30/01/2014
Elisabeth Chardon
Frédéric Bruly Bouabré.
Parmi les inventions de ce doyen de l'art africain figure un alphabet imaginés pour son peuple, les Bétés (DR)
Parmi les inventions de ce doyen de l'art africain figure un alphabet imaginés pour son peuple, les Bétés (DR)
Dessinateur, poète, l’Ivoirien avait exposé dans les grands musées internationaux. Il avait inventé un alphabet pour son peuple, les Bétés, et pour toutes les langues du monde
Une étoile s’est éteinte. Oui, Frédéric Bruly Bouabré ajoutait volontiers une étoile à sa signature. Non pas qu’il ne sût pas écrire. Cet artiste africain avait même mis au point un alphabet pour son peuple, les Bétés, mais aussi pour retranscrire toutes les langues du monde. Soit 440 pictogrammes monosyllabiques pour représenter les phonèmes. Il expliquait: «L’alphabet est l’incontestable pilier du langage humain. Il est le creuset où vit la mémoire de l’homme. Il est un remède contre l’oubli, redoutable facteur de l’ignorance. Trouver sur la scène de la vie humaine une écriture spécifiquement africaine, tel est mon désir.» Cette invention, qui lui valut le surnom de Champollion africain, est révélatrice d’une pensée poétique, encyclopédiste et généreuse.
«Ma mère m’a conseillé d’être bon pour vieillir. Alors je me suis marié au verbe de ma mère», disait-il. Frédéric Bruly Bouabré est décédé chez lui à Abidjan, ce mardi, à 91 ans. Ou à peu près. Vers 1923 dans la région de Daloa, en Côte d’Ivoire, la naissance ne se date guère. L’enfant est animé par un tel désir de connaissance qu’il demande lui-même à suivre l’école française. Enrôlé dans la marine pendant la Seconde Guerre mondiale, il devient ensuite fonctionnaire de l’administration coloniale. Il a souvent raconté qu’un jour de mars 1948, il avait vu le ciel s’ouvrir et sept soleils colorés décrire «un cercle de beauté autour de leur Mère-Soleil». Ce jour-là fut pour lui comme une seconde naissance. Il deviendra artiste, penseur, écrivain.
Il disait que Théodore Monod, qu’il considérait comme son père spirituel, lui avait appris l’observation, et que c’était ce qui avait fait de lui un dessinateur. Ses «bricolés», comme il les appelait, des milliers de petits dessins nés de ces observations, il les réalisait dans sa modeste cour, avec des stylos bille et des crayons de couleur sur des cartons de 10 x 15 cm. Chacun d’eux est encadré d’une sorte de légende écrite à la main. Réunis sous le titre Connaissance du monde, ces dessins recensent le réel avec naïveté et grâce.
Depuis qu’il a été découvert par André Magnin et présenté dans l’exposition de Jean-Hubert Martin Magiciens de la terre, à Paris en 1989, l’artiste est invité dans les musées internationaux. En Suisse romande, ces dernières années, on a pu voir les œuvres de Frédéric Bruly Bouabré autant au Mamco de Genève qu’à la Collection de l’art brut à Lausanne. Et bien sûr, cet outsider était incontournable dans l’exposition principale de la Biennale de Venise l’an dernier, qui justement mêlait les œuvres d’art brut et d’art contemporain.
Dans un autoportrait, il évoquait sa couleur de peau, mettant d’accord ceux qui le voyaient plutôt noir foncé ou plutôt noir clair. «Je me découvre moi-même dans une peau d’un noir de bronze violâtre. Oui! dans un rassemblement de toutes les races humaines, j’aimerais mieux me voir classé dans la race violette!»
Une video inspirée par l'alphabet de Frédéric Bruly Bouabré
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