Le Congo met en place sa première zone économique spéciale, à Kinshasa. Et l’expérience pilote devrait faire des petits.
Reportage Frédéric Rohart, à Kinshasa
L'Echo de la Bourse du 22/22/11/2010
La production et la distribution de nourriture est un défi quotidien à Kinshasa. Le centre industriel de N'Sélé pourrait changer la donne. |
C’est par là que la Chine a commencé. En créant des zones économiques spéciales, elle a convaincu les investisseurs étrangers de son virage politique. La renaissance du Congo doit emprunter ce chemin. Le gouvernement le sait et met en place sa première expérience du genre. Dans deux ans, une île de béton émergera des plaines de N’Sélé, la grande commune de l’Est de Kinshasa. Une foule d’entreprises industrielles s’y installeront. On leur acheminera la production des paysans ouest-congolais, ils la transformeront et inonderont la capitale congolaise de nourriture traitée, transformée, emballée. Les paysans vendront plus, les Kinois mangeront mieux, et tout sera fait, dans la zone économique spéciale (ZES), pour que les industriels s’épanouissent à l’abri des "tracasseries" qui gangrènent le Congo… Racontez cette belle histoire à un Kinois de la rue, il vous répondra par un sourire résigné: on entend parler de tellement de grands projets, combien se sont réalisés?
Au ministère de l’Industrie, Hubert Miyimi est convaincu que la sauce va prendre. Le regard pétillant d’énergie, le chef de la cellule d’appui au projet des zones économiques spéciales (Cazes) est volubile. Le projet pilote de N’Sélé, c’est un terrain de 400 hectares, "extensible de 200 ha supplémentaires", à la capacité d’accueil d’une trentaine d’agro-industries "on sait déjà exactement qui va s’y installer" et qui, à terme, créera 6.000 emplois directs. Coût de l’opération? "260 millions de dollars pour la viabilisation du site. À charge des industries."
Les pisse-froid sifflent déjà que si l’Etat ne finance rien, on peut difficilement avoir confiance en son implication. Mais selon la Banque mondiale, les zones économiques spéciales sont généralement plus efficaces quand elles sont privées. Et en République démocratique du Congo, on commence à écouter les spécialistes de Bretton Woods.
Où l’on applique les lois
L’impulsion est congolaise. C’est l’ancien ministre de l’Industrie, Simon Mboso, qui a initié le projet l’an dernier en commandant une étude sur le potentiel industriel du Congo au Belge Euro Consultants. Une ébauche de réseau de ZES en est née, et la zone agro-industrielle de N’Sélé en est le projet pilote. Le gouvernement compte enchaîner avec un incubateur pour miniers à Lubumbashi et une couveuse à cimenteries dans le Bas-Congo.
Les entreprises qui comptent s’installer à N’Sélé ne doivent pas s’attendre à bénéficier d’exonérations fiscales ou douanières exceptionnelles. La ZES pourrait même être "le premier lieu de l’application de la nouvelle TVA", explique Hubert Miyimi. Ce sera simplement "une zone où l’on applique les lois". Au Congo ce serait déjà beaucoup.
Concrètement, un guichet unique devrait éviter beaucoup de tracasseries aux occupants des lieux. Et tout sera fait pour offrir des infrastructures optimales aux entreprises. "Il faut garantir une alimentation en électricité suffisante et ininterrompue", abonde Miyimi. Des générateurs seront évidemment prévus pour parer aux aléas de la Société nationale d’électricité (Snel), "mais on installera aussi des hydrogénérateurs, parce que l’environnement est une préoccupation fondamentale". D’ailleurs, les déchets industriels seront traités sur place. Les agro-industries auront besoin d’eau claire, une station d’épuration est donc prévue. Reste la voirie: "Les Chinois ont déjà commencé à anticiper la réfection de la route." Et effectivement, ce tronçon de la Nationale 1 est tout neuf. La ZES profitera aussi de la voie royale qu’est le fleuve, et de l’aéroport international de N’Djili…
La charrue et les bœufs
Séduisant. Planté devant les hautes herbes de N’Sélé, on imagine la mutation. Sur la route, des camionnettes mille fois rafistolées et des vieux camions plein de passagers transportent quelques kilos de manioc. Ils ont fait des dizaines de kilomètres pour alimenter les échoppes de Kin la belle. La ZES va-t-elle vraiment changer leur vie?
