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mercredi 1 septembre 2010

Pour rappel !

MONUC : les défis d'une mission de maintien de la paix.
par Pamphile Sebahara, chargé de recherche au GRIP
La présente étude a été réalisée par le GRIP à la demande de la Fondation Friedrich Ebert de Bonn (Allemagne) qui, au préalable, l'a diffusée en version allemande.
19 août 2005

Depuis sa création le 30 novembre 1999 par le Conseil de sécurité, la Mission de l'Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo[1] (Monuc) a connu des changements significatifs, à la fois au niveau de son mandat et de ses capacités. Cependant, cinq ans et demi après sa mise en place, la paix et la stabilité ne sont pas encore au rendez-vous en RDC. En effet, la persistance de la violence dans plusieurs régions du pays, notamment à l'Est (Nord et Sud Kivu ainsi que l'Ituri), les retards dans la préparation des élections générales et dans la mise en oeuvre des programmes DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion) et DDRRR (désarmement, démobilisation, rapatriement, réinstallation et réinsertion) montrent que les défis à relever restent nombreux si l'on veut doter le pays d'institutions stables et légitimes.
Depuis le début, une série de facteurs ont handicapé, directement ou indirectement, le déroulement de la plus grande intervention de maintien de la paix dans le monde aujourd'hui. L'adoption d'une approche plus ferme depuis la fin de l'année 2004 tend toutefois à redonner de la crédibilité à la Monuc.


1. Internationalisation de la guerre en République démocratique du Congo (RDC)

Pays aux ressources naturelles considérables, avec une population estimée en 2004 à 58 millions d'habitants dont 6,5 millions dans la capitale, Kinshasa, la RDC (ex-Zaïre) compte plus de 250 ethnies parlant plusieurs centaines de langues. Territoire égal à six fois l'Allemagne, la RDC est marquée depuis plus de dix ans par une instabilité politique et a connu deux guerres depuis 1996. La première a conduit à la chute du régime de Mobutu en mai 1997 et à la prise du pouvoir par l'Alliance des forces démocratiques de libération du Congo-Zaïre de Laurent Désiré Kabila. La seconde a opposé, à partir d'août 1998, le gouvernement de Kinshasa aux rébellions armées du Rassemblement congolais pour la Démocratie (RCD) appuyé par le Rwanda et du Mouvement de libération du Congo (MLC) soutenu par l'Ouganda. Pour faire face aux rébellions, Kabila a fait appel aux gouvernements d'Angola, du Zimbabwe, de la Namibie, et plus tard du Tchad et du Soudan. L'intervention des troupes étrangères a stabilisé le front mais le pays fut de facto divisé en trois parties contrôlées respectivement par le gouvernement Kabila à Kinshasa, le RCD à l'Est et le MLC au Nord[2].
Pour trouver une solution pacifique à cette guerre régionale, des efforts de médiations aboutissent à la signature d'un accord de cessez-le-feu à Lusaka (Zambie) le 10 juillet 1999 par tous les belligérants, à savoir le gouvernement de Laurent D. Kabila, le Mouvement de libération du Congo (MLC), le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD)[3], et les gouvernements de l'Angola, de la Namibie, du Rwanda, de l'Ouganda et du Zimbabwe. Cet accord prévoyait entre autres le départ des troupes étrangères de la RD Congo, des négociations politiques intercongolaises pour préparer une transition politique devant mener aux élections et le déploiement d'une Mission de l'Onu pour vérifier le respect des engagements par les protagonistes. Il dresse également la liste de groupes armés étrangers qui doivent faire l'objet d'un programme de DDRRR sous la supervision de l'Onu, parmi lesquels les ex-Forces armées rwandaises (Far) et les milices Interahamwe.
Pour répondre à la demande des signataires de l'Accord de Lusaka et contribuer au retour de la paix et de la stabilité, le Conseil de sécurité crée la Monuc le 30 novembre 1999 (résolution 1279). La mise en oeuvre de cet Accord rencontrera beaucoup d'obstacles et de blocages. D'où un bilan mitigé après plus de cinq années d'existence.

