Photo prise à Befale vers 1958 Melle Deketele |
L'un, d'origine congolaise, est né à Kinshasa de parents kasaïen. L'autre, belge, est née dans le fin fond des Ardennes. Tous les deux ont vécu leur enfance, à différents moments, dans la cuvette centrale du Congo.
Tout comme le "petit prince" de Saint-Exupéry demandait à son auteur :
Dessine-moi un mouton ...
le petit garçon congolais demande à sa nouvelle amie :
Raconte Maman, raconte-moi pourquoi tu es venue dans mon pays;
Raconte Maman, raconte-moi comment c'était alors.
Petit frère Batetela, voici mon histoire :
Je suis née fin 1943, dans un petit village de Gaume, en Belgique, non loin de la frontière française.
Après la seconde guerre mondiale, la vie était très dure et difficile dans ces régions.
En 1950, mon père, mécanicien automobiles de profession, décida de partir pour "la Colonie" comme l'on disait à cette époque, dans l'espoir de jours meilleurs.
Nous avons tout quitté : notre pays, notre famille, nos amis et sommes partis pour l'Afrique presque sans regarder derrière nous.
Nous nous sommes installés dans la Province de l'Equateur, plus exactement à Befale, territoire du District de la Tshuapa.
Papa avait été engagé par le Fonds du Bien-Être Indigène (FBEI). Cet organisme avait été créé en 1947 pour une durée de 10 ans.
Befale ! En pleine forêt équatoriale ! Un petit poste perdu au milieu de la jungle. Celle-ci était à quelques mètres de notre habitation. Touffue, dense, impénétrable et mystérieuse.
J'ai fait mon école primaire, en pension, à Basankusu. Je rentrais chez moi, à Befale, tous les trimestres.
Papa ou Maman venait me rendre visite presque tous les mois ; un long voyage de 300 kms aller, en pick-up, sur des routes en latérite, juste un peu plus large que des pistes !
C'était alors une grande joie au pensionnat pour tous les enfants de Befale et de sa région d'avoir des nouvelles, des lettres, des cadeaux, ... de leurs parents et de leurs frères et soeurs, plus jeunes, restés à la maison.
Contrairement aux autres belges qui subissaient de nombreux déplacements dans tout le Congo, nous sommes restés dans notre petit village. Moi, jusqu'en 1957, année de mon retour en Belgique pour les études; mes parents jusqu'en 1958, année au cours de laquelle le "FBEI" remis une partie de ses activités à l'Etat du Congo belge.
Mon père a alors trouvé un emploi à la Cegeac et mes parents sont partis vivre dans le Kasaï, à Lodja. Tout près de chez toi petit frère Batetela !
Mais ce n'était plus pareil. Nos coeurs, les leurs et le mien, étaient restés "chez nous" à Befale, dans "notre" Tshuapa.
Je me souviens du tam-tam que j'entendais résonner le soir et la nuit.
De la vie calme et paisible que nous menions. Mais jamais nous ne nous ennuyions !
Quelques excusions à Boende pour le ravitaillement. Les allées et venues tous les trois mois entre Befale et Basankusu, par la route jusqu'en 1954 (camion, pickup, voiture) et puis, à partir de 1954, l'avion Boende-Basankusu.
Mais ce fut toujours une aventure car la route Befale-Boende, avec les 15 derniers kilomètres de digue et le passage de la Tshuapa en bac, pouvait être un réel cauchemar en saison des pluies.
De notre tristesse de quitter les parents pour un long trimestre mais de notre joie de retrouver nos copines et copains.
Je me souviens aussi de mes discussions sans fin avec Isidore, notre boy lavadère. Moi assise au bord de la table de repassage, lui, véritable artiste, repassant avec minutie notre linge avec un fer chauffé à la braise.
Et oui, nous n'avions ni eau courante, ni électricité.
Nous nous éclairions le soir à la lampe Aladin, belge ou Coolman. Lampes à pétrole ... certaines avec manchon ... Toute une histoire.
Mon père avait construit une pirogue et l'avait munie d'un hors-bord. Nous allions à la chasse aux pigeons et aux singes sur la Maringa. Je tremblais de peur quand j'apercevais un gavial, que je prenais bien sûr pour un crocodile, qui se dorait au soleil sur une branche morte au milieu de la rivière ...
Voilà, petit frère Batetela, une partie de mes souvenirs de ton pays qui fut le mien aussi.
Merci Maman. Belle histoire et très beaux souvenirs.
Raconte-moi encore Maman, raconte-moi en quoi consistait le travail de ton père à Befale et ta mère à quoi s'appliquait-elle ?
Raconte-moi : alliez-vous le dimanche à l'Eglise, comment vous arrivait le courrier de Belgique ? Connais-tu encore le nom de certaines espèces de singes et d'antilopes ?
Papa entretenait le matériel roulant ainsi que le matériel servant aux constructions. Le FBEI avait construit, en collaboration avec l'Administration territoriale, un hôpital pour indigène et des dispensaires aux quatre coins du territoire, une ferme, une cité pour les indigènes, des écoles, etc ... Donc mon père entretenait tout le matériel nécessaire à ces diverses constructions.
