25/06/2014
Jean Flamme, avocat au barreau de Gand. |
Avocat au barreau de Gand (Flandre Orientale) depuis plus de quarante ans, Maître Jean Flamme est un familier de la «justice internationale». Spécialiste en droit pénal international, il a servi, sous la bannière de l’organisation non gouvernementale «Avocats sans frontières», au Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPIR) à Arusha, en Tanzanie, avant d’être accrédité à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye. Il a été le tout premier avocat à plaider une affaire devant cette juridiction internationale. C’était dans le dossier de l’ex-chef milicien Thomas Lubanga. Jean Flamme finira par claquer la porte. «Après une année de plaidoirie, dit-il, j’ai donné ma démission parce que le Greffe ne soutenait pas suffisamment la défense. Plus grave, le Greffe mettait les bâtons dans les roues de la défense. Les droits élémentaires de l’accusé n’étaient pas respectés. Je voulais lancer une alerte. Hélas, cette alerte n’a pas été entendue». Maître Flamme est, depuis six mois, le conseil de…l’avocat Jean-Jacques Kabongo Mangenda. Celui-ci fait partie des membres de l’équipe de défense de Jean-Pierre Bemba Gombo, mis aux arrêts, en décembre dernier, sur la base d’un mandat d’arrêt émis par la Procureure Fatou Bensouda du chef de «subornation des témoins». Une affaire dans l’affaire. Pour Jean Flamme, «le procès Bemba est une affaire politique».
J’ai connu Jean-Jacques Kabongo Mangenda à l’époque où j’étais le conseil principal de Thomas Lubanga. Jeune avocat au barreau de Kinshasa/Matete, il a travaillé à mes côtés en qualité de stagiaire. J’ai eu à apprécier ses qualités professionnelles. Après ce stage, il est passé à l’office du conseil public. Une année après, il est entré dans l’équipe des avocats chargés de la défense de Jean-Pierre Bemba en qualité de «chargé de la gestion des dossiers». Il n’avait pas un rôle «responsable» dans la mesure où il se limitait à exécuter ce que les «conseils principaux» lui disaient de faire. A savoir notamment d’insérer dans l’ordinateur tous les documents. «Jean-Jacques» résidait à La Haye. C’est donc lui qui assurait tous les contacts avec Monsieur Bemba en mettant celui-ci au courant de l’évolution de la procédure. Tout se passait au téléphone. Il ignorait que les conversations entre lui et Monsieur Bemba étaient systématiquement enregistrées par le Greffe. Et ce, depuis trois ou quatre ans.
Ces enregistrements étaient-ils légaux ?
(Sourire). Absolument pas ! Le Greffe prétend que les conversations enregistrées n’étaient nullement confidentielles. Au motif que Jean-Jacques Kabongo n’était «que» gestionnaire des dossiers.
Revenons à votre désignation comme conseil…
Un jour, je reçois un appel téléphonique du Greffe de la CPI m’informant que «quelqu’un» sollicitait mon assistance à La Haye. Après vérification, j’apprendrai qu’il s’agissait de mon ancien stagiaire qui a été arrêté en même temps que Maître Aimé Kilolo du chef d’accusation de «subornation des témoins» et de «falsification des pièces».
Dès le lendemain de ces arrestations, la Procureure a prétendu qu’elle détenait des preuves à charge. Cela fait six mois que l’opinion attend la production de ces documents…
Cela fait sept mois que nous attendons l’acte d’accusation, alors que les prévenus sont en détention préventive. Le délai a, chaque fois, été remis parce que la Procureure… n’était pas prête. La dernière fois, le Juge unique a ajouté un mois supplémentaire sans que le procureur ait déposé une requête à cette fin. J’ai contesté cette procédure. Mon objection a naturellement été rejetée. Toutes les demandes introduites, jusqu’ici, par les cinq défenses ont, chaque fois, été repoussées par le Juge unique. Voilà pourquoi nous avons demandé sa récusation. Nous avons récusé non seulement le Juge unique mais aussi la Procureure. La récusation du Juge unique a été refusée.
Que reprochez-vous à ce Juge ?
A titre d’exemple, la défense de Me Kilolo avait demandé l’audition d’un témoin. Le Juge unique avait rejeté cette demande en prétendant que des déclarations écrites pouvaient suffire. C’est une violation de l’article 67 des Statuts de Rome qui impose l’audition des témoins sous serment. Plus grave, conformément aux accords sur les privilèges et immunités, les avocats près la CPI jouissent des immunités. Il va sans dire que pour poursuivre un avocat, il faut préalablement lever ces immunités.
Qui doit les lever ?
C’est la Présidence de la Cour qui doit lever les immunités dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Cette procédure a-t-elle été observée ?