"L’idée est d’encadrer tous les fermiers des environs et de faire transformer leur production par les industriels de N’Sélé", poursuit Hubert Miyimi. Cela stimulerait la production agricole, créerait de l’emploi et améliorerait la distribution alimentaire dans la capitale. Au ministère de l’Agriculture, pourtant, on indique ne pas encore avoir été impliqué dans cette démarche. "Si ce n’est pas participatif, les chances de réussite peuvent s’avérer minces… Dans ce pays, les décisions prises d’en haut sans travail en profondeur avec le terrain aboutissent rarement", prévient Alain Huart, conseiller de l’administration. Jean van Gysel, directeur d’Euro Consultant, abonde dans le même sens: "Pour faire un grand complexe de transformation, il faut assurer la production en amont, fournir des variétés plus productives aux agriculteurs, etc." L’expert est par ailleurs sceptique face au choix de N’Sélé pour implanter la zone. "Acheminer des matières fraîches gorgées d’eau jusqu’à Kinshasa, ce n’est pas très rentable. Pour profiter de la production locale, un site plus logique aurait été celui de Boma (à l’extrême Ouest, dans le Bas-Congo, NDLR): non seulement, il est proche d’une concentration de producteurs, mais il est déjà électrifié et à proximité du port." Dans le cas de N’dolo, il faudra faire venir la matière première du Bandundu, mais aussi du Bas-Congo… Met-on la charrue avant les bœufs? "Au Congo, il faut mettre la charrue et les bœufs en même temps…"
Cultiver ou importer?
Une ZES moins centrée sur les producteurs ne serait pas complètement insensée. L’emballage doit évidemment se faire à Kinshasa. Et "transformer de la poudre de lait en yaourt, produire des biscuits ou du pain, importer pour transformer et revendre, c’est évidemment tout à fait possible", concède le consultant belge. "Mais cela n’implique pas les producteurs locaux, il n’y a pas vraiment besoin d’études pour ça…"
Au ministère de l’Industrie, on refuse encore de donner la liste des industriels inscrits. Mais on lâche deux grands noms, comme pour mieux convaincre: "Il y aura des grandes firmes comme Nestlé et le Belge Orgaman ce dernier voudrait déjà pouvoir y installer son abattoir et son centre de transformation dès janvier!" Les "cubes magiques" c’est le nom des bouillon-cubes, ici , le lait en poudre ou les biscuits de Nestlé n’ont pas besoin des paysans de la région. Et chez Orgaman, on explique… S’être retiré. "Ce qui nous intéressait dans ce projet, c’était plus le terrain que le concept de ZES: pour l’heure, les avantages ne sont pas flagrants, et tout cela est encore fort théorique. Nous n’avons pas envie d’attendre, et nous avons déjà trouvé deux autres sites possibles."
Le Congo n’a pas le choix
La ZES doit voir le jour sur un terrain présidentiel, à deux pas du fameux parc d’attractions que s’était fait construire Mobutu Sese Seko. Mais le Président Joseph Kabila n’a pas encore cédé formellement son terrain. Hubert Miyimi fronce les sourcils d’un air assuré: "Nous espérons que la cession sera avalisée en décembre."
Ce n’est pas tout. Le Parlement doit adopter la loi sur les ZES… Un projet de texte a été validé par le Comité de pilotage qui réunit des responsables des grands ministères et de la présidence. Mais l’Assemblée nationale n’a pas mis son examen à l’ordre du jour de la session de cette année. La loi passerait donc en mars prochain. À moins que… "Il est possible que l’on décide d’accorder l’extrême urgence à ce texte pour qu’il soit adopté avant la fin de l’année. C’est ce qui s’est passé l’an dernier pour la loi Ohada [qui reconnaît aux entreprises un droit de recours juridique à Paris]."
Et encore faut-il que le Parlement ne la retarde pas: l’élection présidentielle de novembre 2011 pourrait détourner l’attention des députés.
"Ce ne sera pas le cas. Tout le monde opposition et majorité est d’accord sur l’importance de la loi ZES. En 1950, le Congo comptait 9.600 industries. Il en reste moins de 100, dont certaines ne tournent pas. Or il n’y a que l’industrie qui puisse vraiment lutter contre la pauvreté", plaide Miyimi. Et il repart à l’attaque: "La RDC n’a pas le choix, nos voisins mettent la pression." Du Gabon au Congo-Brazzaville en passant par l’Angola, l’Afrique ne jure plus que par les ZES. L
Un belge s'immisce dans la guerre des ports congolais.
