Lu pour vous ce 13/11/2010 sur Congo forum.
Le procès des meurtriers présumés de Floribert Chebeya s’ouvre dans une ambiance qui met en évidence la distance qu’il y a entre ce que l’on appelle la Vérité et la Justice (sans autre qualification et avec des majuscules !) et ce qu’est la vérité judiciaire.
Ce problème se pose dans tout procès, indépendamment de toute question de manipulation ou d’injustice délibérée. Que vous ayez simplement traversé la rue hors d’un passage pour piétons, ou découpé l’un des vos semblables en tranchettes d’une minceur extrême, le problème que doit résoudre un tribunal n’est pas de savoir simplement si vous l’avez fait, mais si vous êtres coupable et/ou responsable de l’avoir fait. Ce n’est pas la même chose !
Les choses se corsent encore lorsqu’on est accusé non d’avoir fait une chose, mais de l’avoir fait faire. Et, dans ce cas, plus la chaîne des intermédiaires est longue, plus les choses se compliquent. Nous en avons un exemple célèbre avec l’assassinat de Lumumba. Tant du côté belge que du côté américain, un certain nombre de gens sont bien obligés de reconnaître avoir écrit le mot « éliminer » ou « to get rid of » (se débarrasser). Mais ils jurent, la main sur le cœur, avoir pensé à une élimination politique, non à un meurtre. Il n’y a contre eux qu’une preuve circonstancielle : on voit mal comment la victime aurait pu être éliminée autrement. Dans un tel cas peut se poser la question : à quel point de la chaîne de commandement l’instruction (volontairement vague) « éliminer » a-t-elle été traduite par « tuer » ? Inutile de dire qu’on a droit alors à un festival de « c’est pas moi, c’est l’autre » et que cela se double de la possibilité de donner par écrit des instructions anodines (destinées aux archives historiques) mais de les doubler oralement en lâchant les mort cru et précis.
D’autre part, les tribunaux n’ont pas pour fonction de s’occuper de la responsabilité politique.
Prenons un exemple banal : une intervention policière tourne mal, les forces de l’ordre ouvrent le feu de manière intempestive et il y a des morts innocents. Cela peut amener la démission du Ministre de l’Intérieur, voire la chute du gouvernement. Dans le cas des morts de Grace-Berleur, cela a même contribué à l’abdication d’un Roi. La Justice, cependant, ne s’occupera que des policiers à la gâchette trop facile, considérant sans doute que les politiques sont sanctionnés par leur mise à l’écart des affaires ou par le vote du Parlement. Si l’on peut comprendre qu’un Ministre ne se sente pas personnellement responsable de la faute d’un agent trop nerveux, il est toutefois regrettable que la Justice ne se penche jamais sur les conditions politiques qui rendent possibles les « bavures ». Manifestement, la Justice considère qu’étant l’un des organes du Pouvoir, elle n’est pas là pour le sanctionner. Le Parlement est là pour ça.
Ces deux limites sont en cause dans le procès Chebeya, et il faut pas s’en étonner.
Les accuses sont huit policiers, poursuivis pour «association de malfaiteurs, enlèvement, assassinat et terrorisme», et les trois absents également pour « désertion ». En d’autres termes, cinq policiers seulement se présenteront devant la cour militaire. A ce niveau, le principal accusé s’appelle Daniel Mukalay, chef des services spéciaux de la PNC, arrêté après le meurtre. Mais, selon des responsables des organisations des droits de l’homme, le premier suspect sera absent du box des accusés car il n’est toujours pas inquiété. Ils citent le général John Numbi, inspecteur général de la PNC, suspendu de ses fonctions par le Conseil supérieur de la Défense présidé par Joseph Kabila, pratiquement au lendemain du meurtre de Chebeya. Mais John Numbi, suspendu de ses fonctions, a paradoxalement été laissé en totale liberté !
