26/03/2013
Au moment où le procès de Bosco Ntaganda s’ouvre ce matin à la Haye, la procureure de la CPI devra s’engager rapidement à fond pour la pacification totale de la Rd Congo. Fatou Bensouda sera dans l’obligation d’ouvrir un nouveau chapitre pour la justice en poursuivant les seigneurs de guerre locaux ainsi que les hauts responsables qui les soutiennent.
Sont dans le collimateur les multinationales, l’Ougandais Yoweri Kaguta Museveni, le Rwandais Paul Kagame et son chef d’Etat-major James Kabarebe, Ruzangisa dit Sultani Makenga, Laurent Nkundabatware, Sylvestre Mudacumura, Jules Mutebusi, Jean-Marie Runiga, Roger Lumbala… ce qui aidera à briser le cycle répétitif des exactions en Rdc.
Au moment où maints observateurs voient en la comparution de Ntaganda devant la CPI une marque de victoire pour la justice, des enquêtes sur des suspects hauts placés sont encore nécessaires pour mettre fin, une fois pour toutes, aux exactions dans la partie Est de la Rdc. Il s’agit ici d’une avancée majeure sur la voie de l’élimination des violations de droits humains en République démocratique du Congo, a déclaré hier HRW. Ntaganda a été transporté par avion à La Haye le 22 mars après qu’il se soit rendu de façon inattendue et pour des raisons inconnues à l’ambassade des États-Unis à Kigali, au Rwanda, le 18 mars et ait demandé à être transféré à la CPI. Un homme politique congolais dira que c’est le sang des victimes innocentes qu’il a tuées qui a fait qu’il se soit volontairement livré à la CPI.
Une anguille sous roche
La comparution de Ntaganda devant la CPI survient près de sept ans après que la Cour ait délivré un premier mandat d’arrêt contre lui pour crimes de guerre dans le district d’Ituri dans le nord-est de la RD Congo. Une décision aux agendas cachés, selon une tendance qui lit entre les lignes cette étonnante reddition.
Pendant des années, Ntaganda a dirigé des forces rebelles et gouvernementales impliquées dans des meurtres, des viols, des actes de torture, l’utilisation d’enfants soldats et le pillage. « La comparution de Ntaganda devant la CPI après qu’il ait été recherché pendant des années offre aux victimes de crimes horribles un réel espoir d’obtenir justice », a déclaré Géraldine Mattioli-Zeltner, directrice de plaidoyer au sein du programme Justice internationale à HRW. « La détention de Ntaganda à La Haye montre que personne n’est au-dessus des lois. »
La CPI ne dispose pas d’une force de police à elle pour faire exécuter ses mandats. Elle s’en remet entièrement aux gouvernements pour procéder aux arrestations. Les États-Unis, qui ne sont pas signataires des Statuts de Rome créant la CPI, ont joué un rôle crucial en procédant au transfert rapide et efficace de Ntaganda à La Haye après sa reddition à l’ambassade, selon HRW. La coopération du Rwanda et de la RD Congo, qui ne se sont pas opposés au transfert, certes dans le strict respect de l’accord-cadre a permis de faciliter cette procédure.
Le transfert de Ntaganda à la CPI pourrait clore un chapitre d’exactions particulièrement atroces commises par Ntaganda et ses troupes, et que HRW a documentées en détail au cours des 10 dernières années. La CPI avait initialement accusé Ntaganda des crimes de guerre de recrutement, d’enrôlement et d’utilisation d’enfants âgés de moins de 15 ans alors qu’il était un des dirigeants du groupe armé de l’Union des patriotes congolais (UPC) pendant le conflit en Ituri en 2002 et 2003.
Ntaganda a ensuite rejoint un autre groupe armé, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), et a continué à diriger des troupes qui ont commis de graves exactions dans les provinces du Kivu de l’Est de la RD Congo. En 2009, dans le cadre d’un accord de paix, il a été intégré dans les forces armées congolaises au rang de général. Entre 2009 et 2012, les troupes gouvernementales placées sous son commandement ont été impliquées dans d’autres crimes de guerre dans les Kivu, ainsi que dans des assassinats, des arrestations arbitraires et des disparitions forcées à l’encontre de ceux qui s’opposaient à Ntaganda ou dénonçaient ses méfaits.
Chasse aux auteurs et commanditaires
Même si les deux premiers mandats ne concernent que la phase Ituri 2002-2003, en avril 2012, Ntaganda et d’autres officiers ont créé un nouveau groupe rebelle, le M23. Depuis sa création, le M23 a reçu un soutien important de la part des responsables militaires rwandais, selon des recherches menées par Human Rights Watch, comme cela avait été le cas dans le passé pour l’UPC et le CNDP. Depuis 2012, les combattants du M23 ont commis de nombreux crimes de guerre, notamment des meurtres, des viols et le recrutement d’enfants.