Nullement ! La Procureure près la CPI a demandé l’arrestation des avocats sans que la levée des immunités ait été demandée. Pire encore, toute la procédure préalable, en ce compris l’ordonnance autorisant les écoutes téléphoniques des avocats, s’est passée sans levée de ces immunités et est donc illégale.
Il y a apparemment un vice de forme…
Effectivement ! Que s’est-il passé ? Le Juge unique a, de sa propre initiative, écrit une lettre à la Présidence de la Cour en disant qu’il se retirait de ses fonctions de vice-président et demandait au président de lever les immunités des avocats, qui seront arrêtés le lendemain. Un comble ! Il n’appartient nullement à un Juge de poser un acte de procédure qui n’appartient qu’aux parties au procès. En clair, ce Juge s’est départi de l’impartialité qui doit caractériser sa fonction. Il s’est érigé en procureur. Il y a, par ailleurs, l’épineux problème de l’absence d’un barreau près la Cour pénale internationale.
Comment l’expliquez-vous ?
Il n’existe pas de barreau devant la justice pénale internationale. C’est un problème immense qui rend cette juridiction illégale. Je vous ai parlé auparavant des écoutes pratiquées sur la ligne téléphonique de la prison à La Haye. Le Juge unique a ordonné de transmettre au procureur les enregistrements de toutes les conversations de Monsieur Bemba. Le Greffe a transmis tout au procureur y compris les conversations entre Bemba et mon client. C’est sur cette base que le procureur a pu prendre connaissance des causeries des avocats entre eux à partir de leurs «mobiles». Le Juge unique a nommé en toute illégalité ce qu’il appelle un «conseil indépendant», rémunéré par la Cour.
De qui s’agit-il ?
Il s’agit d’un avocat congolais du barreau de Bruxelles. Sa mission consiste à sélectionner, traduire et commenter les conversations enregistrées qui se déroulent presque toujours en lingala. Le «conseil indépendant» s’attarde particulièrement sur les passages incriminants susceptibles d’intéresser la Procureure. Cette espèce de "Fantomas" a d’abord évolué dans l’anonymat dans le cadre d’une "fonction" qui n’a aucune existence légale et créée de toutes pièces. La Procureure a le monopole de l’instruction. On ne peut en aucun cas soumettre un justiciable à une instruction menée par une tierce personne. C’est parfaitement illégal ! La loi pénale est d’ordre public et de stricte interprétation. Que voit-on dans ce cas? Le Juge unique nomme un avocat pour enquêter sur un autre avocat. A mon avis, l’avocat désigné par le Juge aurait dû décliner cette mission qui écorne la déontologie. Ce Juge unique passe son temps à «confectionner» un cadre qui permet à la Procureure de mener cette enquête.
La fonction de juge unique est-elle exercée par une même personne ?
Oui ! Je vous ai dit qu’il n’y a pas de barreau près la CPI. En Belgique, un avocat ne peut être placé sur écoute qu’avec l’autorisation du bâtonner. Il n’y a pas de bâtonnier à la CPI. Le Juge unique s’est arrogé le rôle dévolu au bâtonnier. Il décide seul de mettre des avocats sur écoute. Toutes les écoutes pratiquées sur le territoire des Pays-Bas sont soumises à un juge d’instruction. En compagnie du bâtonnier et des avocats, le juge d’instruction examine pièce par pièce pour séparer ce qui est confidentiel de ce qui ne l’est pas. D’autre part, il identifie ce qui est important dans le cadre des charges. Le rôle du bâtonnier est crucial ici. Or il n’y en a pas à la CPI. Le Juge unique a créé ce «conseil indépendant» qui est en réalité «dépendant» puisqu’il est rémunéré par la Cour. Le Juge unique en a fait un deuxième procureur. L’autre motif de récusation découle de la diffusion sur « You tube » de l’entièreté de l’audience de première comparution. Dans les transcrits de l’audience, le Juge a classé ce que j’avais dit dans la deuxième partie de mon exposé comme «confidentiel». Et pourtant, il aurait dû m’interrompre et ordonner le huis clos. Il m’a laissé parler.
Comment interprétez-vous cette attitude du Juge unique ?
L’objectif est clair : protéger la Procureure. De manière schématique, j’ai dit ceci dans mon exposé dont question : «Procureur vous n’êtes pas indépendant. Vous n’avez pas l’indépendance pour mener cette enquête. Vous enquêtez au fond sur vos adversaires dans une affaire en cours. Vous avez en plus un intérêt personnel. L’intérêt de gagner cette affaire. Vous avez commencé à douter de vos possibilités de sortir vainqueur. C’est ainsi que vous avez créé une deuxième affaire. Une affaire dans l’affaire. C’est une déclaration de guerre à la défense dans son ensemble».
