglementation a permis de faire chuter le nombre des enfants employés (entre 5 et 14 ans). Ce dernier est passé de 12,5 millions en 2001 à 4,9 millions aujourd'hui, selon les chiffres officiels de New Delhi. De l'avis de nombreux chercheurs, ces chiffres sous-évaluent toutefois le phénomène. En effet, 43 millions d'enfants (5-14 ans) ne sont enregistrés ni dans un emploi ni à l'école, ce qui fait d'eux un réservoir de travailleurs potentiels ou déjà bien réels.
Frédéric Bobin
(New Delhi, correspondant régional)
Journaliste au Monde
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