Le Soir
Samedi 13 novembre 2010
MUNSTER,JEAN-FRANCOIS
Cent mille enfants victimes des pires formes de travail dans les plantations de cacao en Afrique.
L’esclavage des enfants, c’est dégoûtant. » Pour illustrer le slogan, une petite fille à la bouche barbouillée de chocolat fait la grimace sur l’affiche. La campagne Oxfam Magasins du monde qui culmine le week-end prochain avec l’organisation des petits-déjeuners interpelle et dérange forcément nos consciences. Aucun produit n’est sans doute plus associé au plaisir que le chocolat. Plaisir gâché quand on sait que plus de 100.000 enfants en Côte d’Ivoire et au Ghana, deux pays qui représentent à eux seuls 60 % de la production mondiale de cacao, sont victimes des pires formes de travail. Charges excessives à porter, exposition à des pesticides sans protection, utilisation d’outils dangereux (machettes…) mais aussi trafic et esclavage.
D’autres chiffres circulent. Il est difficile d’avoir une vue globale sur un tel phénomène. La culture du cacao dans cette région d’Afrique est avant tout une activité familiale. Les plantations sont de très petite taille. En Côte d’Ivoire, environ 2,5 millions de petits producteurs et leurs familles vivent du cacao. Si les parents font travailleur leurs enfants, c’est avant tout une conséquence de la pauvreté qui frappe ce pays. « Les prix du cacao sont devenus tellement peu rémunérateurs qu’il est impossible pour ces fermiers d’engager de la main-d’œuvre durant la haute saison, explique Sié Kambou, en charge de la protection des enfants pour l’UNICEF à Abidjan (Côte d’Ivoire). Le taux de pauvreté était de 10 % en 1985. En 2008, il est passé à 49 %.Un appauvrissement qui a différentes raisons : des prix du cacao trop bas, la libéralisation du secteur, la guerre civile, la faible productivité des exploitations… Le manque d’école dans les campagnes et le coût que représente la scolarité favorisent aussi le travail des enfants. Si le taux de scolarisation est de 80 % dans les villes, il peut chuter à 18-20 % dans certaines zones du sud-ouest du pays.
Toute forme de travail des enfants n’est pas toujours en soi condamnable. « Il faut faire la différence entre l’exploitation et le travail socialisant, insiste Mariame Touré, chargée de projet auprès de Kavokiva, une coopérative agricole certifiée commerce équitable qui regroupe 5.800 producteurs dans le centre-ouest du pays. Elever un enfant, c’est aussi lui transmettre le métier, lui apprendre le travail des champs. Qu’un enfant vienne aider ses parents dans la plantation ne pose pas de problème à condition qu’on lui réserve des tâches adaptées à son âge et que cela se passe en dehors des heures d’école ». Ce n’est pas toujours le cas. Bien souvent par ignorance des dommages que cela peut causer, les enfants sont amenés à porter des charges très lourdes sur leur dos, à utiliser des machettes ou à pulvériser des pesticides sans masque. « Il y a tout un travail pédagogique à mener pour expliquer aux parents pourquoi c’est dangereux ». Kavokiva a mis en place un système de contrôle interne. Dans chaque village, des comités composés du chef de village, de représentants des jeunes, des femmes… ont été créés afin de sensibiliser les parents au problème, de surveiller ce qui se passe et éventuellement de dénoncer ceux qui, malgré les mises en garde, continueraient à confier à leurs enfants des tâches dangereuses.
Un problème plus limité en ampleur mais d’une toute autre dimension est celui de la traite des enfants. On estime que ces dernières années 10.000 enfants ont été vendus par des trafiquants à des exploitants de plantations en Côte d’Ivoire. Il s’agit souvent d’enfants venant de pays frontaliers comme le Mali ou le Burkina Faso. « Ils ont entre 9 et 16 ans, explique Robale Kagohi, le coordinateur en Côte d’Ivoire de l’ICI (International cocoa initiative), une organisation internationale financée par l’industrie et mise sur pied pour lutter contre le travail des enfants dans le cacao. Les parents confient leurs enfants à un trafiquant, contre la promesse de toucher à la fin de la saison le salaire de celui-ci ».
Cela fait près de 10 ans que le problème du travail des enfants est dénoncé et que l’industrie du chocolat s’est engagée à le combattre. En 2001, sous l’impulsion des sénateurs américains Harkin et Engel, celle-ci a signé un protocole promettant de mettre en place pour 2005 au plus tard un système de certification garantissant un cacao produit sans recours aux pires formes de travail des enfants. La promesse n’a pas été tenue. On est en 2010 et encore loin du compte. Le dernier rapport d’évaluation rédigé par l’université américaine de Tulane est éloquent. En Côte d’Ivoire, 97,46 % des communautés cultivant le cacao n’ont pas été touchées par les programmes de remédiation qui devaient être mis en place pour lutter contre le phénomène. Au Ghana, ce taux est de 86,3 %. Selon Oxfam Magasins du monde, l’industrie préfère se focaliser sur des programmes de formation des cultivateurs afin qu’ils puissent produire plus et mieux, plutôt que sur l’amélioration des conditions de travail. Pour l’ONG belge, le consommateur peut faire pression sur cette dernière en achetant du chocolat certifié commerce équitable. Un label qui garantit que la friandise a été fabriquée sans exploiter un enfant mais qui permet aussi de lutter contre la principale raison de cette exploitation : la pauvreté.
La Belgique, pays roi du chocolat, s’implique très peu
Belgique et chocolat. Deux mots indissociables liés à l’étranger. Une fierté nationale. Le made in Belgium est un label de qualité à ce point recherché qu’un chocolatier sud-coréen est venu s’installer récemment en Wallonie pour produire sur place et exporter ensuite vers son pays d’origine. Toute cette économie du chocolat a des retombées positives pour le pays. Mais en retour, la Belgique fait-elle suffisamment d’efforts pour promouvoir une filière du cacao plus respectueuse des producteurs dans le sud ? Pour l’ONG néerlandaise Somo, auteur d’une étude sur le sujet, la réponse est clairement non.
Les faits tout d’abord. La Belgique joue un rôle central dans l’industrie chocolatière. Le port d’Anvers constitue la seconde porte d’entrée européenne (après Amsterdam) pour les fèves de cacao. 75 à 80 % d’entre elles proviennent d’Afrique de l’ouest. Si la plupart de celles-ci partent ensuite vers les pays voisins où se situent les grandes unités de broyage, la Belgique conserve deux sociétés de taille dans ce domaine : Barry-Callebaut et Kraft Foods. C’est surtout au niveau de l’étape suivante, la production de chocolat industriel qu’elle occupe un rôle de leader. Barry-Callebaut possède près d’Alost la plus grande chocolaterie au monde (270.000 tonnes). Cargill, Belcolade (Puratos), Schokinag ont aussi d’importantes capacités. La majorité de leur production est exportée. Le reste approvisionne les chocolatiers locaux. La fédération professionnelle Chopabrisco en compte une cinquantaine. Ils réalisent un chiffre d’affaires total de 3,4 milliards d’euros et emploient plus de 6.000 personnes. Même si le Belge consomme beaucoup de chocolat (8,9 kg par personne, 4ème position mondiale), il ne peut absorber toute la production. Beaucoup réalisent l’essentiel de leurs ventes à l’étranger. Guylian, Godiva, Neuhaus et Leonidas exportent 80 à 90 % de leur production.
Le chocolat donne beaucoup à la Belgique mais la Belgique lui rend-il ? Coté entreprises, Somo constate que nos chocolatiers ne produisent qu’une faible quantité de chocolat durable (l’équitable pèse moins de 1 %). Les choses bougent néanmoins. Kraft, leader du marché, veut que tous ses produits Côte d’Or soient certifiés Rain Forest alliance (label durable) d’ici 2012. En 2011, Barry Callebaut va lancer quatre nouveaux produits labellisés commerce équitable s’adressant aux professionnels : restaurateurs, pâtissiers…
L’étude de Somo pointe aussi du doigt le rôle du gouvernement belge qui, s’il ne perd pas une occasion de mettre en avant le chocolat belge à l’étranger, est peu à la pointe lorsqu’il s’agit de travailler à l’amélioration des conditions de vie des petits producteurs. Il n’a pas participé à la Table ronde pour une économie durable du cacao, une initiative internationale regroupant tous les acteurs du monde du cacao, et ce alors que des pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne ou la Suisse y ont joué un rôle déterminant. Il n’a pas organisé de table ronde nationale et n’a pas de représentant propre à l’ICCO, l’organisation internationale du cacao, « ce qui est plutôt inhabituel pour un pays qui a des intérêts si importants dans le cacao », note le rapport. Le gouvernement belge soutient bien deux projets en Côte d’Ivoire pour lutter contre les pires formes de travail des enfants mais « le processus n’est pas transparent et les résultats peu clairs ».
Pour Somo, la Belgique aurait pourtant une belle carte à jouer : donner plus de valeur encore à la marque « made in Belgium » via l’ajout d’une dimension durable, en veillant à ce que tout le secteur du chocolat en Belgique s’engage dans cette voie et en s’impliquant davantage dans les cénacles internationaux.
agenda
La dix-neuvième édition des petits déjeuners Oxfam Magasins du monde aura lieu le week-end du 20–21 novembre. Près de 200 lieux en Wallonie et à Bruxelles seront ouverts samedi et dimanche matin pour permettre à tous de venir goûter les produits issus du commerce équitable. L’événement attire en moyenne 40.000 personnes. Les produits chocolatés seront cette année particulièrement mis en évidence.
Information sur les lieux des petits déjeuners sur www.omdm.be.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire