05/07/2014
Stéphany Gardier
Identifier les cas et mettre en place des structures d’isolement
font partie
des actions menées sur le terrain par les ONG présentes,
Médecins sans frontières et la Croix-Rouge. (Crédit: MSF/Kjell Gunnar Beraas)
Face à l’ampleur sans précédent de l’épidémie de fièvre Ebola qui sévit en Afrique de l’Ouest, l’OMS a convoqué une réunion de crise. Un plan d’actions coordonnées a été établi
Mobiliser les leaders politiques et religieux, impliquer les populations, améliorer la communication et la sensibilisation, mutualiser les ressources logistiques et financières, travailler avec les pays qui ont déjà été touchés par le virus Ebola. Ce sont quelques-unes des mesures d’urgence décidées hier à Accra (Ghana), à l’issue d’une réunion de crise convoquée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour tenter de stopper l’épidémie de fièvre hémorragique qui sévit en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia depuis le mois de mars.
Depuis sa découverte en 1976, le virus Ebola a déclenché à plusieurs reprises des flambées de fièvres hémorragiques en Afrique. Mais jamais il n’y avait eu autant de cas, de décès, et de zones géographiques concernées. Une situation exceptionnelle qui complique terriblement la tâche des acteurs sur le terrain, et qui est la conséquence de différents facteurs.
«Aucun des pays touchés n’avait une expérience de ce virus et cela a rendu la situation complexe et difficile», explique Antoine Gauge, responsable adjoint des programmes de la cellule d’urgence de MSF-Suisse. Les premiers symptômes qui apparaissent après la période d’incubation (qui peut durer jusqu’à 21 jours) sont très peu spécifiques et peuvent être attribués à d’autres infections, la malaria notamment, fréquente dans cette région. Par ailleurs, le recours à la médecine traditionnelle et aux guérisseurs de village est encore très fréquent dans les zones rurales, ce qui ralentit encore l’identification des cas.
Il aura ainsi fallu presque trois mois entre la première contamination en Guinée et l’identification du virus. «MSF nous a envoyé des prélèvements biologiques qu’ils estimaient suspects, se souvient Sylvain Baize, responsable du Centre national français de référence des fièvres hémorragiques à Lyon. Nous avons confirmé le 21 mars qu’il s’agissait bien du virus Ebola.»
Ces trois mois ont été déterminants pour la propagation du virus. «Outre identifier les cas et les isoler, une autre action majeure dans la prise en charge d’une épidémie consiste à localiser toutes les personnes qui ont été en contact avec les cas avérés. Le suivi de ces contacts est fondamental pour stopper la chaîne de transmission, insiste Antoine Gauge. Or vous imaginez le nombre de personnes qui ont pu s’infecter durant les trois mois où personne ne se doutait de rien!»
La contamination par le virus se fait par contact avec les fluides corporels. Le simple fait de s’occuper d’une personne malade sans protection expose donc de manière importante à l’infection. Les rites funéraires sont une autre source majeure de contamination. La charge virale est maximale au moment de la mort et outre les soins apportés au corps pour le préparer à sa mise en bière, il est de coutume pour les proches d’embrasser le défunt. «Nous travaillons beaucoup sur le terrain pour encadrer les funérailles et faire en sorte que les familles puissent enterrer leurs morts sans prendre de risque», raconte Antoine Gauge.
La localisation de l’épicentre de l’épidémie dans la région de Guekedou a également favorisé la dissémination du virus, en Guinée mais aussi dans les pays voisins. «C’est une zone frontalière où les populations sont très mobiles, et où passe une route nationale très empruntée», précise Sylvain Baize. Il y aurait actuellement plus de 60 foyers d’infection dans les trois pays touchés, selon MSF.
La capitale guinéenne, Conakry, n’échappe pas à l’épidémie, comme l’agglomération de Monrovia, au Liberia. La présence du virus dans des zones urbaines où la promiscuité est importante favorise les contaminations. C’est aussi un risque de propagation en dehors des frontières, les populations urbaines étant plus susceptibles de se déplacer, en avion notamment. «Le risque d’exportation du virus reste aujourd’hui théorique, rassure Sylvain Baize. Il faut rappeler qu’en quarante ans, il n’y a eu qu’un seul cas de ce genre.» La Guinée a déjà mis en place des mesures pour détecter les passagers qui présenteraient des symptômes évocateurs. «Si un cas venait à se déclarer hors de l’Afrique, ce serait très négatif pour notre action sur place, commente Antoine Gauge. On peut craindre que cela engendre des mesures disproportionnées, qui mobiliseront beaucoup de matériel… autant que nous n’aurons plus! Nous l’avons déjà expérimenté lors de l’épidémie de SRAS, en 2003.»
Malgré toutes ces circonstances aggravantes, l’épidémie semblait contrôlée à la fin du mois d’avril. Le président guinéen Alpha Condé avait fait une déclaration en ce sens au siège genevois de l’OMS le 30 avril. Déclaration qui a soulevé beaucoup de reproches dès les semaines suivantes quand une seconde flambée d’infections a frappé le pays. «On ne peut pas blâmer M. Condé, estime Sylvain Baize. A ce moment-là les indicateurs étaient bons et tous les experts pensaient que le pire était passé. Il était même question de démonter le laboratoire mobile d’analyse P4 déployé sur place.» Les différents acteurs présents sur le terrain le soulignent, certaines personnes tentent de tirer profit de la situation de crise dans laquelle est plongée la Guinée. Or semer le doute, faire courir des rumeurs attise les peurs et fait le lit de résistances fortes de la part des populations. Un rejet des actions de contrôle et de prévention qui contribue à entretenir l’épidémie. «On sent la tension monter et des actes violents ont été perpétrés contre des humanitaires, rappelle Sylvain Baize. Si la situation se dégradait, l’envoi de personnel pourrait être remis en question.»
«Nous avons peut-être sous-estimé l’implication des communautés, pas assez écouté les familles, reconnaissait Pierre Formenty, expert de l’OMS au sortir de la réunion d’Accra. Nous allons travailler là-dessus, car sans l’adhésion des populations il est certain que nous ne pourrons pas lutter.» Selon l’expert, les deux jours de discussion, «sans langue de bois», auront permis de faire émerger une réelle solidarité entre pays. «Les trois pays touchés repartent avec une feuille de route validée par les experts internationaux, détaille Pierre Formenty. Quant aux huit pays de la sous-région où le virus ne sévit pas, ils ont en main un plan d’action pour faire face si des cas se déclaraient. Ce qui compte, c’est que les liens soient créés et les réseaux en place.» Une perspective d’actions coordonnées qui selon l’OMS devrait permettre de stopper l’épidémie. «On serait surpris de résoudre cette crise avant fin 2014», met en garde Antoine Gauge. Un avis confirmé jeudi par Keiji Fukuda, sous-directeur de la sécurité sanitaire de l’OMS: «Je pense que nous allons devoir faire face à cette épidémie pendant plusieurs mois.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire