03/10/2012
Habibou Bangré
Cédrick Mbengi habillé dans son style «japonais», avec des vêtements «classiques», dans la cour de la maison où il habite à Kinshasa. RFI / Habibou Bangré |
Ce frigoriste kinois de 22 ans défile dans des vêtements taillés dans du papier, quand ses confrères ne jurent que par les grands créateurs.
Cédrick Mbengi ne paye pas de mine avec son 1,68 mètre. Mais dans sa commune de Kasa-Vubu, dans le nord de Kinshasa, il ne passe guère inaperçu. Les apostrophes se succèdent : « défenseur de la Sape », « pape de la Sape », « Japonais ». Japonais ? Rien à voir avec sa fine moustache et sa petite barbe qui pourraient rappeler des acteurs de films d’arts martiaux. « Japonais » est l’un des courants de la « Sape » (Société des ambianceurs et des personnes élégantes) en vogue dans la capitale de la République démocratique du Congo.
Cédrick Mbengi apprécie ce style mais explique le porter par défaut. Il préfèrerait se « concentrer » sur les vêtements en papier, quand ses confrères ne jurent que par les grandes griffes. « Le papier est déjà un tissu, mais les gens ne le savent pas », affirme le frigoriste de 22 ans. « Ils se servent du papier pour vendre des arachides, du sel, de la viande. Ils ne savent pas qu’avec on peut faire des uniformes. » Une telle idée n’avait pas non plus effleuré l’esprit de Roger Bakandowa, avant que l’artiste ne fasse appel à ses services.
« C’est un fou ? »
Cédrick Mbengi a longtemps cherché un couturier. RFI / Habibou Bangré |
« Il a cherché beaucoup de couturiers », raconte le souriant tailleur, assis derrière sa petite machine à coudre installée dans le grand marché Gambela, à Kasa-Vubu. « La première fois qu’il est venu me voir, je me suis dit : ' C’est un fou, ou comment ? '. Il a insisté et j’ai fait un effort pour qu’il soit satisfait. C’est lui qui me propose les modèles et, moi, je les couds… J’ai fait des pantalons, des chemises, des vestes, des gilets… Beaucoup de choses. » Visiblement habitué, il saisit une paire de ciseaux et improvise en deux minutes le devant d’une chemise.
« Le pantalon en papier, c’est le plus difficile : coudre le papier en général, c’est très difficile et ça abime la machine de plus en plus », souligne Roger Bakandowa. Reste que, depuis quatre ans (sur les six ans qu’il exerce), il fait office de couturier particulier pour le styliste aux traits juvéniles. Et il y a pris goût. A chaque commande, il prend des mesures comme pour n’importe quel tissu, en laissant toujours une marge « pour que ce ne soit pas trop serré, que le corps puisse respirer ». Surtout, il faut que le papier résiste.
D’autant qu’il coûte une fortune dans l’ex-colonie belge, où deux tiers des 68 millions de Congolais vivent avec 1,25 dollar par jour. « Une feuille de 50 cm carrés coûte 5 dollars », déplore le sapeur, plus à l’aise en lingala (la langue la plus parlée à Kinshasa) qu’en français. « Pour une chemise manches longues, il faut 9 feuilles, donc 45 dollars. On dépense trop alors que c’est à usage unique ! Mais je veux que les gens portent du papier comme ils porteraient des vêtements ' classiques '. »
Rêve de papier
Avant de quitter l’école à 12 ans, faute de moyens, Cédrick Mbengi rivalisait avec ses camarades qui « avaient un uniforme, mais pas l’esprit de l’uniforme ». A 14 ans, déclic. « J’ai rêvé que je portais du papier », raconte ce fidèle chrétien, qui prie dans l’une des nombreuses « églises du réveil » de Kinshasa. C’était un 9 février, la veille du jour où les sapeurs célèbrent Stervos Niarcos, le fondateur de la religion « kitendi » (l’habillement, en lingala) décédé en 1995 dans une prison française où il était détenu pour une affaire de drogue.
Cédrick Mbengi porte une de ses créations dans une rue de son quartier. RFI / Habibou Bangré |
Huit ans plus tard, Cédrick Mbengi a affiné son style. Sa page Facebook révèle des photos de lui en « Japonais » et d’autres, plus rares, où il porte des pieds à la tête ses créations – souvent customisées avec ses dessins. Son slogan : « 100% papier », que de nombreux fans résument à « 100 papier ».
Du théâtre ou de la Sape ?
« Son style est une innovation : il est ingénieux et écologique », s’enthousiasme Yves Sambu, président du collectif Solidarité des artistes pour le développement intégral (Sadi). « Mais au départ, les gens, et même les sapeurs, ne comprenaient pas. Ils disaient que ce qu’il fait c’est du théâtre, pas de la Sape. »
C’est de l’histoire ancienne, et pas que dans son quartier. En septembre 2011, dans la commune de la Gombe (nord), il a reçu un accueil plutôt chaleureux lors d’une joute bon enfant entre les sapeurs des deux Congos organisée par le collectif Sadi. Mais « quand vous êtes dans un groupe, il y a toujours des gens qui ne vous aiment pas », regrette Cédrick Mbengi. Puis, pudiquement, il précise : « Le problème que j’ai souvent, c’est que les gens s’intéressent à moi parce que je porte du papier, et certains se plaignent qu’il n’y en a que pour moi... »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire