L’interdiction de vendre des « minerais du sang » ébranle le Nord-Kivu.
Reportage à Goma et Walikale (RD Congo) Le Soir 02/12/2010
BRAECKMAN Colette
Depuis, tous les comptoirs offrent le même spectacle que la parcelle de Metalchem à Goma : seuls des gardiens et des jardiniers empêchent la végétation de reprendre ses droits autour des conteneurs verrouillés. Les broyeuses, les séchoirs sont à l’arrêt. Les installations électriques, déconnectées. « Chaque conteneur contient du minerai, coltan ou cassitérite, pour une valeur de 250 à 280.000 dollars », explique le patron de Metalchem, John Kanyoni, qui est aussi le vice-président local de la Fédération des entreprises du Congo. Dans la seule province du Nord-Kivu, les stocks bloqués représentent une valeur de 20 millions de dollars. Au Nord comme au Sud-Kivu, l’argent ne circule plus. « Avec les devises apportées par les ONG internationales, le secteur minier était le principal moteur de l’économie du Nord-Kivu, poursuit Kanyoni. L’interdiction de la commercialisation affecte tous les secteurs. Les recettes fiscales de la province sont en chute libre. »
Un « Far West » qui vit aujourd’hui au ralenti
Le Mwami Alexandre Bamongo, l’un des chefs coutumiers de la région minière de Walikale, confirme. Dans son fief, la situation est dramatique. « La révolte gronde car il est interdit aux creuseurs de se rendre sur les carrés miniers. Or, vu le manque de routes qui permettraient d’écouler les produits agricoles, et l’absence d’écoles, il n’y a pas d’autres débouchés pour les jeunes. »
Walikale… Sur la route de Kisangani, accessible uniquement par voie aérienne (les appareils se posent sur un lambeau de route !), la petite ville au milieu de la forêt a longtemps fait figure d’enfer ou d’Eldorado. De terre promise pour tous ceux qui voulaient tenter leur chance dans les mines : coltan, cassitérite, or, diamants… Des milliers de Hutus rwandais en cavale, d’anciens enfants soldats démobilisés, s’y sont reconvertis en creuseurs. Jusqu’en septembre, on comptait 15 à 30 rotations aériennes par jour. Les petits porteurs amenaient dans la ville des produits de première nécessité, la viande et la bière, les légumes et les vêtements, sans oublier la bimbeloterie chinoise. Et ils repartaient chargés de produits miniers, qui prenaient la direction des comptoirs de Goma et de Bukavu.
Aujourd’hui, ce « Far West » vit au ralenti. La colère monte parmi les commerçants, privés de marchandises et de clients. Les creuseurs, eux, songent à reprendre un business qui continue à être lucratif : les armes. Chassés des carrières, ils n’arrivent plus à vivre. Un certain Cheka a reconnu que ses hommes étaient responsables des viols massifs commis à Luvungi. Plus de 300 femmes y avaient été attaquées en septembre. « C’était une manière d’attirer sur eux l’attention de la communauté internationale, puisque désormais, c’est des viols dont on parle, plus que des tueries… », témoigne, sur place, l’abbé Arsène. Pourtant, malgré l’interdiction présidentielle, les mines sont loin d’être à l’arrêt. La nuit, les creuseurs y retournent, comme des fourmis. Et surtout, les militaires, qui en contrôlent l’accès, continuent à y envoyer des civils : « C’est une sorte de salongo, de travail obligatoire. On doit creuser pour eux durant deux jours par semaine », dit le chef coutumier.
Mais pourquoi ?
Cette semaine, une délégation de plusieurs généraux, venus de Kinshasa, a été envoyée à Walikale par le président Kabila. « Une sorte de tournée d’inspection, explique l’un d’entre eux. Il faut remettre de l’ordre dans la filière. »
Cette sollicitude soudaine fait sourire nos interlocuteurs de la société civile : « Tout le monde sait que c’est le général Amisi, dit “Tango Four”, chef des Forces terrestres, qui exploite la principale des mines, du côté de Bisié ; que les troupes de (l’ex-rebelle) Nkunda, intégrées dans les forces gouvernementales, ont pris le contrôle des mines. Il suffirait de les arrêter ou de les muter ailleurs… »
Alors que le Kivu fut son bastion électoral, la popularité du président Kabila est en chute libre. Comment expliquer cet embargo sur la commercialisation des minerais, décidé à la hâte ? D’aucuns avancent qu’une société russe se verra bientôt confier toute l’exploitation minière de Walikale et que les creuseurs seront invités à se reconvertir dans l’agriculture. Mais pour John Kanyoni, la réponse est à chercher du côté de Washington : « Sous la pression d’un lobby puissant, animé par des groupes miniers canadiens et américains, le Congrès a voté en juillet la loi Dodd-Frank donnant moins d’un an au secteur minier congolais pour se mettre en ordre et répondre aux exigences de traçabilité. Faute de quoi, les minerais congolais et des pays voisins seront interdits aux Etats-Unis. Cette mesure semble inspirée par le souci de bannir les “minerais du sang”. En réalité, la mise hors la loi du tantale congolais provoquera la hausse des cours mondiaux, qui passeront de 40 à plus de 100 dollars la livre. Une aubaine pour des mines canadiennes ou australiennes, qui redeviendront rentables en assurant à leurs acheteurs qu’elles proposent du minerai, plus cher certes, mais “propre”… »
contexte
Le problème
Sous la menace d’un embargo américain qui frapperait tous les « minerais de sang » venant du Congo et des pays voisins, le président Kabila a décidé de bloquer la commercialisation de la cassitérite et du coltan au Nord et au Sud-Kivu, le temps de remettre de l’ordre dans le secteur. Les civils ont dû s’incliner mais les militaires contournent la mesure. L’ultimatum américain expire en avril 2011.
L’enjeu
A Bukavu et Goma, tous les secteurs de l’économie vivent désormais au ralenti. Des dizaines de milliers de creuseurs sont au chômage et craignent de ne pas retrouver du travail si les mines sont confiées à de grandes sociétés. Un an avant les élections présidentielles, la colère se généralise dans une région qui était le fief électoral du chef de l’Etat.
A suivre
Au lieu de combattre les groupes rebelles armés de diverses obédiences, des militaires gouvernementaux, ont pris le contrôle des mines de Walikale au Nord-Kivu. Ils obligent la population à creuser pour eux et les exactions se multiplient.
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