L'Afrique est absente de la campagne pour l'élection présidentielle française. Pourtant, l'Hexagone ne peut pas se passer du continent. Le regard sans concession de l'écrivain malgache Raharimanana.
Le président français au sommet Afrique-France de Nice, 1er juin 2010.
AFP PHOTO LIONEL BONAVENTURE
Une question qui fuse ainsi lors d’une rencontre:
«Vous dénoncez tout cela, la Françafrique etc. Mais que se passerait-il si tous les Français quittaient l’Afrique? Dites-moi Monsieur!»
Mais plus je réfléchis à la question, plus je trouve qu’elle a raison, que ce serait une grande catastrophe!
Mon Dieu, si les Français quittaient l’Afrique!
Imaginons qu’ils quittent le Niger! Areva partirait. Plus de nucléaire en France. Fini le débat sur la fermeture ou pas des centrales nucléaires! Plus d’électricité en France. La question est réglée! Hollande fermerait Fessenheim? Non, l’Afrique s’en chargera!
Plus la peine non plus d’organiser des élections! Les ordinateurs seront tous en panne! Pas pratique pour compter les voix! Les Français seront pour de vrai d’authentiques personnages de films de catastrophes américains! Plus de lumière. Plus de courant. Plus de machine qui marche! Plus rien! Que dalle!
Pénurie d'essence et de gaz halal
Imaginons que les Français quittent le Gabon! Total partirait. Plus de carburant en France (enfin… il restera quand même Shell et Cie, mais quel bordel ce serait!). Fini le débat sur la hausse du prix du carburant! Plus la peine que Sarkozy promette ce qu’il a à promettre pour museler ces méchants marchands d’or noir.
Plus la peine que l’Eva Joly préconise la recherche d’autres sources énergétiques. Il faut y aller sec, au vent et au moulin qui tourne! On pendra Don Quichotte, le terroriste des moulins, pour plus de sécurité et de Vigipirate. Plus la peine que le Kouchner fasse des rapports sur la santé gabonaise! On le renverra directement en Birmanie négocier avec la junte (Merde! Ang San Suu Kyi est libre! Finie la corruption!)
Les Français quitteraient l’Algérie? Et le gaz de France alors? Une bonne partie venant d’Algérie! Halal? Gaz halal? Fini ce foutu débat qui pourrit la République! On expulsera dare-dare ce gaz de France de mes deux qui n’a de France que le nom!
Les Français partiraient de Madagascar? Plus de vanille dans les Danone! Plus de vanille dans les Petits Princes de Lu! Ô mes pauvres enfants!
Que les Français quittent la Côte d’Ivoire? Plus de cacao dans les chocolats? Comment? Plus de chocolats dans les célèbres pâtisseries françaises appréciées du monde entier et de mon dentier? —(je sais, elle est facile la rime).
Que les Français quittent le Congo? Plus de je ne sais quoi de minerai dans les téléphones portables. Plus de SMS à envoyer quand on s’emmerde au Vatican.
Si les Français quittaient le Sénégal, la Guinée…
Caïman braisé et kedjenou d'éléphant
Zut, oubliés Bolloré et le Congo, plus d’arbres à couper, plus de papiers, plus de journaux, plus de livres, plus de littérature (plus de Houellebecq ouf! Ni de Nothomb, merci mon dieu!), plus de retraite et de solitude nécessaires sur le yacht de son ami…
Alors oui, je suis étonné de l’absence de l’Afrique dans les débats de la présidentielle française. Comme si l’Afrique s’est juste résumée à la question de l’immigration… Des pauvres gens profitant du système français…
Comme si l’Afrique n’est pas un continent fait de multiples pays où la France puise quand même une grande partie de sa survie… Et si on disait que la France profite du système africain? Ah! Magic System, que n’avez-vous pas dit:
J’ai dit chéri koko c’est poulet tu veux manger
Poulet est trop petit ça peut pas te rassasier
C’est caïman braisé, je vais te donner
Kedjenou d’éléphant, tu vas manger
Dites-moi, ai-je tort de dire que France, chérie, koko, l’Afrique te donne à manger du caïman braisé et du kedjenou d’éléphant?
Hallucinant discours de Dakar
Un jour ou l’autre, l’Afrique aura conscience qu’elle tient la France par les couilles —pardonnez-moi le terme, la France saura-t-elle répondre à ce moment-là? Les dictateurs, les légionnaires et les mercenaires suffiront-ils?
L’hallucinant discours de Dakar illustre à merveille cette absence de réflexion. Non… le lien n’est paraît-il pas économique entre la France et l’Afrique, il est d’amitié plusieurs fois centenaire où l’homme africain apprend tout du bon gentil colon qui, permettez-moi de le dire, n’était pas toujours méchant…
Et Hollande fit un passage de discours magnifique sur l’esclavage mais que fut sa réflexion sur les injustes exploitations menées actuellement par les entreprises internationales françaises au nom de la France?
N’est-ce pas d’autres crimes contre l’humanité qu’on perpétue aujourd’hui au nom entre autres de l’uranium, du pétrole, du cacao, de la vanille?... L’esclavage n’était-il pas non plus une simple affaire de sucre? Envoyez toute cette racaille produire dans les champs de canne à sucre!
Certes, la France n’est pas la seule qui protège ses intérêts en Afrique. Certes, d’autres pays, on dira très vite maintenant la Chine pour se débarrasser de quelque culpabilité, en profite, mais la France n’est-elle pas le pays des droits de l’homme?
Une élection pour dégager l'autre
Et à l’heure où beaucoup pensent que le dernier quinquennat a fortement ébranlé ces valeurs universelles, ces valeurs de la France, que dire de ces dernières décennies en Afrique? De De Gaulle à Sarkozy, en passant par Mitterrand? Je ne m’avancerai même pas comme certains pour demander: que dire de ce dernier siècle? De ces derniers siècles avec l’Afrique?
Que faire du futur avec l’Afrique? Et si la pancarte «DEGAGE» était brandie devant la France et les Français? Ce serait drôle si on demande à la Marine de quitter à la fois l’Afrique et l’Euro…
Mais bon, on est dans l'élection présidentielle, il s’agit simplement de dégager l’autre…
Je finis ce papier, ce n’est qu’une petite plaisanterie, vous auriez remarqué qu’il y a plein de si dans cet article! Je peux donc finir avec ce proverbe mille fois centenaire que je viens d’inventer pour la circonstance: «Si j’ai ouvert la bouche, c’est qu’on m’a ouvert les yeux…»
Avez-vous entendu? Veloma et portez vous bien en attendant l’Afrique.
Sa biographie, lu pour vous sur Africultures.com
Jean-Luc Raharimanana est né le 26 juin 1967 à Madagascar où il réside jusqu'à l'âge de 22 ans. Grâce à une bourse d'études, il arrive en France en 1989 pour suivre des cours à la Sorbonne et à l'INALCO.
Professeur et journaliste pigiste, il collabore à de nombreuses manifestations littéraires et pédagogiques.
En 2002, il laisse l'enseignement, notamment pour défendre son père qui a été arrêté et torturé à Madagascar.
Il ressent alors l'extrême nécessité de consacrer la majeure partie de son temps à l'écriture, à la recherche, à la restitution de cette mémoire trahie par des récits où se confondent "mythe et réalité".
Il est l'auteur de "Lucarne", 1996 ; "Rêves sous le linceul", 1998 et "Nour, 1947", 2001 publiés au Serpent à plumes. Remarqués par la critique et salués par des prix, tous les livres de cet auteur ont été repris en poche. Homme de théâtre, il a reçu avec sa pièce "Le prophète et le président" le Prix du Théâtre interafricain Tchicaya U'Tamsi (RFI) en 1990, pièce qu'il reprendra et mettra en scène en mai 2005 au théâtre des Déchargeurs, Paris. Sa pièce, une farce, "La femme, la dinde, les deux compères et la bouteille" sera jouée à La Réunion et en France en août-Octobre 2004 sur une mise en scène de Frédéric Robin, théâtre des Bambous, Saint Benoît, Centre Culturel Charlie Chaplin, Vaulx en Velin.
Pour le théâtre, il signe des contes musicaux pour jeune public, dont 'Lemahery et le caméléon' (2006), et met en scène sa pièce 'Le Prophète et le Président'. Il coordonne la publication d'ouvrages collectifs comme 'Littérature malgache' et 'Langues, imaginaires et violences dans l'océan Indien'. Ses ouvrages sont traduits en allemand, anglais, espagnol, italien. Madagascar est au centre de son oeuvre ou la violence du monde côtoie la poésie la plus douce.
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