2. De l'observation du cessez-le-feu au maintien de la paix

La Monuc a connu à ce jour sept phases importantes dans l'évolution de son mandat et de ses capacités d'action (voir tableau). La phase 1 concerne la préparation de l'intervention de l'Onu en RDC avec l'envoi sur place de 90 soldats en novembre 1999, suivi progressivement par 500 observateurs militaires. La phase 2 voit le lancement proprement dit de la mission onusienne avec la résolution 1291 du 24 février 2000 : envoi de 5.537 militaires en RDC, plus le personnel d'appui nécessaire, avec le mandat de surveiller la cessation des hostilités, le désengagement des forces et le retrait des forces étrangères, dans le cadre du respect de l'Accord de Lusaka ainsi que pour faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire. Il faut souligner que la résolution est prise d'emblée en vertu du chapitre VII de la Charte de l'Onu. Ainsi, dès cette date, la Monuc dispose d'un mandat lui permettant de « protéger les civils se trouvant sous la menace imminente de la violence physique »[4].
Les résolutions 1355 (15 juin 2001) et 1376 (9 novembre 2001) inaugurent la phase 3 de la Monuc avec l'élargissement de son mandat aux aspects de désarmement, démobilisation, rapatriement, réinstallation et réinsertion (DDRRR) des groupes armés étrangers se trouvant sur le territoire congolais. Ce programme DDRRR vise principalement les ex-Forces armées rwandaises et les milices Interahamwe rwandaises, et est censé se faire sur base volontaire. La phase 4 renforce les opérations DDRRR de la Monuc par la résolution 1445 (4 décembre 2002) qui autorise l'augmentation de son effectif jusqu'à 8.700 soldats afin de lui permettre de mener à bien ses activités dans un environnement dangereux.
Il convient de noter à ce stade qu'après plusieurs violations de l'Accord de cessez-le-feu en 2000 et 2001, l'année 2002 a donné une nouvelle impulsion au dialogue pour la recherche de solutions pacifiques à la guerre en RDC. Le Dialogue inter-congolais a été officiellement lancé le 25 février 2002 à Sun City (Afrique du Sud) et a abouti à la signature de l'Accord global et inclusif le 17 décembre 2002 à Pretoria. Le gouvernement de la RDC a signé des accords avec le Rwanda et l'Ouganda respectivement à Pretoria le 30 juillet 2002 et à Luanda le 6 septembre 2002 , pour leur désengagement et le retrait de leurs troupes du territoire congolais. Toutefois, sur le terrain, les violations des droits de l'homme, y compris les massacres de populations civiles, se sont multipliées, notamment en Ituri, et de nouveaux groupes armés, non signataires de l'Accord de Lusaka, ont vu le jour. Face à l'incapacité de la Monuc de mettre fin aux violations graves des droits de l'homme en Ituri, le Conseil de sécurité autorise, pour trois mois, le déploiement d'une force multinationale de l'Union européenne à Bunia, avec de réelles capacités de combat. Ce sera l'opération Artémis autorisée par la résolution 1484 du 30 mai 2003.
La phase 5 de la Monuc est tout aussi capitale pour le renforcement de ses capacités d'action. En effet, pour lui permettre de prendre la relève de la force multinationale au 1er septembre 2003 à Bunia, la résolution 1493 du 28 juillet 2003 renforce les aspects militaires et humanitaires de la mission. D'une part, elle autorise la Monuc « à utiliser tous les moyens nécessaires pour s'acquitter de son mandat (notamment protéger les civils et les agents humanitaires sous la menace de violences physiques) dans le district de l'Ituri et, pour autant qu'elle l'estime dans les limites de ses capacités, dans le Nord et le Sud Kivu ». D'autre part, elle autorise l'augmentation de l'effectif militaire jusqu'à 10.800 hommes. La même résolution décrète un embargo sur les armes à destination des groupes armés étrangers et congolais opérant à l'Est de la RDC[5]. Pour montrer son appui au Gouvernement d'unité nationale et de transition mis en place le 30 juin 2003, la résolution 1493 encourage la Monuc à apporter assistance, durant la période de transition, à la réforme des forces de sécurité (y compris la formation de la police et l'appui au programme DDR sur base volontaire), au rétablissement de l'État de droit et à la préparation et à la tenue des élections.
