Prix du jury au Festival de Cannes en mai 2010.
Film franco-tchadien de Mahamat Saleh Haroun avec Youssouf Djaoro, Diouc Koma, Hadjé Fatimé N'Goua, Djénéba Koné. (1 h 32.)
Le héros d'Un homme qui crie s'appelle Adam. Forcément, il est homme et pécheur. Son péché ressemble à celui qu'Abraham aurait commis si Dieu n'avait arrêté son bras au moment où il s'apprêtait à sacrifier Isaac.
Dans les rues de N'Djamena, la capitale du Tchad, tout le monde appelle Adam "champion". Parce qu'il fut le meilleur nageur d'Afrique centrale, il y a longtemps. Et parce qu'il a réussi à préserver cette gloire à travers les ans grâce à un emploi prestigieux : maître- nageur à la piscine de l'un des seuls hôtels internationaux de la ville. Adam est assisté par son fils Abdel.
Dans le temps incertain que décrit le film (le scénario s'inspire de plusieurs épisodes de l'histoire tchadienne sans identifier précisément l'époque des faits), l'hôtel est dirigé par une Chinoise et fréquenté par des soldats qui portent les casquettes bleues des Nations unies. La ville est survolée par des avions et des hélicoptères, et la télévision nationale appelle à serrer les rangs derrière le gouvernement pour faire face à la rébellion.
Adam essaie désespérément de ne pas entendre la rumeur du monde, mais elle est plus forte que tout. La patronne de l'hôtel le déchoit de son titre de maître-nageur pour confier le poste à Abdel. Et, dans son quartier, son patriotisme est mis en doute : on lui demande de le prouver en offrant son fils unique à l'armée gouvernementale.
Mahamat Saleh Haroun est obsédé par la paternité. Chez lui, les pères sont à la fois irresponsables et omnipotents, jouant de la vie de leurs héritiers sans jamais en assumer les conséquences. On peut voir là une image des dirigeants africains d'après les indépendances. L'image qu'il offre là d'un désarroi à l'échelle d'un continent suffirait à saisir l'attention.
Intensité lyrique
Un homme qui crie n'est pas seulement une parabole. C'est la tragédie d'un vrai père, de chair et de sang. Pour ce film, Mahamat Saleh Haroun a retrouvé le très impressionnant interprète de Daratt, Youssouf Djaoro, de qui émane une autorité naturelle si forte que la moindre atteinte qui y est portée résonne comme un coup de tonnerre. Sa longue silhouette, engoncée dans un uniforme de gardien trop petit pour lui (après son limogeage de la piscine), exprime toutes les humiliations. Le réalisateur dépeint avec attention et tendresse une famille à peine prospère, dans laquelle la mère (Hadjé Fatimé N'Goua) négocie une trêve perpétuelle entre ses deux hommes.
Ce bonheur, que l'on sait menacé dès le départ, vole en éclats avec la guerre. Cette guerre est sans doute la raison d'être d'Un homme qui crie. Le plus souvent, les films de guerre ont pour héros des combattants, victorieux ou défaits. On ne verra pas beaucoup d'uniformes, encore moins d'armes dans ce film. Et pourtant la guerre devient omniprésente, dans chaque plan. On la retrouve dans la peur qui habite les regards, dans le vide qui envahit les rues d'une ville qui n'arrête d'ordinaire jamais de grouiller. Ce cancer de la guerre a gagné jusqu'au coeur du bonheur d'Adam, qui va essayer de réparer sa faute.
On ne peut nier la beauté de cette dernière partie d'Un homme qui crie. Elle parvient souvent à l'intensité lyrique que le cinéaste a voulue. Cette beauté est aussi fragile, parce que Mahamat Saleh Haroun n'a pas eu tout à fait les moyens nécessaires à la pleine expression de sa vision. C'est d'autant plus rageant que la séquence de l'exode de la population de N'Djamena montre bien que le cinéaste sait passer au grand format lorsque son propos le commande. A cette réserve près, Un homme qui crie emprunte son titre à Aimé Césaire : "Car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un pro-scenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse."
Cette pensée, sous une formulation ou une autre, vient souvent face à un écran de cinéma où défilent vingt-quatre images de misère par seconde. Jamais elle ne traverse l'esprit à la vision du film de Mahamat Saleh Haroun. Question de respect à l'égard des personnages comme des spectateurs.
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