Le carnet de Colette Braeckman
07/10/2012
« Nous avons noué notre cravate pour bien recevoir nos hôtes »
Interview d’Isidore Ndaywel, commissaire congolais au sommet de la francophonie, écrivain, historien
Quelle est la signification de ce sommet pour la République démocratique du Congo ?
Il s’agît tout d‘abord d’une avancée : le pays retrouve sa place sur l’échiquier international. Au cours des dix dernières années, des efforts ont été faits, visant à mettre un terme à une longue transition qui avait pris beaucoup de temps, à mettre un terme aux violences, aux incompréhensions qui en ont résulté, commencé à construire une démocratie et finalement amorcer tout de même le développement économique, sous des appellations diverses comme la modernisation, la modernité… Un effort est en cours et le sommet de la francophonie sera l’opportunité d’une plus grande ouverture. Une ouverture qui s’adresse cette fois à tout le monde… On nous a reproché d’avoir une trop grande ouverture vers d’autres partenaires entre autres la Chine mais maintenant, voilà, l’ouverture est faite également en direction de nos partenaires traditionnels, les pays francophones du Nord comme du Sud.
Cette étape est extrêmement importante… Nous avons organisé une manifestation dont l’envergure dépasse tout ce que nous avons connu jusqu’ici, depuis les années 60.
Certes, il y eut une conférence de l’union africaine en 1966, une conférence des chefs d’Etat de France et d’Afrique. Mais ici, nous avons une manifestation d’une envergure mondiale avec des délégués qui viendront des cinq continents : il y a 75 pays francophones, parmi lesquels des Haïtiens, des Cambodgiens, des gens de Vanuatu, d’Amérique du Nord qui envoie trois délégations (Canada, Quebec, Nouveau Brunswick)
Nous ne sommes pas dans la situation du Congo face à la France ou la Belgique, nous rencontrerons aussi la Suisse, la communauté francaise de Belgique, Monaco, le Luxembourg, le Maghreb.. C’est une manifestation qui a son importance ne serait ce que par la diversité des gens attendus, cela donne l’occasion à la fois de s’affirmer sur le plan bilatéral mais aussi de réaliser quelques avancées sur le plan multilatéral…
Que représente le Congo dans la francophonie ?
Dans la francophonie, il pèse très lourd, pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que, de toutes façons, l’avenir de la francophonie se joue en Aftique ; sur ce continent, il y a chaque année une avancée du nombre de francophones, à tel point qu’en Afrique de l’Ouest des pays comme le Nigeria et le Ghana cherchent à s’ouvrir à la francophonie pour vivre leur réalité régionale L’Afrique du Sud elle aussi se montre de plus en plus intéressée à la francophonie car elle est désireuse d’avoir des rapports avec toute l’Afrique. Quant au Congo, il n’est pas seulement l’un des pays africains les plus importants, mais aussi, dans la francophonie il est le pays le plus vaste, celui où le nombre de locuteurs francophones est le plus élevé. Même ceux qui s’expriment en lingala ou en swahili y mettent tellement de mots français qu’en fait, la langue de base devient le français lui-même…On apprend le français à l’école primaire, dans beaucoup de familles la première langue, c’est le français. C’est dans la rue, au marché que l’enfant entend des mots de lingala, de swahili…
Dans la francophonie, le Congo est le pays le plus lourd et sur ce point là l’affirmation de notre identité est extrêmement importante sur le plan de la géopolitique. Au niveau du continent africain, cela nous conforte dans notre rôle qui est de faire la jonction entre le Nord et le Sud… Sur le plan international, cela nous donne un cadre de concertation pour les problèmes au niveau des organisations internationales ; la concertation francophone est de plus en plus un élément avec lequel il faut compter, par exemple lors de la conférence de Rio plus 20, les francophones se sont réunis, et ont adopté une position commune…
La défense du français est elle aussi un argument de la diversité culturelle ?
Absolument. Il ne s’agît nullement de défendre l’ancienne langue coloniale D’ailleurs il faut rappeler que ce sont les intellectuels congolais qui ont pris l’option de la langue française : jusqu’en 1960, l’instruction était essentiellement dispensée dans les langues africaines. C’est en 1960 que les députés congolais ont décidé de faire du français la langue nationale et cela jusqu’au niveau primaire, ce qui n’était pas le cas auparavant.
La grande expansion de la langue française au Congo est post coloniale : ce sont les élites d’après l’indépendance qui ont fait le choix du français, de son expansion et non les Belges…
Comment l’opinion congolaise accueille-t-elle ce sommet ?
L’opinion est évidemment très contrastée il faut le reconnaître. Mais il y a aussi des malentendus. Je voudrais d’abord affirmer que contrairement à l’opinion extérieure, véhiculée par la diaspora congolaise, il y a sur le plan local une grande mobilisation en faveur du sommet de la francophonie, plus particulièrement auprès des jeunes, des étudiants, des élèves. Les gens estiment que le sommet va leur rendre confiance en eux-mêmes, puisqu’ils constatent que les autres aussi ont confiance…Si le sommet ne se tenait pas, cela confirmerait notre crainte d’être rejetés, ce serait le signe que l’on ne croit pas en nous…
On a souvent le sentiment que les Congolais ne croient pas suffisamment dans leur pays, dans leur propre force ?
