06/05/2012
Jean-Charles Okoto Lolakombe, alias "Zéké",
ancien "PAD" de la Minière de Bakwanga (Miba)
Le procès de la Belgolaise commence ce mercredi. La saga mêle blanchiment, détournement et menaces sur fond de trafic d’armes financé par le diamant.
Evocation
Des mines de diamant au Congo, des armes achetées en Tchéquie et en Ukraine, un homme d’affaires congolais enlevé dans le coffre de sa voiture par des barbouzes, un projet d’empoisonnement d’un des hommes d’affaires le plus en vue du pays.
Le dossier Belgolaise, qui aboutit, ce mercredi, devant le tribunal correctionnel de Bruxelles présente les ingrédients d’un film d’espionnage.
C’est avant tout un dossier présumé de détournement et de blanchiment d’argent, via la Belgolaise - qui se présentait comme "la seule banque européenne totalement dédiée à l’Afrique" - qui ne survivra pas à ces opérations.
Se greffe sur cette affaire de criminalité en col blanc, un volet impliquant trois "petites frappes" qui seront très vraisemblablement bien seules sur le banc des accusés.
Les trois autres prévenus sont Jean-Charles Okoto, un ancien ministre des Affaires étrangères congolais, qui, jusqu’à récemment, était encore en poste à l’ambassade du Congo à Kampala (Ouganda) ainsi que la Belgolaise et la Banque centrale du Congo.
Plusieurs des dirigeants des deux banques avaient été inculpés par le juge d’instruction Michel Claise. Mais ils ont obtenu un non-lieu lors du règlement de la procédure. Seules les personnes morales - Belgolaise et BCC - sont poursuivies.
Tout commence en janvier 2003. On est à la fin de la deuxième guerre du Congo, un conflit meurtrier auquel les civils paient un très lourd tribut.
Un groupe d’experts, mandaté par le Conseil de sécurité de l’Onu, a établi des liens entre l’exploitation des ressources naturelles et le financement du conflit congolais. La RDC est sous embargo de l’Onu pour l’achat d’armes.
L’Onu dénonce des mouvements de fonds suspects à la CTIF, la Cellule de traitement des informations financières qui, à son tour, saisit le parquet de Bruxelles.
Au centre du dossier figure la Miba, la Minière du Bakwanga, une société congolaise d’exploitation du diamant : l’Etat congolais la contrôle à 80 %, le solde est détenu par Sibeka.
Présidée par Etienne Davignon, Sibeka est dans les mains d’Umicore (80 %) et de De Beers (20 %).
La Miba est la vache à lait de l’Etat congolais. Elle s’effondre. Les prélèvements se font en cash, pour financer l’achat d’armes et pour l’enrichissement d’hommes bien en cours à Kinshasa.
Il y a également des ordres de transferts, vers la Banque centrale du Congo, l’équivalent de notre BNB.
La Miba a ses comptes à la Belgolaise à Bruxelles. Son président administrateur-délégué est Jean-Charles Okoto, qui fut ministre des Affaires étrangères de 1998 à 1999.
Il passe régulièrement à Bruxelles : il serait à l’origine de ces mouvements qui, semble-t-il, suscitent une certaine irritation d’un des dirigeants de la Miba à Bruxelles, Lambert Kandala.
Le juge d’instruction Michel Claise, qui enquête discrètement depuis plus d’un an, fait alors flèche de tout bois. Il saisit les comptes de Jean-Charles Okoto et d’autres personnes. Il découvre des opérations bancaires suspectes qui s’apparentent à des détournements au détriment de la Miba. Ils s’élèveraient à quelque 80 millions de dollars.
Des armes ont été commandées à Ukroboron Service, une filiale de la Société d’Etat ukrainienne d’armement ainsi qu’à Thomas CZ as, une entreprise tchèque d’armement.
Ces sociétés vendent des armes de gros calibre, des munitions, des missiles et même des blindés. Des armes pour quelque 20 millions de dollars sont achetées. Le reste de l’argent détourné a dû garnir quelques poches de personnes bien introduites.
L’instruction le découvrira plus tard : il y aurait des opérations de blanchiment au niveau de la Belgolaise pour ces achats d’armes. A côté des transferts directs entre les comptes de la Miba et les sociétés de matériel militaire, il y aurait d’autres transferts, via un compte écran de la Banque centrale du Congo ouvert en Suisse.
Et l’idée de ces opérations écrans, assimilables à du blanchiment, trouverait son origine au sein de la banque belge.
Survient alors un incident dont on ne comprendra la portée que quelques mois plus tard.
Nous sommes le 2 avril 2004. Le numéro deux de la Miba à Bruxelles, Lambert Kandala, vient chercher un colis dans ses bureaux, situés près de l’avenue Louise à Bruxelles. Il doit le porter à un ami qui doit prendre un avion pour le Congo, à charge pour ce dernier de le remettre à une connaissance de M. Kandala.
Il est 19 heures. Un homme, que M. Kandala avait vu à l’aller, lui fait des grands gestes pour qu’il s’arrête. Cela doit être un compatriote. Il stoppe sa voiture. Immédiatement, l’homme sort un pistolet équipé d’un silencieux, raconte son avocat, Me Ghislain Kikangala.
M. Kandala est forcé à se coucher dans le coffre de son Opel Vectra. Trois personnes entrent dans l’habitacle et l’emmènent. On le brutalise. Il reçoit des coups et des menaces : "Tu poses des problèmes à des gens. C’est ton dernier jour." M. Kandala est délesté de son portefeuille et de son GSM. Il est libéré à 23 heures à Rixensart où il habite. Il ne comprend pas.
Terriblement choqué, il porte plainte à la police locale. Cet homme, qui a cru son dernier jour arriver, en garde des séquelles au niveau psychologique, explique Me Kikangala.
Les trois hommes seront identifiés après quelques mois. On navigue ici en pleine série B : les trois hommes utiliseront le GSM de leur victime ainsi que ses cartes de banque dont ils ont réclamé les codes. Un de ces trois hommes achètera même des langes dans une grande surface avec ces cartes. Des amateurs en apparence.
L’arrestation du dernier se fera en présence du juge Claise, en gilet pare-balles. Car un des deux premiers a parlé et désigné un commanditaire : Jean-Charles Okoto.
Lequel croyait, dit-on, qu’une taupe œuvrait au sein de la Miba à Bruxelles et tuyautait la justice. Et que cette taupe était M. Kandala. Ce n’était pas le cas car le dossier avait été initié par l’Onu via la CTIF.
Les "trois gros bras", qui n’avaient pas d’importants revenus seraient, selon plusieurs sources, des espèces de barbouzes, employés pour effectuer le sale travail et qui seraient activés de Kinshasa quand on a besoin d’eux.
Ce n’est pas le seul épisode rocambolesque de ce dossier. Il y est ainsi fait état d’un rapport de la Sûreté de l’Etat, affirmant que le vicomte Etienne Davignon, qui présidait Sibeka, aurait pu faire l’objet de projets d’enlèvement, voire d’empoisonnement. Et que cela se serait inscrit dans le cadre de la participation détenue dans la Miba, quand elle était dirigée par M. Okoto. A l’époque, soit en 2001 ou 2002, M. Davignon avait été averti de ces menaces.
M. Kandala, qui aujourd’hui, à Kinshasa, est chargé de projet à la Copirep (Comité de pilotage de la réforme des entreprises du portefeuille de l’Etat), se déplacera pour le procès où il s’est constitué partie civile.
Jean-Charles - "JC" - Okoto, contre qui un mandat d’arrêt international avait été lancé, a toujours pratiqué la politique de la chaise vide. Il ne sera peut-être même pas représenté par un avocat. Il était resté bien en cours à Kinshasa : il fut ambassadeur à Kampala mais a été récemment rappelé.
La Belgolaise et la Banque centrale du Congo seront représentées, quoique la deuxième conteste la juridiction des tribunaux belges.
Les débats devraient également porter sur la souveraineté : l’argent de la Miba, qui a abouti dans les caisses de l’Etat congolais, pourrait être considéré comme une avance d’impôt.
Ce dossier judiciaire a vraisemblablement précipité la décision de Fortis d’abandonner la Belgolaise qui était devenue, en 2000, sa filiale à 100 %
Jacques Laruelle,In La Libre Belgique,
Mis en ligne le 02.05.2012
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