13/05/2014
Angélique Mounier-Kuhn
Abdou Diouf: «Je suis favorable au multilinguisme; mais je veux aussi cultiver mon jardin.» (Reuters)
Le secrétaire général de la francophonie, Abdou Diouf, quittera son poste à la fin de l’année. Il était de passage lundi à Genève. L’occasion de défendre les missions de l’organisation.
Après deux mandats, Abdou Diouf quittera ses fonctions de secrétaire général de la francophonie à la fin de l’année. Son successeur sera désigné lors du prochain sommet de Dakar qui réunira, fin novembre, les chefs d’Etat des 57 membres et 20 observateurs de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). L’ancien président sénégalais était lundi de passage à Genève, notamment pour y signer deux accords de coopération avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Le Temps a pu le rencontrer en marge de ces réunions.
Abdou Diouf: Je vais vous répondre par une question. Ne pensez-vous pas que ce serait du gâchis que des pays qui ont en partage une langue, des affinités sur le plan culturel, administratif, ne se mettent pas ensemble pour peser dans les affaires du monde?
La question de la pertinence de l’OIF ne se pose pas. L’organisation est présente sur les cinq continents et accueille plus du tiers des membres des Nations unies.
Au-delà de la mission évidente de promotion du français, elle est devenue le porte-drapeau de la diversité linguistique, puisque le monde ne peut pas être dominé par une seule langue, et culturelle, à l’image de celle qui existe déjà au sein de l’OIF. C’est l’enrichissement mutuel entre les différents pays qui permet d’avoir une culture réellement universelle.
La convention sur la diversité culturelle a été adoptée à l’Unesco en 2005. A l’OIF, nous avons commencé à y penser dès 2001, et fait un travail de mobilisation fantastique. Au bout du compte, cette convention a été adoptée par tous les pays, à l’exception d’Israël et des Etats-Unis.
Quels sont les autres domaines d’intervention de l’OIF ?
La francophonie, c’est une langue et ce sont des valeurs. Elles s’expriment notamment dans notre engagement pour être une zone d’excellence, autant que possible, en matière d’Etat de droit, de gouvernance, de paix, de démocratie, de droits de l’homme, de prévention des conflits. Bien sûr, il y a des endroits où cela balbutie.
La francophonie est également très présente dans le domaine de l’éducation. Car, si nous voulons que l’espace francophone soit demain un espace de culture et de développement, il faut encourager l’enseignement. Nous nous sommes engagés très fortement en faveur des objectifs du millénaire, en particulier dans le domaine de la scolarisation universelle. Nous avons expérimenté avec beaucoup de succès, au Burundi et au Bénin, l’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (Ifadem). D’autres pays sont maintenant volontaires. Etant également le porte-drapeau de la diversité linguistique, nous avons lancé en Afrique le projet ELAN (Ecole et langue nationale) qui encourage l’enseignement bilingue.
La francophonie a également montré sa pertinence dans le domaine du développement durable avec l’Institut francophone du développement durable de Québec. Et ces dernières années, l’OIF a ciblé d’autres secteurs essentiels, horizontaux, liés à la place des femmes dans la société, les jeunes, ou le numérique.
Ainsi, le sommet de Dakar, en novembre prochain, aura pour thème, femmes et jeunes en francophonie, vecteurs de paix et acteurs de développement. Les chefs d’Etat nous ont par ailleurs demandé de préparer deux documents: une stratégie économique et une stratégie jeunesse de la francophonie.
Avec quels fiertés et regrets quitterez-vous la tête de la francophonie à la fin de l’année ?
Quand on regarde la francophonie, c’est souvent sous un angle institutionnel: les sommets, le secrétaire général et tous ses opérateurs.
Mais il y a une chose à laquelle nous n’avions jamais pensé pour la promotion de notre langue, c’est d’y associer les forces vives: les jeunes, les femmes, les entrepreneurs, les chercheurs, les professeurs, les étudiants ou les artistes.
Un premier forum a eu lieu en 2012 à Québec. Il a rencontré un succès tel que nous avons décidé qu’il aurait lieu tous les trois ans. Le prochain se tiendra en 2015 à Liège, en Belgique. De ça, je suis très fier.
Un regret ?
Deux pays continuent de manquer à la francophonie: l’Algérie et Israël. L’Algérie n’a pas fait le saut de sa candidature et Israël n’a pas déposé la sienne, car il sait qu’un pays s’y opposerait. Je ne dirai pas lequel.
Comment ne pas désespérer de cette Afrique francophone, Centrafrique, République démocratique du Congo ou Mali, déchirée par les conflits ? Et comment l’OIF peut-elle promouvoir la paix ?
Je ne désespère jamais. L’OIF peut agir par son plaidoyer.
A l’heure actuelle, je pousse tous nos Etats à envoyer des contingents pour la force que Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, va envoyer en Centrafrique en septembre.
Moi-même, je n’ai pas de troupes. Mais les Etats membres de la francophonie ont des moyens, il faut donc que je les persuade chaque fois d’être là.
L’essentiel, pour nous, c’est la diplomatie d’influence, que je pratique tous les jours.
Que représente pour vous le français ?
Pourquoi me poser cette question ? C’est tellement évident !
Quand j’étais enfant, le français était l’ascenseur social. Il fallait aller à l’école et bien parler le français.
J’aimais beaucoup les meetings du président Senghor. Les discours de cet agrégé de l’Université française étaient extraordinaires.
Le français est une belle langue, élégante et précise. Souvent, dans les traités qui sont en plusieurs langues, le français fait foi en cas de litige. C’est une langue qui peut rendre compte de toute la complexité de notre humanité. Nous devons continuer notre combat, pour sa promotion et celle de la diversité linguistique.
Savez-vous que l’organisation internationale avec laquelle je travaille le plus est le Commonwealth? Je suis favorable au multilinguisme; mais je veux aussi cultiver mon jardin. Je veux que le français reste l’une de ces langues internationales.
Nous ne sommes pas passéistes, mais au contraire très modernes, car nous allons dans le sens de la diversité.
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