"Le Bas-Congo a fait appel à nous pour monter rapidement un projet de port flottant." S. Dirven
Tout a commencé avec l'affaire du Clémenceau. En 2006, le porte-avions français fait route vers l'Inde. Il doit être désamianté et démantelé dans le chantier naval d'Alang. Mais les militants écologistes ameutent l'opinion publique : la France exporte un navire empoisonné. Alors que le bâtiment s'approche, l'Inde décide en dernière minute de le refuser. Le Clem' fait demi-tour mais deuxième coup de théâtre, l'Egypte refuse de laisser repasser ce stock d'amiante flottant par son canal. Le navire est forcé de faire le grand tour d'Afrique pour aller se faire dépolluer à Brest. Il passera donc devant la République démocratique du Congo ... c'est là que Stéphane Dirven a eu le déclic : "Pourquoi ne pas acheter le porte-avions, l'amarrer à l'embouchure du fleuve Congo, et l'utiliser comme port flottant ?, s'interroge alors le directeur développement de la société belge PREFArails. L'intérêt ? Pour l'instant, toutes les marchandises que la RDC importe par mer transitent par Pointe-Noire, le grand port du Congo-Brazzaville. Elles y sont transférées sur de plus petits bateaux, qui les acheminent vers les ports intérieurs de la RDC - Matadi ou Boma. "Les importations subissent donc deux taxes internationales", ce qui augmente substantiellement les prix des produits de première nécessité du Congo. Un port flottant permettrait de réduire la taxation : un paiement international sur le Clem', un paiement national aux ports intérieurs. "Et le Clémenceau offrait des salles frigorifiques, une salle d'opération, etc." Mais il va sans dire que la France a refusé de vendre son bijou désuet à l'ambitieux entrepreneur ...
Course contre la montre
De l'eau a coulé devant l'embouchure du fleuve, mais l'idée refait surface. Et c'est la province du Bas-Congo, une des plus prospères du pays grâce à ses deux ports, qui la ressort. Précipitamment. L'an dernier, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a décidé de financer la construction d'un pont rail-route entre Kinshasa et Brazzaville. Objectif : relier directement les quelques huit millions de Kinois au grand port de l'ancien Congo français. La très large majorité des marchandises que Pointe-Noire accueille (65 à 70%) sont déjà destinées à la RDC. Si ces marchandises peuvent atteindre Kinshasa par voie terrestre, les ports de Matadi et de Boma n'ont plus de raison d'être. L'annonce du PNUD a donc provoqué "l'affolement dans le Bas-Congo, qui craignait de se faire marginaliser", explique le Belge. En deux temps, trois mouvements, le"cordon ombilical" (la route Matadi-Kinshasa) se viderait de ses centaines de camions, et le Bas-Congo dépérirait.
Cela fait des décennies que l'on parle de la construction d'un port en eaux profondes à Banana (RDC) pour concurrencer Pointe-Noire. Le projet suit son cours, la Corée du Sud se profile même comme partenaire privilégié. Mais il n'y a rien à Banana: si elle se fait, la réalisation prendra plusieurs années. "Or le Bas-Congo est pris par l'urgence, poursuit Dirven. La province, qui connaissait notre idée "Clémenceau", a fait appel à nous pour monter rapidement un projet de port flottant." La Congo River Associations, qui regroupe PREFArails, la province, et des investisseurs privés, est mise sur pied. Budget : 145 millions de dollars, et "le financement sera 100 % congolais", assure Dirven. La signature devrait avoir lieu en fin d'année, et les travaux débuteraient en "janvier ou février".
Pointe-Noire, Banana, le port flottant ... Le vainqueur de la course contre la montre décrochera le pactole. La RDC importe à peine 1,3 container pour 1000 habitants - "La moyenne est de 4,6 en Afrique de l'Ouest, c'est dire le potentiel qu'il y a ici!", commente un autre entrepreneur belge. D'autant qu'il faut relever le défi démographique : on dénombre 15 millions d'habitants dans la partie ouest du Congo, et on prévoit que cette population double d'ici 20 ans. C'est sûr, Matadi et Boma ne suffisent plus. Et Dirven se frotte déjà les mains.
F.R., à Kinshasa
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