11/05/2012
L’armée continue de jouir de l’impunité la plus totale en RDC: en témoigne le récent documentaire de Thierry Michel sur le meurtre du militant des droits humains Floribert Chebeya –un film interdit au Congo.
Un soldat congolais lors d'une visite du ministre de la Défense
dans l'est du pays, 27 février 2005,REUTERS/Antony Njuguna
«Floribert Chebeya: un crime d’Etat?» C’est le titre, éloquent, du dernier documentaire du réalisateur belge Thierry Michel, un spécialiste du Congo (auteur de Mobutu, roi du Zaïre en 1999, Congo River en 2005 et Katanga Business en 2009). Ce film, sorti le 4 avril en France, revient sur le meurtre du responsable de l’ONG La voix des sans-voix en juin 2010, et le procès qui a suivi.
Scandaleuse «immunité» et cynisme
Le documentaire a été interdit en RDC. Sans doute parce qu’il donne une idée assez précise de l’impunité qui peut y régner pour les hommes en uniforme. On pourrait facilement conclure, après avoir vu le film, à un «Kabila assassin» -l’une des principales critiques de l’opposition au régime en place à Kinshasa, et un slogan scandé par des manifestants filmés par Thierry Michel.
Le documentaire montre la brochette d’inculpés, huit policiers debout, parfois si sûrs d’eux que les membres du tribunal militaire auquel ils font face leur demandent de prendre leur accusation avec un peu plus de sérieux.
Floribert Chebeya a été retrouvé en juin 2010 mort dans sa voiture, le pantalon baissé pour faire croire à une affaire de mœurs… Il n’en avait pas moins les mains liées et le cou tordu, vraisemblablement par les policiers avec qui il avait rendez-vous ce jour-là -les derniers à l’avoir vu vivant. Les accusés ont tout nié en bloc, parfois avec morgue. «Chebeya? Jamais vu. Connaît pas!»
Le documentaire permet aussi d’observer le général John Numbi, chef des services spéciaux de la police, redoutés pour leur violence. Des services qui avaient pris position dans une villa face à la maison des Chebeya, peu avant le meurtre. Proche de Kabila, ce général a comparu en tant que simple témoin, parfaitement à l’aise sous sa casquette, visage détendu derrière ses fines moustaches.
Suspendu pour la forme après le meurtre, qui s’est produit peu avant la fête du cinquantenaire de l’Indépendance, il n’a pas payé cher pour l’affaire Chebeya. Toujours en place, il a été muté à l’intérieur du pays, à Lubumbashi, la capitale du Katanga, histoire de se faire oublier quelques temps par les partenaires au développement du Congo.
Imprécisions
Le documentaire de Thierry Michel manque de contexte: il n’est pas rappelé que Floribert Chebeya était devenu encombrant parce qu’il enquêtait sur l’assassinat en janvier 2008 de la fille de Laurent-Désiré Kabila, Aimée Kabila –vraisemblablement éliminée par des militaires, membres de la garde présidentielle.
Chebeya avait aussi provoqué la colère de l’homme du président Joseph Kabila en soutenant Etienne Kabila Taratibu, un homme qui se proclame le vrai fils de Laurent-Désiré Kabila et vit en exil en Afrique du Sud. Chebeya lui avait prêté des locaux pour qu’il donne une conférence de presse sur «l’imposture» que serait Joseph Kabila – présenté comme le fils d’un compagnon d’armes rwandais de Kabila père.
Thierry Michel ne dit pas non plus si l’assassinat de Floribert Chebeya représente une bavure relativement rare en République démocratique du Congo (RDC), où s’il est au contraire habituel de voir dans ce pays les militants des droits de l’homme éliminés par les autorités.
Réponse de Paul Nsapu Mukulu, vétéran des droits de l’homme en RDC et secrétaire général Afrique de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), exilé depuis 2006 à Bruxelles en raison de menaces de mort contre lui, avant les élections de 2006:
«On a observé une détente après la mort de Chebeya. Il y a toujours des menaces, mais plus d’attaques.» Mais pour lui, le régime de Kabila s’avère «pire que celui de Mobutu Sese Seko», l’ancien dictateur au pouvoir de 1965 à 1997.
«Sous Mobutu, on n’a jamais assassiné autant de journalistes. Maintenant, on assassine même les adversaires politiques. Les nouvelles élites ont gagné en dix ans sous Kabila ce que les anciennes élites avaient pu engranger en 32 ans sous Mobutu. Un tel niveau de corruption explique qu’on se retrouve avec 19.000 candidats pour 500 sièges de députés…»
La réforme de l'armée se fait toujours attendre
Dans un rapport sur la réforme de la sécurité en RDC publié le 16 avril par la FIDH, il est question, entre autres, du statut spécial la garde présidentielle, «systématiquement exclue de la réforme de l’armée et qui n’est toujours pas tenue de rendre des comptes».
Une unité à la gâchette facile surnommée bana mura à Kinshasa -«les esprits des morts» en lingala. Cette garde ne parle que le swahili, touche de meilleures soldes que les soldats, et serait descendue dans la rue sous des tenues de simples policiers lors des violences post-électorales de 2006, accuse Paul Nsapu Mukulu.
«La situation de guerre profite aux classes dirigeantes qui sont impliquées dans l’exploitation illégale des ressources naturelles», estime de son côté Emmanuel Kabengele, coordonateur national du Réseau pour la réforme du secteur de sécurité et de justice (RRSSJ).
Cette ONG congolaise milite pour la redéfinition du mandat de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco), qui expire au 30 juin prochain. Joseph Kabila aimerait voir la Monusco plier bagage, pour ne plus être encombré par la présence de 19.229 soldats, policiers, observateurs militaires et personnels civils de la Monusco sur son territoire.
La situation est tendue: le dernier rapport de la Monusco, publié le 20 mars, fait état de nombreuses violations des droits de l’homme commises par les autorités durant les dernières élections générales du 24 novembre et du 25 décembre. Piqué au vif, le pouvoir avait aussitôt réagi: le ministre de la Justice Emmanuel Luzolo Bambi a rejeté un rapport jugé «gratuit, incohérent et exagéré».
Pour que l’impunité cesse du côté de l’armée congolaise, alors que la volonté politique manque pour amorcer une vraie réforme, les militants des droits de l’homme congolais ne relâchent pas la pression. Quels que soient les périls encourus.
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