24.10.2012
Par Sébastien Hervieu (Mogale City, Afrique du Sud, envoyé spécial)
Un panneau d'avertissement de danger à l'entrée de l'ancienne mine
The Tudor Shaft, à Krugersdorp, en Afrique du Sud
Jason Larkin Pour Le Monde
Son visage noir est désormais jaunâtre. "Je mets cette poudre sur ma peau pour la protéger du soleil", explique Patience Pumlangadu. Cette mère sud-africaine de trois enfants concocte elle-même sa crème solaire artisanale en mélangeant de l'eau avec de la roche réduite en morceaux.
Cette matière première qu'elle juge "bonne pour la santé" provient pourtant d'une butte de terre toute proche et composée de déchets extraits d'une ancienne mine d'or. Fin 2010, un spécialiste britannique, Chris Busby, avait mesuré à cet endroit des taux de radioactivité quinze fois supérieur à la normale et recommandait que les habitants déménagent au plus vite.
Situé dans la municipalité de Mogale City, le bidonville de Tudor Shaft, où vivent 5 000 habitants dont Patience Pumlangadu, est au pied d'un des innombrables terrils radioactifs qui découpent la ligne d'horizon dans la région de Johannesburg. Plus d'un siècle d'exploitation des richesses minières d'Egoli, la "cité de l'or" en langue zoulou, a permis à l'Afrique du Sud de devenir la première puissance économique du continent africain, mais a laissé en héritage de multiples empreintes toxiques.
LE SIGNAL D'ALARME TIRÉ DEPUIS UNE DÉCENNIE
En 2011, un rapport des autorités régionales du Gauteng, qui englobe la capitale économique sud-africaine, assurait que 1,6 million de personnes vivaient dans des bidonvilles à proximité ou dans les 400 zones de déchets miniers.
Cela fait pourtant presque une décennie que Mariette Liefferink tire le signal d'alarme. "Les résidus des extractions d'or contiennent de l'uranium", rappelle la responsable de la Fédération pour un environnement durable (FSE), une organisation écologiste locale, qui ajoute, en brandissant des analyses récentes, que ces terrils contiennent aussi, entre autres, de "l'aluminium, de l'arsenic, du mercure et du cuivre".
A Tudor Shaft, une odeur proche de celle du soufre s'engouffre dans les narines. Des habitants affirment qu'ils ont de plus en plus de difficultés à respirer. Malades de la tuberculose, une partie d'entre eux craignent une aggravation de leur état de santé. Aucun cas de cancer n'a pour l'instant été signalé. Mais comment en être sûr alors qu'aucune étude n'a été réalisée jusqu'à maintenant ?
Chargée de la protection de la population en matière de risques radioactifs, l'autorité sud-africaine du nucléaire (NNR) a reconnu, en 2011, une "situation potentiellement dangereuse" et a recommandé que les habitants soient "relogés sur des terrains plus appropriés pour l'habitat humain".
"Par mesure de précaution, nous avons déjà déplacé une centaine de foyers que nous avons éloignés de la zone à risque", assure Nkosana Zali, porte-parole de la municipalité de Mogale City qui administre le bidonville. Mais sur place, on indique qu'il n'y aurait que "quatorze habitations" et que "la distance de sécurité de 500 mètres est trop faible".
ÉTUDE D'IMPACT ENVIRONNEMENTAL
Représentant de la communauté de Tudor Shaft, Jeffrey Ramiruti pointe du doigt les autorités de la région du Gauteng qui lui avaient demandé, en 1996, de s'installer sur ce terrain vague déjà parsemé de terrils : "La mine venait de fermer et ma famille ainsi que 53 autres ont dû quitter les baraquements de la compagnie pour s'installer ici, se souvient-il. Les élus de la région et de la ville nous avaient promis que ce serait une solution temporaire et que nous aurions bientôt des logements sociaux, mais nous attendons toujours...
"
Comme les maisonnettes ne sont toujours pas disponibles, un bulldozer a fait son apparition début juillet pour commencer à détruire le terril. Le terrassement a vite été suspendu. "Nous avons saisi le tribunal car on ne peut pas remuer une terre si toxique sans faire au préalable une étude d'impact environnemental", estime Mariette Liefferink, plutôt favorable à la solution du relogement.
Spécialisée dans l'extraction des résidus d'or des terrils contaminés et chargée de l'opération, la société australienne Mintails assure que de l'eau est aspergée pour éviter les bouffées de poussières. "Cette approche est cosmétique. Quid ensuite du ruissellement des eaux contaminées ?", accuse la militante.
En attendant la décision finale du juge, le terril radioactif a été entouré d'un cordon de sécurité en plastique pour empêcher les plus petits de venir jouer trop près. "Cette terre est dangereuse car elle peut rendre mon enfant malade", résume Poppy Morebondi, 20 ans. Mais quand on lui demande si elle connaît la signification du mot "radioactivité", comme beaucoup d'autres habitants, elle hoche la tête de gauche à droite.
Sébastien Hervieu (Mogale City, Afrique du Sud, envoyé spécial)
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