20/11/2014
Par Laetitia Van Eeckhout (envoyée spéciale à Rome)
Des familles avec des enfants souffrant de malnutrition attendent de recevoir des traitements,
au Soudan du Sud en juillet 2014. Nichole Sobecki / AFP
« Notre responsabilité est de transformer nos engagements en des résultats concrets » : en ouvrant, mercredi 19 novembre, la deuxième Conférence internationale sur la nutrition – en présence des représentants de 172 pays, dont plus d’une centaine de ministres de la santé et de l’agriculture, ainsi que de nombreuses ONG et entreprises privées –, José Graziano da Silva, directeur général de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a exhorté les Etats à redoubler leurs efforts et se donner les moyens de mettre fin à la malnutrition, sous toutes ses formes.
Malgré les progrès réalisés sur le front de la faim depuis la première conférence de 1992, plus de 800 millions de personnes dans le monde (une personne sur neuf) souffrent encore aujourd’hui de sous-alimentation. Dans le même temps, l’obésité n’a cessé de progresser. « Ce phénomène que nous n’avions pas anticipé il y a 22 ans, touche plus de 500 millions d’adultes et de 42 millions d’enfants, dans les pays développés comme en développement », a souligné José Graziano da Silva.
« La quantité et la qualité des aliments, la faim et la malnutrition, sont les deux revers d’une même médaille », a insisté Margaret Chan, directrice générale de l’Organisation mondiale pour la santé (OMS), co-organisatrice avec la FAO de cette conférence. Aujourd’hui, plus de 2 milliards de personnes souffrent de carence en micro-éléments (vitamine A, iode, fer, zinc notamment). La malnutrition chronique, qui entraîne des retards de croissance, touche encore 161 millions d’enfants de moins de cinq ans, tandis que la malnutrition aiguë, cause de dépérissement, en affecte 51 millions.
Or, au-delà du coût humain, cette malnutrition constitue un frein au développement, affectant lourdement les économies du pays en nuisant à la productivité des populations. « Aujourd’hui, la malnutrition représente un coût global estimé de 2 800 à 3 500 milliards de dollars, soit de 4 à 5 % du PIB mondial », a alerté José Graziano da Silva.
Soixante recommandations
Reconnaissant que « malgré les résultats non négligeables », les progrès restent « faibles et inégaux », les ministres et hauts responsables de la santé, de l’agriculture et de l’alimentation présents ont adopté dès la matinée d’ouverture de la Conférence une Déclaration politique ainsi qu’un cadre d’action sur la nutrition comprenant soixante recommandations.
« Renforcer la production agricole et la transformation des aliments au plan local, notamment en soutenant l’agriculture familiale et les petits agriculteurs », mais aussi « mettre en œuvre ou renforcer des systèmes de contrôle des produits alimentaires », « promouvoir la couverture universelle des soins de santé », réduire les excès de graisses, sucres et sel dans les aliments transformés, développer l’information et l’éducation nutritionnelle… : le cadre d’action se veut une feuille de route pour concrétiser les engagements pris et investir tout au long de la chaîne alimentaire, afin d’assurer une alimentation saine, variée et équilibrée pour tous.
Nombreux manquements
Les Etats soulignent que l’investissement dans la nutrition améliore la productivité et la croissance économique, en réduisant les coûts liés aux soins de santé et en favorisant l’instruction. Néanmoins, leurs engagements et le cadre d’action, des textes qui sont pourtant non contraignants, présentent de nombreux manquements, dénonce la société civile.
Notamment, alors qu’ils mettent l’accent sur l’importance de la nutrition des femmes et des enfants, ces textes n’affirment pas clairement les droits humains. « La question du genre est pourtant essentielle pour combattre la sous-nutrition de manière efficace, souligne Peggy Pascal, en charge du plaidoyer chez Action contre la faim. Le faible niveau d’éducation des femmes, l’inégalité des statuts sociaux et la discrimination généralisée ont une incidence négative sur leur état nutritionnel et la nutrition de leurs enfants. »
Production industrialisée de nourriture
Le pape dénonce la spéculation sur les produits alimentaires
lors de la 2e conférence internationale sur la nutrition,
à Rome, le 20 novembre. Alessandro Bianchi / AFP
Les ONG s’alarment également du fait que cette Déclaration de Rome sur la nutrition reste très timide quant à la reconnaissance du rôle clé des petits agriculteurs et demeure silencieuse sur les dysfonctionnements du système alimentaire actuel.
« Il y a en fait déjà assez de nourriture pour que tout le monde mange correctement. C’est la disponibilité des aliments qui pose problème. Il nous faut repenser nos systèmes alimentaires », a pourtant affirmé José Graziano da Silva. « Le système alimentaire mondial ne fonctionne plus, à cause de sa dépendance à une production industrialisée de nourriture toujours moins chère et mauvaise pour la santé », a abondé Margaret Chan, en relevant que pour certaines grandes villes d’Afrique et d’Asie, il était plus économique d’importer de la nourriture industrielle que de faire venir des produits frais des campagnes alentours.
Une interpellation relayée par le pape François intervenu jeudi matin. « Il y a des aliments sur Terre pour tous mais tout le monde ne mange pas à sa faim, alors que les pertes, le gaspillage se font sous nos yeux », a lancé le pontife qui a appelé les États à faire « respecter, en toutes circonstances, les droits de la personne humaine », à commencer par le droit à l’alimentation.
Laetitia Van Eeckhout (envoyée spéciale à Rome)
Journaliste au Monde
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