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dimanche 6 mai 2012

Pourquoi le Nord-Kivu s’enflamme-t-il encore ? Edifiantes explications d’un expert qui décortique les enjeux de cette crise

Digital Congo 
05/05/2012

M. Pierre Jacquemont, chercheur associé à l’IRIS, répond aux questions lui posées sur les raisons de la résurgence de la violence principalement dans la province du Nord-Kivu à l’Est de la RDC avec Bosco Ntanganda comme acteur clé au cœur de la tragédie de cette crise 




Depuis plusieurs semaines, l'armée congolaise affronte les mutins proches de Bosco Ntaganda, un ex-rebelle recherché par la Cour pénale internationale (CPI). Après avoir longtemps protégé Ntaganda, Joseph Kabila semble maintenant décidé à l'arrêter, au risque de relancer la guerre dans le Kivu. 

Pierre Jacquemot, chercheur associé à l'IRIS, nous explique pourquoi la violence persiste dans la région et pourquoi Joseph Kabila et Paul Kagame ont décidé de "lâcher" Bosco Ntaganda. 

Etes-vous étonné de la reprise de la violence ces dernières semaines dans l'Est de la République démocratique du Congo ? 
La violence est endémique dans cette zone depuis une quinzaine d'années, même si elle se déplace d'une ville à l'autre entre le Nord et le Sud-Kivu. Cette violence est liée à plusieurs facteurs qui s'amplifient à certaines périodes. Tout d'abord, la présence d'une communauté d'origine rwandaise qui s'est installée après le génocide de 1994 dans des camps de réfugiés, puis plus durablement et qui a ensuite mené des actions armées contre le gouvernement rwandais de Paul Kagame. 
Ce premier groupe se retrouve autour des FDLR (rébellion d'origine hutu, NDLR) et constitue un facteur permanent d'insécurité. D'autant que les FDLR sont également attaqués par des groupes d'origine tutsi - les rebelles du CNDP - qui ont abandonné la rébellion en 2009 après l'arrestation de leur chef Laurent Nkunda et l'allégeance de leur responsable militaire, Bosco Ntaganda, au gouvernement de Joseph Kabila. 
Vous pouvez ajouter à cela l'existence de groupes armés locaux, que l'on appelle les Maï-Maï, qui passent régulièrement des alliances de circonstance avec telle ou telle rébellion. Il y a également un facteur économique, un besoin important de terres dans la région et les terres de deux Kivu sont particulièrement riches et convoitées. On peut enfin ajouter à cela, la présence de minerais, comme la cassitérite, le coltan ou l'or et vous obtenez tous les ingrédients d'une économie de guerre, depuis que les cours de ces minerais se sont envolés. Certaines mines font l'objet de combats très réguliers entre l'armée congolaise, les FDLR ou le CNDP. Voilà le contexte qui permet de comprendre pourquoi il y a en permanence une situation de conflit dans l'Est de la RDC. 

La situation échappe complètement à l'armée ? 
L'armée est impuissante à remettre de l'ordre, car elle est traversée par ses propres contradictions, notamment avec le problème de l'intégration des troupes rebelles en son sein. La Monusco ensuite, bien que forte de 20.000 hommes, le plus fort contingent de Casques bleus au monde, est incapable de garantir durablement la sécurité des populations. 

Ces dernières semaines, la violence est montée d'un cran dans le Kivu, avec l'annonce de la possible arrestation de Bosco Ntaganda ? 
Il y a aujourd'hui un enjeu nouveau qui est l'arrestation de Bosco Ntaganda. C'est un individu d'une violence rare que l'on appelait à une époque « Terminator », qui n'a pas hésité à enrôler des enfants soldats et à commettre des délits extrêmement graves. Ntaganda a eu longtemps le soutien du Rwanda, qui maintenant prend ses distances. C'est du moins ce qu'a déclaré Paul Kagame la semaine dernière. Bosco Ntaganda avait lâché son chef, Laurent Nkunda, en 2009, pour rejoindre l'armée régulière congolaise avec 3.000 de ses hommes. En contrepartie, on lui a donné un titre de général et des prérogatives sur une partie du Nord-Kivu. En fait, cette ex-milice du CNDP ne s'est jamais vraiment intégrée dans l'armée. Elle a toujours constitué « une armée dans l'armée » et continuait les trafics de minerais, notamment de Cassitérite et les trafics d'armes. Bosco Ntaganda devrait être déféré auprès de la Cour pénale internationale de La Haye (CPI), mais on tourne autour du pot depuis au moins 18 mois. 
Il y a d'un côté Human Rights Watch (HRW) qui demande son arrestation en mettant en avant le volet juridique de l'affaire et de l’autre côté, il y a ceux qui pensent qu'il faut prendre un certain nombre de précautions pour éviter les « répercussions négatives » des soldats du CNDP qui défendent encore Ntaganda et qui risqueraient de s'en prendre à la population civile. Et c'est un peu ce qui se passe depuis que la pression s'est accentuée autour de son arrestation. On assiste à des désertions d'officiers du CNDP qui rejoignent des groupes Maï-Maï et c'est, bien sûr, une source importante d'inquiétude. 

Après avoir longtemps protégé son allié Bosco Ntaganda, Joseph Kabila se retrouve face à un dilemme : satisfaire la communauté internationale en arrêtant Ntaganda et prendre le risque de rallumer la guerre à l'Est ou continuer de la protéger et s'isoler sur la scène internationale ? 
Il semble que Joseph Kabila a tranché. Visiblement il a évolué dans son attitude puisqu'au départ il était très réticent à l'arrestation de Ntaganda. Je lui ai directement posé la question plusieurs fois. Il était assez évasif, mais il était convaincu que l'individu commettait des exactions et était complètement incontrôlable au sein de l'armée. Kabila a changé de position puisque dernièrement, 14 militaires ex-CNDP ont été transférés à Bukavu pour y être jugés. Il faut également rappeler que Joseph Kabila souhaite retrouver un peu de crédibilité et un peu de « virginité » après des élections qui se sont mal passées en novembre dernier. 

Joseph Kabila a-t-il les moyens d'arrêter Ntaganda ? 
C'est une opération pas facile à mener. Il faut d'abord l'attraper. Ntaganda est actuellement retranché dans son fief du Nord-Kivu (dans le Masisi, NDLR) qui constitue une sorte de « sanctuaire » dont il sera difficile de le sortir. Je pense qu'il faudra des moyens supplémentaires et je pense aux hélicoptères de la Monusco qui devront l'emmener immédiatement sur Kinshasa et ensuite vers La Haye. Tout doit se passer très vite. A noter qu'il faudra également trouver un autre "chef" à mettre à la tête du CNDP, qui soit loyal à Kinshasa, intègre… et ces conditions ne sont pas faciles à trouver. Sinon nous aurons des ex-miliciens qui vont se retrouver dans la nature sans chef et c'est extrêmement dangereux. 

Ntaganda est-il toujours soutenu par le Rwanda ? 
Le Rwanda a compris que Ntaganda est une carte qu'il ne peut plus jouer. Le Rwanda n'a plus vraiment besoin de s'occuper de deux Kivu. Les réseaux mafieux sont parfaitement huilés et ils n'ont plus besoin de ces miliciens. 

Selon vous, le Rwanda peut-il lâcher Ntaganda ? 
Oui, je le pense. Soutenir Ntaganda coûte trop cher en termes d'image au Rwanda. En plus, Ntaganda n'est plus vraiment utile en terme économique. Pour gérer les réseaux mafieux à leur bénéfice, ils n'ont pas besoin de Bosco. Il faut également savoir que le coltan et la cassitérite ne rapportent plus autant d'argent qu'il y a encore 2 ans. 

Pour quelles raisons ? 
Essentiellement, à cause de la loi Dodd Franck qui contraint les entreprises américaines à prouver l'origine de la cassitérite et du coltan qu'elles utilisent. Les marchés se sont donc déplacés vers l'Australie et l'Amérique Latine. Il y a donc moins d'intérêt économique pour le Rwanda. En plus, ces groupes CNDP sont devenus, avec le temps, des électrons libres et je ne crois pas que Kagame y trouve beaucoup d'intérêts. On peut donc penser que Kabila est assuré d'une certaine neutralité du Rwanda s'il souhaite procéder à l'arrestation de Ntaganda. 

Joseph Kabila peut-il être tenté de juger Ntaganda à Kinshasa et de ne pas l'envoyer devant la Cour pénale internationale ? 
Je n'ai pas vraiment la réponse. Joseph Kabila peut en effet être tenté de jouer la carte de la fierté nationale, comme les Ivoiriens auraient pu le faire avec Laurent Gbagbo. Kabila pourrait effectivement dire : «On est assez grand pour le juger à Kinshasas». C'est un procès qui aurait une grande valeur symbolique et qui, s'il était mené dans de bonnes conditions, pourrait corriger l'impact négatif du procès de l'affaire Chebeya. Ce n'est pas exclu. 
Christophe Rigaud/Afrikarabia.com/Le Potentiel

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