12/07/2012
Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)
Des soldats de l'armée de la République démocratique du Congo montent la garde près du village de Kibumba, à 20 kilomètres de la ville de Goma, sous la menace des forces rebelles du Mouvement du 23 mars (M23), le 11 juillet. |
AFP/PHIL MOORE
Il n'a fallu que quelques jours pour qu'une rébellion, le Mouvement du 23 mars (M23), se transforme en machine de guerre et menace de marcher sur Goma, à l'extrême est de la République démocratique du Congo (RDC). Le groupe, coincé depuis deux mois sur trois collines volcaniques aux confins du parc naturel des Virunga, était jusqu'alors limité en hommes et en moyens militaires. Les forces congolaises, qui contenaient les rebelles depuis avril, se disent désormais submergées.
A Goma, point de passage obligé de toutes les déferlantes de violence, guerres et rébellions qui ont marqué depuis 1996 la fin de l'ex-Zaïre, devenu RDC, on connaît le parfum de panique qui accompagne ces accélérations.
Lorsque Goma tombe, c'est une nouvelle guerre régionale qui commence. Ce fut le cas en 1996, puis à nouveau en 1998. Entre-temps, il y eut la paix puis, à nouveau, fin 2008, une rébellion tutsie née des cendres des guerres précédentes. Les rebelles du Congrès national du peuple (CNDP) avaient été à deux doigts de s'emparer de la capitale du Nord-Kivu. Un accord entre la RDC et la Somalie avait stoppé la rébellion, alors dirigée par Laurent Nkunda. Ses troupes avaient été intégrées dans l'armée congolaise, tandis que Kigali le plaçait en janvier 2009 en résidence surveillée, au Rwanda. Kinshasa venait d'acheter la paix au prix fort.
Les ex-rebelles du CNDP, "plus fidèles à Kigali qu'à Kinshasa", selon un analyste régional, se voyaient offrir le contrôle d'une vaste partie de la région des Kivu, selon un accord signé le 23 mars (d'où le nom du M23). Environ 50 % des commandants du Kivu étaient issus du CNDP. Leur mouvement contrôlait alors des mines lucratives. Soutenus par le Rwanda, ils pouvaient mener des opérations contre les maquis de Hutus rebelles, les Force démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).
AIDE PRÉCIEUSE LORS DES ÉLECTIONS
Pendant deux ans, ce système a fonctionné. Des troupes rwandaises entraient "secrètement pour frapper les FDLR", relève une source qui enquête dans la région depuis quatre ans. Certains chefs rebelles hutus étaient victimes d'assassinats ciblés, comme le commandant Emmanuel, numéro quatre de leur état-major.
Pendant ce temps, Bosco Ntaganda, nouveau chef du CNDP - un des plus grands criminels de guerre de la région et l'objet d'un mandat de la Cour pénale internationale (CPI) - régnait en maître à Goma, sans être inquiété par le pouvoir congolais qui lui devait tant. A commencer par son aide précieuse lors des élections. Les rebelles qui combattent aujourd'hui le pouvoir central étaient en effet occupés, en novembre 2011, à "bourrer les urnes" dans le Kivu au profit du président congolais, Joseph Kabila, relève un ex-responsable de la mission d'observation de l'Union européenne. Les scores du Kivu avaient permis à M. Kabila d'être réélu avec 48,5 % des voix lors d'un scrutin marqué par la fraude et la contestation.
Ce pouvoir central affaibli a pris, quelques mois plus tard, l'initiative de mettre un terme au contrôle du CNDP sur les Kivu. Le coup était double : sur le plan intérieur, récupérer la souveraineté perdue, tout en donnant un gage de bonne volonté à l'extérieur du pays, en livrant le général Bosco Ntaganda à la justice internationale.
Le pacte s'effondrait. Début 2012, Kinshasa ordonnait le transfert des officiers du CNDP dans d'autres parties du pays. Un moyen de casser leur contrôle.
Le 30 avril, le général Ntaganda, surnommé "Terminator", prenait le maquis avec 600 à 700 hommes, les meilleurs parmi les 4000 que comptait initialement le CNDP, et tentait une nouvelle aventure guerrière avec le soutien de ses parrains rwandais.
RECRUTEMENT DU M23 SOUS LA CONTRAINTE
Tous les mouvements rebelles congolais qui ont pris ou menacé Goma depuis seize ans avaient le même joker : l'appui fourni par l'Ouganda et, surtout, le Rwanda. A Kigali, on a toujours nié ces implications. Cette fois, un rapport de l'ONU, rendu public en juin, établit que c'est depuis le Rwanda qu'une "aide directe", constituée d'armes et de recrues, a été organisée par des responsables militaires de haut rang, identifiés par les experts et infiltrée à travers la frontière, pour former le M23.
Certains de ces recrutements ont été réalisés sous la contrainte. Human Rights Watch et Amnesty International ont réuni des témoignages établissant que d'ex-rebelles démobilisés qui refusaient de reprendre du service ont été "assassinés". Achraf Sebbahi, d'Amnesy international, s'étonne qu'en dépit de "violations graves de l'embargo sur les armes par le Rwanda" à destination du Congo, le Conseil de sécurité ne se soit pas saisi de ce dossier. "C'est la première fois que le rôle du Rwanda est indiqué de manière si claire, et dès le début de la rébellion", note un observateur régional.
Depuis, Bosco Ntaganda a été destitué de son rôle de chef du M23 et remplacé par le colonel Jules Sultani Makenga, sur intervention du Rwanda, désigné comme source du renfort récent apporté au mouvement. Le M23 avait échoué au moins quatre fois à prendre le poste frontière crucial de Bunagana. Selon plusieurs sources, les rebelles disposeraient désormais de près de 2000 hommes et d'armes lourdes.
"NÉGOCIATIONS"
Bunagana est tombée les 7 et 8 juillet, ainsi que Rutshuru, abandonnée depuis. Le M23 s'infiltre à présent dans la région sur plusieurs axes, notamment dans le Masisi, bastion des officiers tutsi congolais qui ont dirigé les rébellions précédentes. Roger Meece, chef de la mission au Congo de l'ONU, la Monusco, a fait état, selon un porte-parole onusien, de la présence de "militaires s'exprimant en anglais et de combattants portant des tenues différentes des FARDC [l'armée congolaise] dans les rangs du M23".
Le M23 est-il prêt à mener la guerre jusqu'à Goma ? Le colonel Sultani Makenga, son chef, affirme réclamer des "négociations" avec le pouvoir congolais et l'application des accords du 23 mars 2009. "Je ne crois pas que leur but soit d'atteindre Kinshasa et de renverser le gouvernement", analyse Anneke Van Woudenberg, responsable du dossier Congo à Human Rights Watch.
Pour attaquer Goma, il faudrait un effort supplémentaire des parrains rwandais, ce qui pousserait Kigali et Kinshasa vers le conflit ouvert. "On est dans un jeu de poker menteur, résume un analyste régional. Personne ne veut une véritable guerre, il s'agit surtout de pousser Kinshasa à négocier pour obtenir de nouvelles concessions. C'est ce que souhaite Kigali, en tout cas, pour reprendre le contrôle d'une partie du Kivu." Entre Kigali et Kinshasa, par M23 interposé, se joue un jeu dangereux, où aucun dérapage n'est à exclure.
Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)
Où est passé l'ancien chef Laurent Nkunda ?
Il y avait l'allure, la canne à pommeau d'argent, la silhouette interminable, la chèvre blanche dont il ne se séparait pas et des idées qui allaient loin.
Laurent Nkunda, le chef de la rébellion de tutsis congolais, le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDP), avait même caressé l'idée de décréter une "République des Volcans" autonome au milieu des collines fertiles du Nord-Kivu.
Il faisait peur à Kinshasa et ne rassurait pas non plus ses parrains du Rwanda. Début 2009, son sort est scellé. Il est arrêté par le Rwanda, placé en résidence surveillée, pendant que Kigali et Kinshasa se réconcilient par la grâce d'un accord donnant au CNDP plus d'avantages par la paix qu'ils n'avaient espéré en conquérir par la guerre.
Au Rwanda, Laurent Nkunda a entamé deux grèves de la faim. Son traitement a suscité, parmi les officiers de l'armée rwandaise, un véritable malaise. N'avait-il pas été loyal, quoique imprévisible ?
Depuis, Laurent Nkunda a retrouvé un soupçon de liberté, et parvient à passer des coups de téléphone à certains responsables du M23, comme son nouveau chef, le colonel Makenga.
Personne ne serait surpris de le voir réapparaître bientôt au Kivu.
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