Avocat au barreau de Bruxelles, Jean-Claude Ndjakanyi Onokoma Shongo revient de Kinshasa où il a participé du 28 au 31 juillet au 1er congrès ordinaire du parti UNC (Union pour la Nation Congolaise) en qualité de membre et de conseiller du président national Vital Kamerhe. Conseil de la veuve et enfants Tungulu, Ndjakanyi a fait l’objet de «tracasseries administratives» à l’arrivée comme au départ à l’aéroport international de Ndjili. Dans une interview à Congo Indépendant, il évoque son interrogatoire par des agents de la DGM et de l’ANR, les travaux du congrès de l’UNC et la situation générale qu’il a pu observer dans la capitale.
«Je n’ai jamais été en enfer, mais le Congo est devenu l’enfer».
Vous êtes membre de l’UNC. On vous connaît également en tant qu’avocat de la veuve et enfants Tungulu. Avez-vous effectué un séjour sans histoires ?
Je dois vous avouer que j’avais quelques appréhensions en quittant Bruxelles. Ce qui devait arriver est effectivement arrivé à l’aéroport de Ndjili. Après présentation de mon passeport à un agent de la DGM (Direction générale d’immigration), j’ai été retenu pendant deux heures. Des agents de ce service m’ont interrogé suivis de ceux de l’ANR (Agence nationale de renseignements).
Que voulaient-ils savoir ?
J’ai compris que ces fonctionnaires confondaient ma profession d’avocat avec mes activités politiques. Il m’a été reproché d’avoir insisté, via la justice belge, pour obtenir le rapatriement en Belgique du corps d’Armand Tungulu afin que sa famille accomplisse le travail de deuil et les obsèques. Les autorités de Kinshasa auraient été «dérangées» par cette demande.
Et après?
Mes interrogateurs m’ont invité «à faire attention à l’avenir». A ma grande surprise, l’un d’eux m’a lancé : «Vous ne devez jamais injurier le président de la République». Je n’ai pas souvenance d’avoir un jour tenu des propos injurieux à l’encontre de M. Kabila. Le même agent d’ajouter : «Vous devez tenir compte des intérêts vitaux de l’Etat congolais.» Je ne vois pas les intérêts dont question. Je me suis efforcé de leur expliquer que je suis un avocat. A ce titre, mon rôle se limite à défendre les intérêts de mes clients.
Avez-vous rencontré les mêmes désagréments au moment de quitter Kinshasa ?
Tout à fait ! J’ai été questionné à nouveau pendant plus d’une heure par d’autres agents de la DGM. Ceux-ci estimaient que je ne devais pas faire des allées et venues à Kinshasa. Après discussion, ils ont décidé de faire venir leur «chef». Fort heureusement, celui-ci n’était pas joignable. Après plus d’une heure d’attente, j’ai été autorisé à embarquer.
Revenons à vos activités politiques. Dans les années 90, vous étiez connu comme un militant du MNC-Lumumba…
Je suis un lumumbiste et je le reste. L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et le bien-être de la population ce sont notamment les valeurs défendues jadis par Patrice Lumumba. Vous êtes aujourd’hui membre de l’UNC. Quelles sont les valeurs qui ont déterminé votre affiliation à ce parti ? D’abord, l’UNC a une vision pour notre pays. Elle veut redonner au Congo ses lettres de noblesse d’antan. Selon des statistiques, le Congo-Kinshasa se trouve juste avant la Somalie. L’UNC défend aujourd’hui les valeurs que Lumumba défendait en son temps. Quelles sont ces valeurs pour ceux qui ne les connaissent pas ? Premier élément, nous voulons que le Congo soit un pays prospère. Nous voulons restaurer l’intégrité du territoire national. Deuxième élément, nous voulons assurer l’égalité et la justice. Aujourd’hui, il y a une justice pour les puissants – c’est-à-dire ceux qui sont au pouvoir - et une autre pour les faibles.
Que répondez-vous à ceux qui pourraient vous reprocher un certain «nomadisme politique» ?
Ce serait me faire un mauvais procès. Je ne tire aucun intérêt matériel ou financier en passant du MNC-Lumumba à l’UNC. D’ailleurs le MNC-L en tant que tel n’existe plus qu’au niveau des idées. A mon entendement, le «nomade politique» est l’individu qui se renseigne pour connaître le meilleur endroit pour «bouffer». Je ne me suis pas posé ce genre de question avant d’adhérer à l’UNC. Par contre, j’ai commencé par prendre connaissance des statuts et du projet politique de cette formation politique avant de me décider. A l’UNC, on ne distribue pas des prébendes. Chaque membre apporte sa cotisation. En dehors de la désignation de Vital Kamerhe comme candidat à l’élection présidentielle, quels sont les autres faits saillants à retenir de ce premier congrès ordinaire? Sur le plan de la réflexion et du discours politique, la première chose à retenir est que l’UNC a une vision. Elle a un message de changement qu’elle a adressé aux Congolais. Sur le plan pratique, l’UNC a tenu son congrès pendant quatre jours. Il n’y a eu aucun incident, aucun désordre. Bref, aucune perturbation. L’organisation de ce congrès préfigure sans aucun doute la responsabilité et le sérieux avec lesquels l’UNC envisage de gouverner et d’administrer le pays.