Ce sommet va-t-il les réconforter ?
C’est sur ce point que j’insiste ; comme historien, ayant réfléchi sur ce pays, je sais bien que la grande question congolaise, c’est le manque de confiance en soi. C’est un étonnement et aussi un réconfort de constater que d’autres se réjouissent de venir à Kinshasa…
Il y a aussi un malentendu : nombre de Congolais estiment qu’il ne faut pas que le sommet se tienne à Kinshasa, pensant sanctionner ainsi le Congo. C’est dommage parce que pour le pouvoir, le fait que se tienne ici le sommet d’une francophonie qui se réclame de la démocratie et des droits de l’homme en soi représente déjà une interpellation, une remise en cause. Notre démocratie évolue, elle a connu des problèmes, on le reconnaît mais on veut aller de l’avant, s’amender, s’améliorer personne ne veut rester sur des échecs, des ratés qui ont été reconnus partout le monde…
Ensuite, ce sommet est aussi, pour les amis du Congo, l’occasion de venir nous voir et de nous donner des conseils, de nous encourager, de nous faire des observations amicales sur les points où ils pensent que nous pouvons nous améliorer ;moi je pense que si on est vraiment d’accord pour que la démocratie connaisse des avancées au Congo, il faut pouvoir appuyer l’idée du sommet.
Ce sommet va-t-il conforter les avancées démocratiques ou apparaître comme un soutien au régime ?
Cela n’a rien à voir avec le régime ; en invitant le sommet, le président Kabila a voulu se trouver dans la continuité institutionnelle qui veut qu’en 89 le président Mobutu avait sollicité et obtenu que le sommet se tienne à Kinshasa. En 1991, ce sommet n’avait pas eu lieu, mais la décision avait été prise. On met donc en œuvre une décision prise par le régime précédent, ce qui s’appelle la continuité de l’Etat…
La décision d’organiser le sommet à Kinshasa date de 2008 à Quebec, elle a été confirmée à Montreux en 2010, alors qu’on ne connaissait pas encore le résultat des élections. Il s’agît donc d’ une question d’Etat, et non de régime, qui n’a aucun lien avec le principe ou le résultat des élections. Cela n’ a rien à voir.
Ce sommet est il un remède contre le Congo pessimimse ?
Tout à fait. Il faut aller à contre courant du « Congo bashing » cesser de croire que le Congo n’est qu’une succession de crises, de problématiques qui n’en finissent pas. Vous allez voir un Congo qui a décidé de se relever, qui va montrer au monde toute sa richesse culturelle, ignorée, minimisée et chaque fois mise sous le boisseau, car on ne parle jamais que de la violence de la misère, en omettant les valeurs humaines vécues ici, le sens de la famille, de la solidarité qui font que malgré tant de crises et de problèmes, quand on arrive ici on voit des gens heureux, des enfants qui vont a l’école et sourient. IL y a ici une autre énergie, qui n’est pas reprise dans les statistiques mais qui démontre qu’existe un autre Congo. Et c’est ce Congo là qui veut se faire voir au monde lors de ce sommet.
Ne va-t-il pas coûter cher dans un pays où les besoins de base ne sont pas satisfaits ?
Oui on peut dire cela, mais si le sommet donne l’impression de coûter cher, il faut savoir que dans les pays du Sud les sommets coûtent toujours plus cher que dans le Nord car une partie des frais représente l’amélioration des infrastructures. Les routes sont des investissements qui vont resterdans le pays…Il y a aussi la formation, celle des hôteliers, du personnel du protocole…Tout cela va subsister…Le Congo qui est un grand pays africain doit se préparer à être désormais un lieu de rencontre de niveau international et il fallait qu’on mette aux normes internationales les hôtels, le personnel, les routes… Rien que pour cela le sommet a son utilité…Il nous oblige à faire quelques avancées : au moins nous aurons fait un pas et nous souhaitons que ceux qui viennent nous voir nous acceptent tels que nous sommes. Nous voulons être dignes avec eux : nous avons fait des efforts pour avoir nos cravates bien nouées même si à la maison nous avons encore quelques problèmes ; c’est dans notre culture : quand on reçoit un étranger on fait l’effort d’être correct, de bien le recevoir. C’est un aspect de notre dignité. Tout le monde partage cet état d’esprit, c’est ainsi que les Africains se comportent…
Avec les hôteliers j’ai parlé de l’importance de l’accueil, de la propreté, de la nécéssisté d’investir dans les formations ; et pour leur part, ils ont demandé un moratoire afin d’être moins ennuyés avec les taxes, les tracasseries…
Le thème du sommet sera « enjeux environnementaux et économiques face à la gouvernance mondiale » nous avons travaillé sur le projet de déclaration de Kinshasa, qui est à l’étude à paris au niveau de la commission politique de l’Organisation internationale de la francophonie. Nous avons aussi prévu une série de manifestations préparatoires comme un festival consacré à l’humour, un congrès des écrivains francophones, des journalistes…
La particularité du sommet de la francophonie est qu’il ne s’agît pas seulement d’une réunion institutionnelle, politique elle est accompagnée durant toute l’année de manifestations culturelles…
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