Il est de plus manifeste que le choix de la Cour militaire, et non de la Haute cour, c'est-à-dire d’un tribunal qui peut juger les militaires jusqu’au grade colonel (grade du prévenu Mukalay), mais pas le généraux, signifie que l’on exclut à l’avance toute mise en cause de John Numbi.
Il est également manifeste que cet « acquittement à l’avance » de Numbi a, au moins partiellement, pour but d’éviter une mise en cause de Joseph Kabila.
Numbi est réputé appartenir au « premier cercle » de l’entourage présidentiel. Comme d’autres membres de ce « cercle », il apparaît, de compte à demi avec la parentèle du Président, dans certaines affaires financières. Il a joué un rôle aussi dans la répression sanglante de BDK a Bas-Congo. Mais, si après tout il n’est pas étonnant qu’un inspecteur général de la PNC apparaisse dans des tâches de répression, on l’a vu aussi dans des t)aches diplomatiques inattendues. Lors du « renversement des alliances » qui préludait aux opérations militaires conjointes rwando-congolaises de 2009, il en fut le signataire avec James Kabarebe, très impopulaire au Congo. Et, ce qui ne vous arrange pas une popularité en RDC, il passe pour être « très apprécié » à Kigali !
Aussi ne s’est-on pas fait faute, du côté des adversaires de Kabila, de sauter sur une telle aubaine ! Des titres comme « Kabila assassin » ou « Accusé Joseph Kabila, levez-vous » ont fleuri sur les sites d’opposition de l’Internet congolais.
Isoler Numbi des autres suspects comme on l’a fait annonce le résultat que ‘on attend des débats. Il est probable que l’on ne fera même pas mention d’un quelconque agacement du Président devant les agissements des ONGDH, parfaitement connu de Numbi. On s’en tiendra sans doute à l’ordre donné par Numbi à Mukalay de recevoir Chebeya, qui contiendra quelques mots tels que « donner une bonne leçon » ou « nous débarrasser de cet emmerdeur », suffisamment menaçants pour expliquer la brutalité du subordonné, mais suffisamment vagues pour ne pas être compris comme signifiant clairement « tuer ».
Mukalay passera pour avoir « mal compris », d’où découle un passage à tabac « soigné », qui se solde par l’arrêt cardiaque et la mort de Chebeya. Le reste des audiences se passera à répartir les responsabilités (donc les condamnations) des violences et de la mise en scène entre les exécutants (ou faut-il dire « les lampistes » ?).
La question de savoir s’il est normal, et s’il ne devrait pas être punissable que les forces de l’ordre deviennent des forces de répression, jusqu’à la répression par la mort, la question de savoir s’il est normal, et s’il ne devrait pas être punissable qu’un subordonné accepte un ordre de tuer, accepte même seulement un ordre d’infliger des mauvais traitement, la question de savoir s’il est admissible dans un état de droit que les collaborateurs d’un officier supérieurs puissent savoir que sa mentalité est d’une férocité telle qu’un ordre de ter est logique de sa part, et ne réagissent pas, ces questions ne seront pas posées.
Elles ne seront pas posées au tribunal, mais elles ne le seront pas non plus au Parlement. Et c’est encore moins normal. On n’interpelle, on n’inquiète, on ne renverse, ni le Ministre de l’Intérieur, alors que la Police entre dans ses attributions, ni le Ministre de la Défense, puisque les prévenus sont tous militaires, ni le Ministre des Droits de l’Homme qui aurait out de même matière à se sentir un peu concerné, ni même le Premier Ministre comme responsable de l’ensemble des actes du gouvernement. Et, inutile de le dire, on n’interpelle pas celui qui est censé, au-dessus de tous, concevoir et diriger la politique nationale : le Président de la République.
