MOUTON,OLIVIER
Le Soir
Samedi 13 novembre 2010
Ligablo, bibliothèque royale de Belgique, Mont des Arts à Bruxelles, du 18/11/2010 au 15/01/2011. Entrée gratuite.
Notre ancienne colonie fête les 50 ans de son indépendance. Après les rappels historiques, place à une immersion subjective à la Bibliothèque royale de Belgique. La canne de Mobutu, des savons, des billets… : l’imaginaire d’un peuple s’expose. Nom de code ? Ligablo.
Nous voulions lutter contre la fatigue du regard à l’égard du Congo, donner une image différente du pays à l’occasion du 50e anniversaire de son indépendance. Evoquer l’imaginaire des Congolais au quotidien tout en privilégiant l’interactivité avec les visiteurs. »
Les yeux de Toma Muteba Luntumbue pétillent. Cet artiste, professeur à l’Ecole nationale supérieure des arts visuels de La Cambre et à l’Ecole de recherche graphique de l’institut Saint-Luc, est le curateur de l’exposition baptisée « Ligablo », qui prend ses quartiers jeudi au cœur de la bibliothèque royale de Belgique, au centre de Bruxelles. « Notre regard est forcément plus subjectif que celui des historiens ou des médias, sourit-il. Tous ces objets permettent des résonances affectives avec le pays. »
De la canne de Mobutu au savon utilisé chaque jour par les habitants de Kin’ en passant par le maillot de foot des léopards vainqueurs de la coupe d’Afrique des nations en 1974, un univers se dévoile, tout simplement. Avec quelques lignes de textes et des images vidéo pour en donner le contexte. « Les objets sont présentés sur des reproductions de ligablos, ces présentoirs que l’on trouve partout à Kinshasa, explique Toma Muteba Luntumbue. Mais ce sont davantage que des présentoirs, ce sont des lieux de vie, des forums où les gens se rencontrent et discutent politique. Ce sont des actes de résistance économique, c’est vrai, mais ils témoignent également d’un phénomène urbain comme il y en a partout dans le monde. »
La scénographie muséale se transforme alors en reflet de la réalité, on déambule dans ce lieu de passage qu’est une bibliothèque en capturant l’air du temps congolais. « Notre vision ne nie pas les guerres et les souffrances, mais elle ouvre la porte vers des aspects plus positifs de la réalité congolaise », souligne encore le curateur. Sans prétention, en finesse, « Ligablo » met le visiteur en contact avec ce que la télévision ne montre pas toujours : la vie.
L’histoire
Secoué par sa lutte d’émancipation, dominé par l’autoritarisme de ses dirigeants, balayé par les guerres, le Congo n’a pas une histoire de tout repos. Le premier objet que l’on découvre dans l’exposition, c’est le sabre du roi Baudouin, celui qui lui avait été dérobé à la veille de l’indépendance, le 29 juin 1960. Un acte symbolique. « Il fait face à la canne de Mobutu, explique Toma Muteba Luntumbue, curateur de « Ligablo ». Leur confrontation symbolise le changement de pouvoir, mais aussi la continuité de l’autorité. Avec deux légitimités différentes, la première coloniale et civilisationnelle, l’autre plus authentique et marquant un retour aux sources. » Ce sont là des objets forts dont le visiteur se demandera l’authenticité. Réponse ? « Nous ne présentons pas des reliques du passé, mais des éléments d’un récit que le visiteur peut interpréter de façon subjective », précise le curateur.
Plus loin, une paire de bottes en caoutchouc. Rien de plus commun, de plus banal. « C’est pourtant le symbole de la victoire d’une armée de va-nu-pieds contre la Division spéciale présidentielle de Mobutu, raconte Toma Muteba Luntumbue. Celle de ces enfants-soldats qui ont amené Laurent-Désiré Kabila au pouvoir en 1997. »
On trouvera aussi, au fil des ligablos, les lunettes de patrice Lumbumba, le dossard d’un agent électoral lors du retour à la démocratie ou encore ce minerai de coltan qui est à l’origine de tant de passions guerrières.
La mythologie
C’est le conte de fées d’une équipe de football redorant le blason congolais. Sous le nom de Congo Kinshasa en 1968, puis sous celui de Zaïre en 1974, les « Léopards » – emmenés alors par un attaquant redoutable nommé Mulamba Ndaye – remportent la Coupe d’Afrique des nations, principal tournoi continental. « Mobutu saura utiliser ce triomphe pour glorifier son pouvoir », explique le curateur de « Ligablo ». Des coupures de presse et un maillot authentique sont présents à la Bibliothèque royale de Belgique pour en témoigner. La même année, 1974, a lieu à Kinshasa le combat de boxe du siècle entre George Foreman et Mohamed Ali. « Il a situé le Congo sur la carte du monde », explique Toma Muteba Luntumbue. Et conforté, là encore, un Mobutu utilisant le léopard comme symbole de son pouvoir authentique. De singuliers gants de boxe sont là pour en témoigner.
Au même titre que le sport, la musique nourrit la mythologie congolaise. Des rythmes venus d’ailleurs pour se déhancher : la rumba. « Elle est représentée dans l’exposition par une guitare Almaz faite par des luthiers congolais avec des bouts de ficelle. La rumba, venue d’Espagne puis de Cuba, témoigne du caractère poreux et ouvert de la société congolaise. » Dont le pouvoir politique s’est emparé, là encore.
La vie
Ce sont les savons qu’utilisent tous les habitants de Kinshasa. Des petites briques anecdotiques qui constituent le parfum d’une ville et en disent beaucoup sur la vie des Congolais. « Notre exposition témoigne de la survie d’un peuple, mais aussi et surtout de son incroyable créativité », explique le curateur de « Ligablo ». Tant et tant d’objets proposés aux passants sur ces présentoirs de fortune se retrouvent dans les travées de la Bibliothèque royale à Bruxelles. Des bières brassées au Congo dont les bouteilles défient le temps – ainsi en est-il de la célèbre Skol. Des cheveux artificiels pour les dames et des fers à repasser au charbon de bois (les « mbaboula »), aussi – « parce que les coupures de courant sont fréquentes et que Kinshasa est une ville qui veut rester élégante en permanence ». Des téléphones mobiles, encore, « vraiment utiles tant les lignes fixes sont mauvaises ». Les omniprésentes entreprises de télécommunication Vodacom et Celtel sont d’ailleurs devenues les nouveaux faiseurs de rois au Congo.
Vous trouverez enfin, au détour d’un ligablo, la photo d’un « tchukudu ». Qu’est-ce donc ? Un vélo en bois tel que l’on en fabrique dans l’est du Congo. « Ce ne sont pas des jouets, ce sont de vrais vélos robustes dont les suspensions peuvent supporter de 300 à 400 kilos », précise Toma Muteba Luntumbue. La créativité, encore et toujours, dans une zone que les violences n’ont pas épargnée.
L’identité
« Ces objets véhiculent une identité officielle, souligne le curateur de « Ligablo ». Pour les Congolais, ils n’ont cessé de changer au cours du temps et des modifications successives du nom de leur pays. » Congo belge, Congo Kinshasa, Zaïre, République démocratique du Congo… Les citoyens se sont en permanence retrouvés avec d’autres drapeaux, des billets de banque aux effigies renouvelées, des médailles officielles rebaptisées… Durant l’époque de Mobutu, le léopard, la couleur verte, le flambeau constituaient un imaginaire post-colonial utilisé à tout bout de champ. Il s’agissait alors de mettre à mal l’ancien régime, comme l’illustre le vêtement officiel nommé « Abacost », car il entendait mettre un terme au costume occidental : un exemplaire se trouve à la Bibliothèque royale.
« Une table entière est par ailleurs consacrée à la compagnie Air Zaïre, prolonge Toma Muteba Luntumbue. C’est l’histoire d’une grandeur passée, nourrie par des personnages de légende. » L’un d’entre eux, le pilote Diasolwa, a collaboré à cette exposition en lui offrant son uniforme, son carnet de bord de la visite royale de Baudouin et Fabiola en 1970… « C’était le pilote attitré de Mobutu, une mémoire vivante du Congo. Il s’enorgueillit aujourd’hui encore du fait qu’Air Zaïre disposait de plus d’avions que SN Brussels Airlines. » Des collectionneurs ont offert des maquettes de ces appareils du passé. C’était avant que la compagnie ne fasse faillite, comme une autre illustration de ce Congo qui chavire. « Ligablo » n’occulte pas ce désastre. Mais avec ses objets, l’exposition témoigne aussi et surtout de ses trésors qui défient le temps.
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