Stoemp flamand
Cela se passait mardi, à l'occasion de la remise du Prix pour le Développement de la Fondation Roi Baudouin. Le lauréat était le Docteur Denis Mukwege, fondateur et directeur de l'hôpital de Panzi à Bukavu, l'homme qui, ces dernières années, a soigné trente mille femmes victimes de viols au Congo.
Ce fut bien le cas mardi au palais royal. Il raconta qu'il aurait préféré rester anonyme au liu d'être un homme connu "grâce à la violence sexuelle. Il se demaanda à voix haute ce que pouvait signifier cette reconnaissance, si elle n'était pas suivie d'efforts de la communauté internationale pour mettre fin à la pandémie de violence sexuelle.
Durant de longues minutes, il reçut une "standing ovation" et sourit timidement. Pour cet homme, aucune image de marque à défendre. Il disqit se sentir "entre gratitude et frustration", car la violence continue.
Un Congolais parlait dans la grande salle de cérémonie du palais. C'était la première fois depuis 1981, année de sa fondation, que le prix était décerné à un habitant de l'ancienne colonie. Le docteur Mukwege entama son discours de remerciement en faisant remarquer, au roi en particulier, qu'il était né en 1955, une époque à laquelle il était encore un sujet du souverain belge. Assis derrière moi, les Congolais se mirent à rire. 1955, c'était l'année de la fameuse tournée du roi Baudouin, Bwana Kitoko.
Le docteur Mukwege exposa son travail. Aux centaines de personnes présentes, il parla des ces femmes qui arrivent dans son hôpital "dans un état de destyruction physique et psychique indescriptible". Des mots qui, normalement, ne sortent pas du cadre d'un cabinet médical, emplirent subitement la grande et majestueuse salle du palais. "La vessie", "des fistules", "l'appareil génital détruit"..
Sur les deux grands écrans de projection vidéo, nous vîmes un film tourné à Bukavu. Le docteur y parlait des filles qui "perdent des urines et de la matière fécale". Et chose étrange : nous n'étions pas mal à l'aise. Nous étions là, face à face avec la condition humaine : une cruauté infinie versus une infinie bonté. Nous étions là, avec des larmes dans les yeux.
Le docteur Mukwege nous fit penser au docteur Rieux, le principal protagoniste de La Peste d'Albert Camus. Un homme qui, confronté à l'absurde, ne choisit de faire qu'une seule chose : se mettre au service de la diginité humaine, ni plus ni moins. Il nous fit également penser à la manière dont le grand écrivain américain Kurt Vonnegut décrivait un saint : "Un saint, c'est quelqu'un qui essaie de vivre décemment dans un monde indécent".
Le docteur Mukwege dépassa les chiffres pour toucher à l'essentiel :"Actuellement, tout le monde s'attelle à produire des statistiques, mais même s'il n'y avait qu'une seule femme qui subissqit ce genre de barbarie parce que tout simplement elle est femme, en période de conflit ou de post-conflit, ce serait inacceptable."
Cette allocution constitua l'image renvoyée par le miroir lors du voyage du roi Albert au Congo, l'année dernière. A l'occasion du cinquantième anniversaire de l'indépendance et ecompte tenu de la situation politique délicate dans le pays, le souverain choisit de se taire. Mais le mot qu'il n'eut pas revint résonner dans son propre palais, celui prononcé par un ancien ressortissant de la colonie, avec une force bouleversantequi ne laissa personne impassible.
Comment devaient-ils se sentir, ai-je pensé, lorsque le docteur Mukwege déclara : "Nous continuons de croire que la grandeur d'une civilisation ne se limite pas à l'accumulation de biens et confort, mais se mesure plutôt à la recherche de l'altérité, dans ses aspirations profondes de liberté et d'épanouissement. La grandeur d'une civilisation ne consiste pas à imposer sa culture, sa vision du monde, mais à aller à la rencontre de l'autre."
Comment devaient-ils se sentir ? Le docteur Mukwege parlait d'un pays lointain et en proie à la cruaté, mais il disait aussi cece : "En ces temps de résurgence du repli sur soi, du nationalisme, de l'ethnicisme et du racisme, qui menacent les acquis engrangés grâce aux philosophes des Lumières et à l'Evangile, que les hommes de bonne volonté de toute tendance philosophique et politique se dressent pour faire barrage à l'obscurantisme".
Comment devaient-ils se sentir, nos dirigeants politiques ? Dans le petit film tourné à Bukavu, le docteur nous contait qu'il soignait depuis plus de dix ans des femmes victimes de viols. "Malheureusement, on prend beaucoup de temps pour soigner la bêtise humaine. Et ça fait mal, parce qu'on se dit qu'on perd du temps. Ce temps qu'on utilise pour réparer ce que l'homme a créé volontairement, on aurait pu l'utiliser de façon plus profitable".
Dans quel état d'esprit nos dirigeants ont-ils bien pu rentrer chez eux ? Dans quel miroir se sont-ils regardés ?
Le Soir
26/05/2011
Traduit du néerlandais par Fabienne Trefois
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