Ce n’est poutant pas que les polémiques aient manqué dans l’affaire Chebeya. Polémique sur les obsèques prévues le 30 juin, quitte à perturber les festivités du 50naire ! Polémique quant à savoir si ces obsèques à Bukavu, ou à Kinshasa ! Polémique autour de l’idée que l’on était face à un crime d’Etat ! Polémique sur le fait que John Numbi, suspendu de ses fonctions, ait paradoxalement été laissé en totale liberté ! Polémique autour de l’autopsie du corps, une opinion ayant mis en doute les capacités de l’Etat congolais à organiser les conditions d’une autopsie en règle. En somme, il s’est développé, autour de l’assassinat, tant d’autres débats qu’on ne semblait plus se préoccuper de l’avancement du dossier mère.
S’il ne faut pas prendre les Congolais pour des imbéciles, il faut affirmer aussi qu’ils ne sont pas imbéciles au point de mettre en scène des pitreries aussi maladroites que celles qui ont accompagné la « découverte » des cadavres de Chebeya et de Tungulu. On en a remis une telle couche dans le domaine de la bêtise, de la maladresse et du cafouillis que cela devient invraisemblable. On en a, comme disent les comédiens « trop fait ». Quand un comédien « en fait trop », il y a deux hypothèses. La première, bien sûr, est qu’il joue mal. La seconde est qu’il est parfaitement capable de jouer bien, mais qu’il cherche à indiquer au public que le personnage qu’il incarne sur la scène n’est pas sincère. Il « fait l’âne pour avoir du son ».
Schématiquement, que se passe-t-il dans l’affaires Chebeya? Un homme meurt, de mort violente, dans des circonstances qui jettent une forte suspicion sur des gens qui font partie de l’entourage le plus proche du Président. La réaction classique en cas de « bavure policière » est bien sûr de promettre une enquête qui fera toute la lumière sur les événements tragiques. Mais dans le cas de la RDC il est prévisible que seule une enquête internationale aura une chance d’être prise au sérieux. Encore faudrait-il savoir à quelle nation étrangère ou à quelle organisation internationale s’adresser. Beaucoup sont en effet plus ou moins « mouillées » dans le pillage des « minerais de sang » et même l’ONU ne joue pas au Congo un rôle bien net. Pourtant, la revendication d’internationalisation est inévitable car dans l’ensemble de l’Afrique un personnage semble inconnu : le magistrat ou le policer incorruptible et qui ne laisse par détourner par des considérations de clientélisme ou d’opportunité politique. Bref, le procureur type Jim Garrison manque tragiquement dans le paysage africain.
Il s’agit donc de lâcher du lest en apparence, tout en s’arrangeant en sous-main pour garder le contrôle de l’enquête et de ses conséquences : les poursuites judiciaires. Il s’agit aussi de s’assurer que la « communauté internationale » continue à bien se rappeler qu’elle a des intérêts au Congo, et que pour les protéger elle ne doit rien faire qui déstabilise le pouvoir de la bourgeoisie congolaise. Autrement dit, c’est avant tout le gouvernement qui a intérêt à ce que l’affaire se politise, même s’il ne sera pas faute de clamer urbi et orbi que c’est l’opposition, et en particulier celle de la diaspora, qui envenime l’affaire pour des motifs purement politiciens.
Pour ce faire, il suffit de répandre quelques unes de ces communications gouvernementales dont Lambert Mende a le secret : confuses, peu crédibles, invraisemblables et accusant à l’avance l’ensemble de l’univers de conspirer contre le Congo. Quand c’est possible, cela s’assaisonne d’une « pique » contre l’ancien colonisateur, ce qui répand un parfum de « souveraineté nationale fière et ombrageuse du meilleur aloi. Simultanément, on lance aussitôt un thème hautement polémique, tournant autour de l’autopsie de la victime et des funérailles, prétexte à nombreuses discussions « qui amusent le tapis » pendant que le temps passe. Généralement, l’opposition, et en particulier celle de la diaspora tombe dans le panneau. Non pas en manifestant, ce qui est son droit, mais en ne manifestant pas de façon claire, unanime et digne pour un objectif précis.
