Par Wakabi Wairagala
Les enquêteurs de la Cour pénale internationale (CPI) ont mis sur écoute les appels téléphoniques et intercepté les mails échangés entre Jean-Pierre Bemba et ses avocats, selon un mandat d’arrêt émis par la Cour.
Ces interceptions ont démontré que M. Bemba préparait un « projet criminel » depuis sa cellule de La Haye. Ils ont également indiqué que le chef d’opposition congolais s’entretenait avec des témoins et avait autorisé des paiements en leur faveur.
Le juge du procès Cuno Tarfusser, qui a autorisé les interceptions, avait émis en novembre dernier des mandats d’arrêt à l’encontre de M. Bemba, de son conseil principal Aimé Kilolo-Musamba et de son chargé de la gestion des dossiers Jean-Jacques Mangenda Kabongo. Des mandats d’arrêt ont également été émis à l’encontre de Narcisse Arido, un témoin de la défense, et de Fidèle Babala Wandu, un membre du parlement congolais.
Selon le mandat d’arrêt, M. Bemba avait approuvé les montants et les bénéficiaires de fonds dans le cadre d’un projet visant à soudoyer des témoins et à présenter des témoignages faux et falsifiés. Il a été également accusé d’avoir contourné le système de surveillance téléphonique du centre de détention de la CPI pour parler à des témoins et des associés en utilisant des « codes » ou par le biais des numéros de téléphone de ses avocats « afin que les conversations soient privées ».
Dans la demande du 19 novembre 2013 pour les mandats d’arrêt, les procureurs ont présenté les preuves de transfert d’argent par des services internationaux, en particulier Western Union et Express Union, ainsi que des enregistrements d’appels téléphoniques, des transcriptions des communications enregistrées, des messages textuels, des déclarations de témoins et des mails.
« Il existe des motifs raisonnables de croire que dès début 2012 et depuis lors, un projet criminel a accordé des avantages à certains témoins de la défense en échange de faux-témoignages et a fourni la présentation de témoignages faux ou falsifiés », énonce le mandat d’arrêt émis le juge Tarfusser le 20 novembre.
Les enquêtes sur les crimes présumés ont débuté le 3 mai 2013 lorsque l’accusation a demandé au juge Tarfusser d’ordonner au greffe de la Cour de divulguer les informations concernant les communications de M. Bemba au centre de détention. Le juge a accédé à la demande le 27 mai 2013. Deux mois plus tard, le juge a autorisé l’interception des appels émis et reçus par M. Kilolo et M. Kabongo avec l’aide des autorités néerlandaises et belges.
En août, un avocat indépendant anonyme a été nommé pour examiner les journaux des communications téléphoniques des deux avocats de la défense et écouter l’enregistrement de leurs appels. L’avocat indépendant a déposé son premier rapport le 25 octobre. Le même mois, l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins de la Cour a reçu l’ordre de fournir au procureur les informations non communiquées sur les témoins de la défense Un deuxième rapport de l’avocat indépendant a été déposé le 14 novembre.
Le juge Tarfusser a déclaré que le rapport de l’avocat indépendant renfermait « une quantité considérable et vraiment remarquable d’éléments de preuve qui fournissent des informations et des détails à charge objectifs qui concernent directement les allégations factuelles du procureur.
D’après les preuves, outre le fait de procéder à des paiements aux témoins de la défense, M. Kilolo a versé aux débats au moins 14 documents qu’il savait être faux ou falsifiés. De plus, il aurait contacté plusieurs témoins de la défense avant, pendant et après leur comparution devant la CPI pour leur expliquer « quelles questions leur seraient posées et les réponses qu’ils devraient donner ».
Les procureurs ont également affirmé que M. Kabongo avait assisté M. Bemba et M. Kilolo en recevant « fréquemment » de l’argent via Western Union, en coachant les témoins et en rédigeant des instructions diffusées aux témoins. Il aurait également pris part à des appels privés échangés entre M. Bemba et M. Wandu, un associé de longue date de M. Bemba qui a été accusé d’avoir « directement ou indirectement » versé de l’argent aux témoins de la défense et aux membres de leurs familles.
Les procureurs ont également affirmé que les avocats de la défense avaient payé M. Arido pour qu’il fournisse des documents faux ou falsifiés et qu’il était un intermédiaire dans le transfert d’argent aux témoins.
Le juge Tarfusser a déclaré qu’appréhender les personnes accusées garantira leur comparution au procès et les dissuadera d’entraver ou de compromettre la procédure. Cela les empêchera également de commettre de nouveaux crimes.
Le juge a indiqué que les preuves montraient que, malgré sa détention, M. Bemba continuait à entretenir des relations politiques internationales et pouvait mobiliser des ressources financières afin d’empêcher des poursuites à son encontre ou à l’encontre de ses associés. Le juge a ajouté que les deux avocats de la défense ainsi que M. Wandu détenaient des documents de voyage qui pouvaient leur permettre de fuir la juridiction de la Cour.
Concernant M. Arido, le juge a déclaré qu’il ne s’était pas présenté pour témoigner devant la Cour à la date prévue et « étant donné que le visa, obtenu dans ce seul but avec l’aide de la Cour, a été détourné pour qu’il se rende en France, il a déjà démontré que la probabilité qu’il comparaisse volontairement devant la Cour est mince, si ce n’est inexistante ».
M. Arido est soupçonné d’être le ‘‘témoin D04-11’’ qui aurait dû témoigner en septembre 2012 mais qui n’a pas embarqué à bord du vol à destination de La Haye.
Le mandat d’arrêt a également autorisé la recherche et la saisie d’éléments pertinents dans la cellule de M. Bemba et dans les maisons et lieux de travail des autres suspects. Les autorités ont été également priées de localiser et de geler tous les avoirs de cette personne.
M. Bemba est détenu dans le quartier pénitentiaire de la CPI depuis juillet 2008. Il est accusé de manquement à discipliner ses troupes du Mouvement pour la libération du Congo lorsqu’elles agressaient des civils en République centrafricaine lors du conflit en 2002 et 2003. Il a plaidé non coupable au procès qui a débuté en novembre 2010.
Outre M. Arido, les autres suspects dans la nouvelle affaire sont détenus dans le centre de Scheveningen et ont fait une première comparution devant la Cour. Une série de conférence de mise en état est prévue jusqu’à mai 2014 pour le dépôt des éléments de preuve et pour les autres demandes faites par l’accusation et la défense. Par la suite, le juge Tarfusser rendra une décision par écrit sur la confirmation des charges.
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