Qu’en est-il de la lettre qu’un des vingt-deux témoins à charge a adressée à la Procureure avec copie notamment au secrétaire général de l’Onu pour réclamer la rétribution promise ?
C’est une question à laquelle je ne puis vous répondre, vu la confidentialité ordonnée.
La confidentialité n’est plus de mise puisque l’élément se trouve sur « youtube »…
C’est une lettre qu’un des témoins de la Procureure a adressée à plusieurs instances dont le président de la Cour et le secrétaire général des Nations Unies. Ce témoin exigeait l’argent qui lui avait été promis. Il a dit que les autres témoins attendaient également la rétribution promise. La Procureure était en possession de cette correspondance depuis six mois. Elle aurait dû divulguer cette information dont le contenu est susceptible d’intéresser la défense. Elle ne l’a pas fait. La défense avait déjà déposé une requête confidentielle pour faire revenir ce témoin à l’audience afin d’écouter ce qu’il avait à dire. Le procureur qui recevait la retranscription des écoutes des conversations entre les avocats a pu apprendre qu’une plainte était en préparation contre elle pour « subornation des témoins ».
D’où les arrestations ordonnées par la Procureure…
Effectivement ! On a ainsi créé un deuxième procès Bemba. Le but est de maintenir celui-ci en détention. «On » ne veut évidemment pas qu’il soit libre lors des élections de 2016…
Vous abordez là un volet politique…
A mon avis, l’affaire Bemba est une affaire politique. La grande majorité des affaires traitées à la Cour pénale internationale est politique.
Qui, selon vous, tire les ficelles dans le cas de Bemba et de ses co-accusés ?
C’est une bonne question. N’oublions pas que le Conseil de sécurité a des pouvoirs qui sont inscrits dans les Statuts de Rome. Il a un droit d’initiative comme il est constaté dans le cas de l’actuel chef d’Etat soudanais. Le Conseil de sécurité peut ordonner la suspension d’une enquête pendant un an. J’estime que la Procureure n’est pas indépendante. Je crois pouvoir dire qu’elle fait, de manière régulière, des rapports au Conseil de sécurité.
Le Conseil de sécurité compte cinq membres permanents : la Chine, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et la Russie. Quels sont, selon vous, les pays intéressés par ce qui se passe à la CPI ?
Je vous dis simplement qu’il y a trois membres permanents qui n’ont pas reconnu la Cour pénale internationale. Il s’agit de la Chine, des Etats-Unis et de la Russie. Ne pensez-vous pas que les Etats-Unis ont de gros intérêts en Afrique centrale? Ne pensez-vous pas que Monsieur Kagame est un «agent américain» ?
Certains analystes soutiennent que la France de Jacques Chirac «fait payer» à Bemba le soutien militaire qu’il avait apporté au président centrafricain de l’époque Ange-Félix Patassé. L’Elysée soutenait François Bozizé, alors chef rebelle. Qu’en pensez-vous ?
C’est une possibilité. J’en voyais une autre.
Il y a naturellement « Joseph Kabila »…
Il est notoire que Joseph Kabila est fortement sous l’influence de Kagame. En jetant un coup d’œil rétrospectif depuis 1990, il est aisé de constater que le Front patriotique rwandais est à la limite une création américaine. Sans les Américains, l’Armée patriotique rwandaise ne serait jamais devenue la force militaire la plus importante de la région. Le FPR participait aux négociations de paix d’Arusha. Parallèlement, aux accords de paix, certains milieux finançaient et armaient une force qui, à l’évidence, voulait s’emparer du pouvoir. Lors des négociations, Kagame jouait un double jeu. Grâce à des témoignages et des preuves matérielles, nous savons aujourd’hui que c’est le FPR qui a abattu l’avion du président Juvénal Habyarimana.
Le FPR a toujours contesté cette thèse …
Evidemment, le FPR va continuer à contester cette thèse. Reste qu’il y a de plus en plus de publications qui avancent des arguments très crédibles à l’appui. Il y a eu plusieurs témoins très crédibles à l’époque de l’ancien procureur près le TPIR (Tribunal pénal international sur le Rwanda) Louise Arbour, décédée. L’avocat australien Michaël Hourigan avait deux témoins fiables. Le procureur Louise Arbour n’a pas voulu les entendre. Elle l’avouera plus tard par vidéo conférence. Le TPIR refusait systématiquement de poursuivre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par les troupes de Kagame. Le TPIR incarne ainsi une justice des vainqueurs. D’ailleurs, cette juridiction internationale était gérée par des Américains. Je l’ai constaté au niveau du Greffe. C’est inimaginable qu’un tribunal ou une cour de justice licencie un avocat. Cela a été mon cas au TPIR. J’ai vu, à Arusha, des avocats, décidés à faire leur travail jusqu’au bout, entourés des gardes du corps. La théorie du génocide planifié par l’ancien régime n’est pas prouvée. C’est le seul point positif à mettre au crédit du TPIR. Le génocide rwandais découle d’une guerre civile qui a éclaté suite à l’offensive finale menée par le FPR. On compte des victimes tant du côté des Tutsi que des Hutu.
Le conflit Tutsi-Hutu a fini par s’étendre au Congo…
Effectivement ! Cette guerre civile s’est étendue dans les provinces du Kivu. On parle de cinq à huit millions de morts au Congo. Personne n’en parle. Et pourtant, Paul Kagame est mentionné dans des rapports des Nations Unies comme un des grands responsables des massacres au Congo. Il n’y a eu aucune suite pénale. En d’autres termes, la Cour pénale internationale ne s’intéresse qu’aux «petits poissons». Le but est de donner une impression de justice.
Finalement, qui tire les ficelles dans les coulisses ?
Les ficelles sont tirées, à mon avis, par les puissants et grands de ce monde derrière lesquels se dissimulent souvent une nébuleuse des groupes d’intérêts financiers. Il est remarquable de noter que Monsieur Bemba n’est pas poursuivi pour des faits qui se sont passés au Congo mais en République Centrafricaine. Bemba n’assumait pas le commandement des troupes du MLC (Mouvement de libération du Congo) envoyées à la rescousse du chef d’Etat centrafricain d’alors, Ange-Félix Patassé. La CPI soutient que Bemba continuait à exercer l’autorité hiérarchique sur ses combattants. La défense représentée par l’avocat Kilolo était justement en train de démontrer le contraire.
Bemba serait-il victime d’une cabale ?
Pourquoi cherche-t-on à «éliminer» Monsieur Bemba? C’est la grande question ! Est-ce que Bemba dérange certains milieux qui veulent faire main basse sur les richesses du Congo ? Je suis persuadé qu’il y a des motivations politiques. La «deuxième affaire Bemba» a été montée de toutes pièces. Je suis en mesure d’établir que mon client Jean-Jacques Kabongo n’a effectué aucun paiement eu profit d’un quelconque témoin. Tous les paiements dont il est question ont été effectués via Western Union. Mon client m’a dit : « J’ai déposé tous les paiements au compte officiel de l’administration pénitentiaire au nom de Monsieur Bemba». J’ai demandé que le Greffe me fasse l’inventaire de ces documents. Le Juge a refusé de me fournir toutes les pièces en sa possession. Peut-on décemment suborner des témoins à partir d’un compte géré par l’administration pénitentiaire ?
Comment voyez-vous la suite de ce procès ?
La Procureure est obligée de déposer son acte d’accusation avant la fin de ce mois de juin. La défense devrait présenter ses moyens avant le 30 juillet. On va échanger des répliques vers le 15 août. Le Juge a décidé qu’il n’y aura pas d’audience. Toute la procédure se fera par écrit.
Est-ce régulier ?
Absolument pas ! Un procès pénal de cette envergure ne peut être traité ainsi. C’est un procès colossal. Pour bien assurer la défense dans le deuxième procès Bemba, il est impérieux de savoir ce qui s’est passé dans le procès principal. D’ailleurs le procureur vient de communiquer le transcrit de toutes les déclarations des témoins. Cela revient à dire qu’il entend les utiliser afin de prouver que les témoins auraient dit autre chose que ce qu’ils étaient préparés à dire. C’est une cause d’une complexité extrême. On a difficile à imaginer qu’une telle affaire soit traitée sans audience. C’est du jamais vu !
Voulez-vous dire qu’il y a une volonté de dissimuler «quelque chose» ?
Oui !
Dissimuler quoi, au profit de qui ?
Le fait que le Juge unique ait classé «confidentiel» le transcrit de mon exposé lors de l’audience de première comparution répond amplement à cette question. Par ailleurs, le comportement de la Procureure prouve qu’il y a un intérêt, à mon avis, politique dont la préservation requiert que Bemba reste en prison.
A vous entendre parler, on est saisi par une impression d’impuissance face à une CPI omnipotente…
La justice est juste aussi longtemps que les juges appliquent les règles. Dès lors que les juges prennent des libertés avec certaines règles - comme c’est le cas à la CPI -, il n’y a plus de justice. Une chose paraît certaine : la Procureure Fatou Bensouda a pris un risque immense dans cette affaire. Elle a mis en péril la crédibilité de la Cour pénale internationale.
Que faire ?
Que faire ? Il appartient à l’opinion publique de trancher...
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi
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