Quand on s’adresse à la « communauté internationale », on a bien soin de tenir compte de ce qu’elle est : un conglomérat d’intérêts sous une belle couche d’intérêt apparent pour des choses « nobles », comme la démocratie ou les droits de l’homme. En vertu de ces intérêts et sous couleur de ces nobles objectifs, la « Communauté internationale » a dépensé beaucoup pour les élections de 2006 et s’apprête à remettre ça en 2011. On ne manquera pas de lui rappeler que le gouvernement congolais « menacé de déstabilisation par des menées politiciennes » est issu des élections de 2006 qui lui ont coûté si cher !
L’avantage est double. Tôt ou tard, un autre événement sensationnel vient replacer la RDC à la Une des journaux du monde, et même du Congo. De plus, on se concentre ainsi sur des circonstances secondaires. La plus soigneuse des autopsies ne sert à rien, si elle est suivie d’une enquête où le premier souci des détectives est avant tout de ne pas trouver le coupable !
On vient d’en avoir l’illustration dans l’affaire Chebeya. La VSV a dénoncé jeudi un "déni de justice" après le renvoi du dossier du meurtre Chebeya devant une cour militaire qui ne peut juger le chef de la police, "suspect numéro un" selon la VSV. "Le transfert du dossier devant le cour militaire signifie que seuls les autres suspects (...) comparaîtront devant cette juridiction alors que des plaintes et autres éléments ont été mis à charge" du chef de la police, le général John Numbi, "suspect numéro un", écrit la VSV dans un communiqué. Le général Numbi "n'est pas justiciable devant la cour militaire", qui juge uniquement des officiers de grade égal ou inférieur à celui de colonel, contrairement à la haute cour militaire, regrette l'ONG en dénonçant un "déni de justice". L'ONG fait également état d'"informations" sur "la mobilisation tous azimuts de personnalités politiques et financières de haut rang en faveur" du chef de la police, et qui "auraient promis de tout mettre en œuvre" pour qu'il "ne puisse être poursuivi dans cette affaire gravissime". Comme on peut le voir, tout est mis en place afin de « noyer le poisson » et de condamner des « lampistes ». Mais ce n’est là que l’aspect judiciaire, qui n’est pas l’objectif le plus important !
En faisant ses déclarations invariablement cafouilleuses et apparemment maladroites, le gouvernement de RDC s’expose sciemment à diverses critiques et mises en garde de la part de ses alliés internationaux. Ceux-ci sont d’autant plus obligés de faire du bruit qu’ils sont aussi bien déterminés à ne rien faire d’autre ! Des pays comme la Belgique ou les Etats-Unis font donc l’une ou l’autre déclaration ou geste platonique, que Mr. Mende affecte alors de prendre très mal. On se drape alors dans le drapeau et le « souverainisme » le plus sourcilleux pour rappeler aux Belges qu’ils sont tous les arrière-petits-fils de Léopold II. On désigne du doigt, dans les colonnes de « L’Avenir », les ONG étrangères qui ont leur siège à New York et qui font des « critiques malveillantes ». Et d’ailleurs, les Belges et les Américains ont assassiné Lumumba… CQFD.
Ces mini-incidents diplomatiques à fleurets mouchetés ont une utilité : voir, à petite échelle, jusqu’où on peut aller trop loin.
Il y a en effet toujours une inconnue difficile à évaluer dans la duplicité : jusqu’où un homme, un état, une organisation supporteront-ils d’apparaître, d’être duplices ? La main gauche peut-elle indéfiniment ignorer ce que fait la main droite, les actes être perpétuellement l’inverse du discours ? A la longue, c’est intenable ! On s’expose alors à ce que d’aucuns appellent « l’effet casino », d’après ces joueurs qui, ayant de la chance, laissent leur mise une fois de trop, et la perdent. Il est donc indiqué, avant de se fier à la corde, d’en éprouver la résistance. Quelle est la taille de la couleuvre que les alliés de la RDC sont disposés à avaler au nom de l’élection démocratique du pouvoir actuel ?
Guy De Boeck
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