Le co-accusé de Ntaganda dans la première affaire devant la CPI, Thomas Lubanga, président de l’UPC, a été la première personne que la CPI a jugée et condamnée, en mars 2012. En juillet 2012, la CPI a délivré un second mandat d’arrêt contre Ntaganda pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité supplémentaires qui auraient été commis, toujours en Ituri, en 2002 et 2003, notamment le meurtre, le viol et l’esclavage sexuel, la persécution et le pillage.
L’ajout de ces accusations élargit considérablement le champ de crimes poursuivis par rapport à l’affaire Lubanga, qui ne concernait que le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats, offrant ainsi davantage à de victimes la chance de voir justice rendue, selon Human Rights Watch.
Un transfèrement tant salué
Ainsi, « la mise en accusation de Ntaganda devant la CPI est un avertissement sévère adressé aux autres auteurs de violations des droits humains et représente un grand pas vers plus de justice pour certaines des pires atrocités commises sur le continent africain ces dernières années », a indiqué Géraldine Mattioli-Zeltner. « Cependant, dans la poursuite des crimes perpétrés en Ituri, il ne faut pas oublier que des années d’exactions commises dans les Kivu demeurent impunies. » De même, ce qui se passe encore aujourd’hui dans le Kivu est un travail de chaîne, dont Ntaganda n’est qu’un bouc émissaire. Les vrais ennemis de la Rdc sont le Rwanda, l’Ouganda, les Anglo-saxons et autres prédateurs aussi bien internes qu’externes, pourvu que la Rdc reste à genoux et que ses minerais les engraissent. Que Kigali soit reconnu un marché des minerais, alors qu’aucune pépite n’est trouvable dans son sous-sol, il n’y a pas match.
L’UE, par la bouche de Catherine Ashton, réitère son soutien à la CPI dans sa lutte contre l’impunité et à la promotion d’un ordre international fondé sur le droit. L’UE est convaincue que les violations des droits de l’homme doivent être poursuivies quels qu’en soient les auteurs. L’UE reste engagée à soutenir les efforts en appui à la stabilisation, à la réconciliation et à la justice en RDC, ainsi que les actions entreprises pour faire respecter l’Etat de droit."
Jusqu’à présent, le Bureau du procureur de la CPI a concentré ses enquêtes sur les seigneurs de guerre. Il s’agit notamment de Lubanga et Ntaganda, ainsi que de leurs adversaires dans le conflit en Ituri, Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo. La CPI a acquitté Ngudjolo en décembre 2012. La Cour a également émis un mandat à l’encontre de Sylvestre Mudacumura, le chef militaire des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe rebelle constitué en grande partie des hutus rwandais, dont certains ont participé au génocide rwandais. Mudacumura est toujours en fuite.
Des recherches antérieures menées par plusieurs organisations ont révélé que de hauts responsables politiques et militaires en RDC, au Rwanda et en Ouganda ont fourni un appui aux milices violentes opérant dans les provinces d’Ituri et des Kivu. HRW a exhorté à plusieurs reprises le Bureau du procureur de la CPI à enquêter sur le rôle de ces hauts responsables dans les crimes commis par les groupes armés actifs dans l’est de la RDC. Le nettoyage des écuries s’impose.
Quoi qu’il en soit, avec Ntaganda à La Haye, le Bureau du procureur de la CPI devrait envisager d’ouvrir une nouvelle phase dans ses enquêtes sur les crimes de guerre en RD Congo. La procureure, qui enquête sur des crimes dans huit pays, aura besoin de soutien supplémentaire de la part des pays membres de la CPI afin d’obtenir la coopération et le financement nécessaires pour entreprendre ce travail.
« Plutôt que de mettre un terme aux opérations en RDC, la procureure de la CPI devrait porter son travail à un niveau supérieur et ouvrir un nouveau chapitre pour la justice », a conclu Géraldine Mattioli-Zeltner. « Si la CPI doit aider à briser le cycle répétitif des exactions en RDC, il faut aller au-delà des seigneurs de guerre locaux et poursuivre les hauts responsables qui les soutiennent. »
Récemment, dans deux procédures, le Bureau du procureur de la CPI a subi des revers. L’acquittement de Ngdujolo et l’effondrement de l’une de ses affaires contre un ancien haut responsable kenyan ont soulevé des interrogations quant à la capacité du bureau à s’acquitter de son mandat difficile. Mais comme il n’y a pas justice sans dire le droit, la CPI devra frapper de sa main de fer sans mettre des gans, afin que les coupables impliqués dans la déstabilisation de l’Est de la Rdc reçoivent chacun sa rétribution.
L’Avenir
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