Quelques ambulances aussi, bien nécessaires, pour aller chercher les malades dans les villages lointains.
Papa entretenait aussi les véhicules et le matériel divers de la Cie de l'Hevea à Bokoli Ekila.
Quant à ma mère, elle faisait le ménage avec les boys. Elle mettait la main à la pâte avec eux. Elle aidait Isidore à l'entretien de la maison, à la lessive, et Pierre à la cuisine.
Elle cousait aussi nos vêtements.
L'après-midi était réservée aux promenades (de 14 h, après la sieste, jusque 16 h).
Il faut dire qu'à l'Equateur, le soleil se lève tôt mais se couche aussi très tôt. A 16 h 30, il faisait noir charbon. La nuit tombait en une fois.
Le soir, nous nous réunissions entre voisins et jouions aux cartes : au whist.
Pas de radio mais je pense que nous devions quand même avoir un tourne disque et quelques disques.
Aux grandes fêtes, Noël, Nouvel-An, Pâques, la fête nationale, tous les européens se réunissaient au Cercle pour la soirée. Chaque couple apportait un plat différent.
Au début, le courrier arrivait une fois par mois de Basankusu où il y avait déjà une plaine d'aviation depuis le début des années 30. Quand l'aéroport de Boende a été mis en service en 1954, nous avions du courrier toutes les semaines. A Befale, il y avait un bureau de poste où le courrier était déposé par pickup et trié. Notre postier s'appelait Esale et était un évolué.
Une Mission catholique des Pères de Mill Hill (Congrégation d'origine anglaise mais avec des Pères de nationalité hollandaise) s'est ouverte en 1952. Une église a été construite et nous y allions à la messe le dimanche.
Avant l'ouverture de la Mission, nous allions à la Mission catholique (également des Pères de Mill Hill) à Baringa mais seulement pour Noël et Pâques.
A Basankusu, il y avait les Bonobos. Ils n'avaient pas encore besoin d'être protégés à cette époque.
A Befale, c'était des petits singes. Je ne connais pas leur nom.
Dans notre région, il n'y avait pas d'antilopes mais des crocodiles, des rhinocéros, des hippopotames, des serpents, des éléphants ... Ces derniers visitaient les villages et causaient de gros dégâts. Surtout en juillet. On allumait alors des feux autour des villages pour les chasser.
A toi maintenant petit frère Batetela, raconte-moi ton enfance !
Je suis né le 27 octobre 1962 à Kinshasa (Léopoldville) à la Clinique Universitaire de Lovanium.
Mon père a eu la chance d'être pris en charge, dès son école primaire, par les Missionnaires catholiques de Lodja, Tshumbe et Katakokombe, jusqu'à ses études universitaires à Louvain et Lovanium.
Il est devenu professeur des Universités en 1964.
Nous étions la première vague des familles élites du pays.
J'ai passé ma jeunesse un peu partout : dans les internats du Congo central, du Kasaï Occidental et de la Province Orientale suivant les nominations de mon père.
En 1972, celui-ci est en mission dans la Province Orientale pour la réunification de toutes les Universités du Zaïre.
Il entend parler d'une plantation, créée en 1956, de l'autre côté de la rivière Arwimi, en territoire de Banalia - secteur de Panga. Cette plantation, ayant appartenu à un belge, est à l'abandon depuis 1960. Il a relevé le défi de la remettre en état.
Le bac, qui servait de liaison entre les deux rives, avait été coulé par les rebelles de l'époque.
Mon père fit construire trois grosses pirogues. Et nous avons pu faire traverser la rivière à deux Land-rover. J'étais de la partie. J'avais dix ans.
A notre grande surprise, la maison d'habitation tenait encore debout, sans toit bien sûr.
L'usine de torréfaction de café ainsi que celle du traitement de la sève d'hévéa étaient encore en état de fonctionner. Les machines étaient toujours en place à part le moteur central qui lui n'était plus là.
Dès son retour à Kinshasa, mon père demanda, au Ministre de l'Agriculture de l'époque, l'autorisation de devenir propriétaire de la plantation et contracta un crédit gouvernemental pour la relance de l'activité.
Ce fut finalisé en 1975.
Je ne peux oublier : la joie du réveil, au petit matin, par les cris des singes dans les arbres; les éléphants venant la nuit saccager les cultures; les sangliers; la saignée des hévéas; la taille des caféiers devenus des arbres. Tout cela nous l'avons fait au beau milieu de la jungle.
Le repas était suivant la prise du chasseur.
La plus grande difficulté était l'évacuation du café. Il fallait d'abord franchir la rivière, le courant était très fort et 300 mètres séparaient les deux rives. Ensuite, la route entre Panga et Banalia (140 kms environ) n'était que de trous, d'argile très glissant, de ponts faits de deux troncs d'arbres qu'ils fallaient franchir avec un camion de 12 tonnes.
A Befale, c'était des petits singes. Je ne connais pas leur nom.
Dans notre région, il n'y avait pas d'antilopes mais des crocodiles, des rhinocéros, des hippopotames, des serpents, des éléphants ... Ces derniers visitaient les villages et causaient de gros dégâts. Surtout en juillet. On allumait alors des feux autour des villages pour les chasser.
A toi maintenant petit frère Batetela, raconte-moi ton enfance !
Je suis né le 27 octobre 1962 à Kinshasa (Léopoldville) à la Clinique Universitaire de Lovanium.
Mon père a eu la chance d'être pris en charge, dès son école primaire, par les Missionnaires catholiques de Lodja, Tshumbe et Katakokombe, jusqu'à ses études universitaires à Louvain et Lovanium.
Il est devenu professeur des Universités en 1964.
Nous étions la première vague des familles élites du pays.
J'ai passé ma jeunesse un peu partout : dans les internats du Congo central, du Kasaï Occidental et de la Province Orientale suivant les nominations de mon père.
En 1972, celui-ci est en mission dans la Province Orientale pour la réunification de toutes les Universités du Zaïre.
Il entend parler d'une plantation, créée en 1956, de l'autre côté de la rivière Arwimi, en territoire de Banalia - secteur de Panga. Cette plantation, ayant appartenu à un belge, est à l'abandon depuis 1960. Il a relevé le défi de la remettre en état.
Le bac, qui servait de liaison entre les deux rives, avait été coulé par les rebelles de l'époque.
Mon père fit construire trois grosses pirogues. Et nous avons pu faire traverser la rivière à deux Land-rover. J'étais de la partie. J'avais dix ans.
A notre grande surprise, la maison d'habitation tenait encore debout, sans toit bien sûr.
L'usine de torréfaction de café ainsi que celle du traitement de la sève d'hévéa étaient encore en état de fonctionner. Les machines étaient toujours en place à part le moteur central qui lui n'était plus là.
Dès son retour à Kinshasa, mon père demanda, au Ministre de l'Agriculture de l'époque, l'autorisation de devenir propriétaire de la plantation et contracta un crédit gouvernemental pour la relance de l'activité.
Ce fut finalisé en 1975.
Je ne peux oublier : la joie du réveil, au petit matin, par les cris des singes dans les arbres; les éléphants venant la nuit saccager les cultures; les sangliers; la saignée des hévéas; la taille des caféiers devenus des arbres. Tout cela nous l'avons fait au beau milieu de la jungle.
Le repas était suivant la prise du chasseur.
La plus grande difficulté était l'évacuation du café. Il fallait d'abord franchir la rivière, le courant était très fort et 300 mètres séparaient les deux rives. Ensuite, la route entre Panga et Banalia (140 kms environ) n'était que de trous, d'argile très glissant, de ponts faits de deux troncs d'arbres qu'ils fallaient franchir avec un camion de 12 tonnes.
On se baignait dans la rivière en compagnie des crocos et des hippopotames. On rencontrait aussi sur la route de grandes colonnes de grosses fourmilles rouges. Malheur à vous si vous mettiez vos pieds sur leur passage.
Puis vint, vers 1980, la chute des cours du café et l'apparition de l'or. Les cultures furent délaissées, les travailleurs préférant la recherche de l'or dans le terrain et la confrontation avec ceux-ci devenait dangereuse.
En 1988, ma famille dû abandonner l'exploitation de ses plantations. Ayant un diplôme d'ingénieur agronome, j'ai alors travaillé, comme consultant, sur d'autres plantations encore en activités.
Et c'est là que j'ai vraiment compris le génie de Léopold II. Sans jamais être venu au Congo, celui-ci en avait fait un chantier qui, selon moi, aurait pu être le Centre du Monde si cette oeuvre avait pu être continuée.
J'ai vu, Maman, en pleine jungle, des chefs d'oeuvres, réalisés et entretenus par des gens comme ton père. J'ai apprécié et apprécie encore toujours le travail de ces pionniers.
Je sais qu'il y a eut des heures sombres comme il y en a partout.
J'ai quitté le Congo en 1988 pour un complément de formation à Gembloux (Belgique), Nancy et Montpellier (France) et me suis installé aux Pays-Bas. Mais régulièrement, je retourne au Pays revoir la famille et m'occuper de nos affaires.
De temps en temps, je me rends en province, notamment à Mbandaka, pour installer ou équiper une exploitation en pompe à eau, groupe électrogène.
Ma curiosité, Maman, est de toujours vouloir savoir comment vivaient ceux qui étaient là "avant".
je respire avec bonheur cet air incomparable de la jungle et admire sa population, les activités des villages et l'importance que les villageois donnent à l'étranger qui devient un des leurs.
Voilà Maman mon histoire. Merci d'avoir eu la gentillesse de me lire jusqu'au bout.
Ce fut avec joie petit frère Batetela !
Merci à vous tous de nous lire jusqu'au bout également. Vos commentaires sont les bienvenus.
Ces textes ne sont pas de la fiction mais ont été écrits par Michel et Jacqueline.
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