04/01/2013
Dr Denis Mukwege. Image TV5 |
Pendant que le gouvernement de Kinshasa et les rebelles du M23 entamaient, vendredi 4 janvier, à Kampala, en Ouganda, le "deuxième round" de leurs pourparlers, le docteur Denis Mukwege, Médecin-directeur de l’hôpital de Panzi à Bukavu - en exil forcé en Europe - commentait, la situation dans les provinces du Kivu, au journal télévisé de 18 heures de TV5 Monde. Tout en déplorant que la rébellion est devenue "un mode d’accession au pouvoir en Afrique", le médecin exhorte les gouvernants congolais à créer des espaces de liberté pour prévenir ce genre de dérive.
«Le viol est devenu non seulement une arme de guerre mais aussi une stratégie de guerre», a déclaré en liminaire Denis Mukwebe se fondant sur des informations circonstanciées enregistrées par l’hôpital de Panzi. «Nous observons à l’occasion de l’admission des malades que les viols ont lieu de manière massive, a-t-il ajouté. Il est difficile d’imaginer que 300 femmes d’un village soient violées au cours d’une nuit». Pour lui, une telle opération ne peut procéder que d’une planification.
A force de soigner les personnes victimes de violence sexuelle, le médecin dit avoir fini par réaliser que les violences sexuelles se partiquaient «de manière méthodique». «Chaque groupe armé utilise une méthode différente de viol suivi de torture, explique-t-il. La différence s’observe au niveau des sévices infligés à la victime. Certains violeurs introduisent des objets contondants ou la baïonnette dans l’appareil génital de leur proie. D’autres n’hésitent pas à tirer quelques coups de feu sur le sexe de leurs victimes».
Denis Mukwege a été interrogé également sur le «choc» qu’il a subi suite à la tentative d’assassinat dont il a été l’objet le 25 octobre dernier à son domicile à Bukavu. «J’ai été choqué de voir des hommes en armes prendre en otage les membres de ma famille et abattre mon gardien sous mes yeux. C’est un traumatisme pour toute la famille». Le journaliste a relevé qu’aucune enquête officielle n’a été ouverte à ce jour. Que pense-t-il de la volonté exprimée par les rebelles du M23 d’évoquer " son cas" au cours des négociations de Kampala ? «D’abord, je ne crois pas en ces négociations, a-t-il réagi. Au Congo nous sommes à l’énième négociation. Je constate que la rébellion est devenue un nouveau mode d’accession au pouvoir en Afrique. On tue, on viole, on détruit pour finalement exiger des négociations».
Pour le médecin bukavien, il faut que l’Etat créé des espaces de liberté pour permettre aux gens de discuter. Et partant, prévenir ce genre de dérive. Qu’est ce qui manque ? Pour lui, le Congo-Kinshasa souffre principalement de l’absence des pouvoirs publics dans certaines régions du pays. Selon lui, c’est bien cette lacune qui facilite l’éclosion des bandes armées. Que demande-t-il concrètement à la communauté internationale pour éradiquer ce fléau? «Les actes de viol sont liés à cette situation de rébellion chronique dans la région. Nous demandons à la communauté internationale de réagir avec force. Un minimum de volonté politique permettrait de mettre fin aux exactions infligées à la population.» Denis Mukwege de citer le cas de la Bosnie-herzégovine (ex-Yougoslavie) où des cas de viol ont été enregistrés lors de la guerre des Balkans. «En Bosnie, dira-t-il, cette situation a été éradiquée par la communauté internationale au bout de six mois. Il est étonnant de constater qu’en dépit de tous les rapports sur les crimes qui se commettent au Congo, le phénomène dure depuis douze ans. Nous souhaitons une réaction forte de la communauté internationale pour mettre fin à cette barbarie».
Dans une interview accordée le 24 mai 2011 au quotidien bruxellois «Le Soir», Mukwege - qui n’a jamais hésité à dénoncer l’absence de volonté politique dans le chef des autorités congolaises -, avait pointé un doigt accusateur en direction non seulement des bandes armées mais aussi des forces régulières. Selon lui, les auteurs des violences sexuelles se retrouvent non seulement «dans les groupes armés mais aussi parmi les éléments appartenant aux FARDC». Il avait à l’époque sollicité une intervention de l’armée belge dans les deux régions troublées. Une démarche "politiquement incorrecte" qui avait sans doute déplu au pouvoir kabiliste. Le 25 octobre 2012, le médecin échappait à ce qui ressemble bien à une tentative d’assassinat. Depuis lors, il a quitté le Congo et sillonne le monde. Pour la petite histoire, le secrétaire général de l’Onu avait, dès le lendemain de l’attentat, demandé aux autorités congolaises d’identifier les auteurs de cet acte criminel et de les traduire en justice. Deux mois après les autorités judiciaires affichent un silence surprenant. L’enquête est toujours en cours…
Madeleine Wassembinya/B.A.W
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