Pour donner à la Monuc les moyens de faire respecter l'embargo sur les armes à destination de l'Est de la RDC, le Conseil de sécurité autorise la Monuc le 12 mars 2004 (résolution 1533) à « saisir ou recueillir, comme il conviendra, les armes ou tout matériel connexe dont la présence sur le territoire de la RDC constituerait une violation des mesures imposées par l'article 20 de la résolution 1493 (l'embargo sur les armes), et à disposer de ces armes et matériels d'une manière appropriée ».
La phase 6, inaugurée par la résolution 1565 du 1er octobre 2004, vise une nouvelle fois à donner à la Monuc les moyens nécessaires à l'accomplissement de ses nouvelles missions. Le Conseil de sécurité autorise l'augmentation des effectifs jusqu'à 16.700 militaires, soit 5.900 hommes supplémentaires, alors que le Secrétaire général de l'Onu en demandait 23.900[6]. Il prévoit également « le déploiement du personnel civil approprié, des moyens de mobilité aérienne appropriés et proportionnés et d'autres moyens de mise en oeuvre, et se déclare résolu à continuer à examiner régulièrement l'effectif et la structure de la Monuc, en tenant compte de l'évolution de la situation sur le terrain » (art. 3). Le mandat adopté en juillet 2003 est reconduit avec un accent entre autres, sur la protection des civils et des agents humanitaires sous la menace de la violence, la surveillance du respect de l'embargo sur les armes à destination de l'Est du pays, l'appui au Gouvernement de transition dans ses différents programmes, notamment les actions DDR et DDRRR et l'amélioration de la sécurité, y compris celle des institutions et la protection des hautes personnalités à Kinshasa. Il recommande également d'établir des relations de collaboration avec la mission de l'Onu au Burundi (Onub).
La phase 7 de l'évolution de la Monuc renforce l'approche offensive et de fermeté adoptée en octobre 2004. La résolution 1592 du 30 mars 2005 insiste sur le fait que la Monuc est autorisée à « utiliser tous les moyens nécessaires, dans la limite de ses capacités et dans les zones de déploiement de ses unités, pour dissuader toute tentative de recours à la force qui menacerait le processus politique, de la part de tout groupe armé, étranger ou congolais notamment les ex-Far et Interahamwe, et pour assurer la protection des civils sous la menace imminente de violences physiques » (art. 7). Elle souligne également que la Monuc peut « utiliser des tactiques d'encerclement et de recherche pour prévenir des attaques contre les civils et perturber les capacités militaires des groupes armés illégaux qui continuent de faire usage de la violence », notamment à l'Est de la RDC. (art. 7). Enfin, elle demande au gouvernement congolais « d'établir avec la Monuc un concept conjoint d'opération en vue du désarmement des combattants étrangers par les Forces armées de la RDC, avec l'assistance de la Monuc, dans la limite de son mandat et ses capacités » (art. 5). C'est dans ce cadre que la Monuc a donné un ultimatum aux groupes armés de l'Ituri pour leur désarmement le 1er avril 2005. C'est aussi à l'occasion de ces opérations d'encerclement et de recherche[7] que la Monuc a perdu neuf casques bleus tués par les groupes armés. Ceci n'a fait qu'accentuer la fermeté de la Monuc dans la mesure où une opération ultérieure du même genre a fait 50 victimes dans les rangs des milices de l'Ituri.
Pour mieux contrôler la circulation d'armes en RDC, le Conseil de sécurité a élargi l'embargo à l'ensemble de la RDC par sa résolution 1596 du 18 avril 2005[8]. Toutefois, la surveillance du respect de l'embargo, pour la Monuc, reste concentrée sur le Nord et le Sud Kivu et dans l'Ituri. Un groupe d'experts est chargé de vérifier l'application de la résolution.

Aujourd'hui, la Monuc compte environ 16.700 militaires venant d'une cinquantaine de pays. Compte tenu de la persistance de l'insécurité dans le pays et la perspective des élections générales qui doivent mettre fin à la transition politique au plus tard le 30 juin 2006, des besoins supplémentaires en hommes et en logistiques seront nécessaires. Dans ce cadre, le Secrétaire général de l'Onu recommande au Conseil de sécurité d'accroître l'effectif militaire de 2.590 hommes pour porter l'effectif total à 19.290 militaires d'ici octobre 2005[9].Cette brigade supplémentaire comprenant trois bataillons permettrait à la Monuc de déployer une partie de ses effectifs dans le Nord et le Centre du Katanga et à Mbuji Mayi où règnent des tensions qui risquent de s'amplifier pendant le processus électoral.

3. De nombreux défis à relever

Les missions assignées à la Monuc depuis juillet 2004 (résolution 1493) sont nombreuses. Elles concernent les principaux défis que tous les acteurs congolais, régionaux et internationaux doivent relever pour ramener la paix et la stabilité en RDC et dans la sous-région des Grands Lacs :

– contribuer à la réforme du système de sécurité, à travers la formation d'une armée et d'une police nationales intégrées sur base des troupes des ex-forces gouvernementales et des anciennes rébellions. C'est une des conditions indispensables pour assurer l'ordre public sur l'ensemble du territoire ;
– appuyer le processus de construction de l'État de droit par la préparation et l'organisation des élections générales pour doter le pays d'institutions stables et légitimes ;
– appuyer la planification et la mise en oeuvre du programme DDR des anciens combattants ;
– collaborer avec les forces armées congolaises dans la réalisation du programme DDRRR, notamment pour les ex-Far et Interahamwe rwandais dont la présence à l'Est de la RDC depuis juillet 1994 constitue une des sources d'instabilité dans la région ;
– porter assistance aux populations civiles menacées conformément au chapitre VII de la Charte de l'Onu.
Enfin, le mandat de la Monuc implique non seulement le maintien de la sécurité, mais aussi l'acheminement de l'aide humanitaire[10], le respect des droits de l'homme, l'appui au règlement politique du conflit et à la mise en place des nouvelles institutions démocratiques. Dans ce contexte, l'autre principal défi concerne la mobilisation des ressources financières et humaines nécessaires à la réalisation de ces missions. Cependant, comme l'a rappelé en 2003 l'ambassadeur William L. Swing, Chef de la Monuc, la réussité de la transition politique – et donc du retour à la paix- incombe en premier lieu aux leaders congolais[11].

4. Tirer les leçons

L'analyse de la mise en oeuvre du mandat de la Monuc conduit à dresser un bilan mitigé de son action, voir négatif pour certains observateurs. Plusieurs facteurs y ont joué un rôle. D'une part, certaines difficultés rencontrées étaient prévisibles à cause, entre autres, de la superficie de la RDC, de l'existence de plusieurs groupes armés et de l'implication de plusieurs pays étrangers dans la guerre. D'autre part, l'environnement volatil dans lequel la Monuc évolue exige une adaptation permanente. Il est caractérisé par une pluralité d'acteurs : non seulement les signataires de l'Accord de cessez-le-feu de Lusaka mais aussi de nombreux groupes armés qui ont émergé depuis lors. D'où le choix entre la négociation avec ces derniers ou l'imposition de la paix si l'on veut maintenir la stabilité. Entre ces deux positions, la Monuc semble avoir choisi l'immobilisme durant les quatre premières années de son mandat.
En outre, le fait que la mission onusienne ait précédé la signature d'un accord de paix entre belligérants est une des caractéristiques de la Monuc. En effet, il a fallu attendre deux ans entre sa création et la signature de l'Accord global et inclusif du 17 décembre 2002. Ce décalage explique peut-être les lenteurs et les difficultés de mise en oeuvre du programme DDR avant l'instauration du Gouvernement d'union nationale le 30 juin 2003. Ensuite l'évolution rapide du cadre juridique de l'intervention et l'insuffisance de ses capacités opérationnelles par rapport à l'étendue du territoire congolais ont handicapé le déroulement des actions sur le terrain. Si d'un côté, la multiplication des résolutions du Conseil de sécurité témoigne de son intérêt pour la situation de la RDC, de l'autre on peut se demander si cela n'a pas eu pour effet de déstabiliser les responsables de la mission qui devaient s'adapter en permanence aux injonctions du Conseil de sécurité ainsi qu'aux réalités du terrain.
Par ailleurs, l'approche plutôt défensive qui a caractérisée les quatre premières années de la Monuc a placée celle-ci fortement en retrait par rapport à son mandat, qui était d'emblée inscrit dans le cadre du chapitre VII de la Charte de l'Onu. Ainsi l'absence de réaction face aux menaces encourues par les populations civiles a contribué à discréditer la mission dans une partie de l'opinion publique congolaise et régionale. Trois moments illustrent l'immobilisme de la mission onusienne : la bataille de Kisangani entre les soldats rwandais et ougandais en 2000, les combats entre les milices armées à Bunia au printemps 2003 et la prise de Bukavu en juin 2004 par les troupes du général Nkundabatware et du colonel Mutebuse dissidents de l'armée congolaise[12].
Toutefois l'adoption d'une approche plus ferme et l'augmentation des capacités opérationnelles de la Monuc depuis octobre 2004 donnent déjà des résultats. D'une part, le désarmement de douze mille miliciens en Ituri, d'autre part, l'annonce du 31 mars 2005 par les ex-Far et Interahamwe rwandais d'un cessez-le-feu unilatéral et de leur volonté de coopérer avec la Monuc pour leur désarmement et leur rapatriement au Rwanda. Autrement dit, une approche pro-active et des moyens de dissuasion conséquents donnent à présent à l'Onu l'espoir de pouvoir contribuer significativement au retour de la paix en RDC. Malheureusement, un scandale d'abus sexuels commis par certains membres de la Monuc en 2004 l'a à nouveau discréditée.

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