Voulez-vous dire qu’une certaine «tolérance politique» règnerait à Kinshasa ?
Je ne sais pas ce que veut dire «tolérance politique». Nous sommes des citoyens congolais. Nous avons le droit et même l’obligation de nous organiser pour gouverner notre pays. On n’a pas à demander à quiconque de nous «tolérer». Je peux vous dire par contre que le pouvoir en place s’est plaint en prétendant que le président national de l’UNC aurait tenu des propos discourtois à l’encontre de M.Kabila. Ce qui est totalement faux ! En vérité, le président Kamerhe s’est contenté de dresser le bilan du quinquennat qui s’achève.
Dans son allocution, Vital Kamerhe a déclaré que «le bilan de ce quinquennat était négatif sur toute la ligne». Que répondez-vous à ceux qui allèguent que l’ancien président de l’Assemblée nationale devrait assumer une part de responsabilité ?
Chacun de nous doit être comptable des fonctions assumées jusqu’au bout. Personne n’ignore qu’au départ, Vital Kamerhe a soutenu M.Kabila. Personne n’ignore également qu’à un certain moment les deux hommes ne regardaient plus dans la même direction par rapport aux objectifs qu’ils avaient fixés pour servir le Congo et non d’autres intérêts. C’est ainsi que le président Kamerhe a pris ses distances. On semble oublier que M.Kamerhe a été le seul responsable politique congolais qui a dénoncé le «pacte» qui est encore inconnu à ce jour entre le Rwanda et le Congo pour, semble-t-il, stabiliser l’Est du pays. Il a été le seul responsable politique qui a eu ce courage. Pour Vital Kamerhe, la présence des soldats rwandais ne se justifiait pas sur le sol congolais après tout ce que notre pays a connu du fait de ces mêmes soldats. Vous vous souviendrez que le général Didier Etumba avait déclaré dans un premier temps de n’avoir pas été informé avant de se dédire.
A moins de quatre mois de l’organisation des élections, quelle ambiance avez-vous observée dans la capitale congolaise ?
Je crois que notre pays se trouve à la croisée des chemins.
Peut-on dire que l’environnement politique ou plutôt l’humeur de la population est à l’heure du «changement» ?
Tout à fait ! Les Congolais ne demandent rien d’autre que le changement. Ils désirent ardemment que le Congo soit dirigé par des hommes et des femmes qui ont le cœur à l’ouvrage. Des hommes et des femmes soucieux de rétablir le Congo dans son rang qui ne peut être que celui de leader du continent noir.
Où en est-t-on avec la désignation du «candidat commun» de l’opposition à l’élection présidentielle ? Candidat «commun» ou «unique», quelle est la différence ?
Plusieurs acteurs politiques ont eu à expliquer la différence existant entre ces deux notions. A l’UNC, nous sommes pour la désignation d’un «candidat commun». Les différents acteurs politiques devraient se concerter pour désigner de manière consensuelle la personnalité à même de porter le flambeau de l’opposition pour battre M. Kabila à l’élection présidentielle.
Quels sont les critères à prendre en compte ?
Ce point est actuellement au centre des débats au sein de l’UNC. Notre souhait est que les critères soient déterminés de manière concertée avec l’ensemble des représentants des forces de l’opposition. Nous souhaitons proposer la mise sur pied d’un secrétariat technique de l’opposition. Sa mission serait de rassembler toutes les propositions pour en faire un «document commun». S’agissant du «candidat unique», il s’agit de quelqu’un qui s’autoproclame le «candidat de l’opposition». C’est lui et personne d’autre…
Qu’avez-vous observé au plan social ?
Je n’ai jamais été en enfer mais je crois que le Congo est devenu l’enfer. Des exemples ? Kinshasa est sans doute la seule capitale au monde où les habitants n’ont guèrre accès à l’eau et à l’électricité. La population ayant perdu la faculté d’indignation, personne ne proteste même s’il y a pénurie d’eau et d’électricité pendant deux mois. Tout le monde se plaint. Personne n’ose élever la voix pour dire : «Ça suffit !». La population ne bénéficie pas de soins de santé de qualité. Il n’y a pas d’écoles et d’hôpitaux dignes de ce nom. La capitale congolaise ne peut plus être comparée à une ville. Elle n’est pas non plus un village. Mon avion a fait escale à Ouagadougou, au Burkina Faso. Je n’en revenais pas de constater que la capitale de ce pays sahélien, plus pauvre que le mien, est éclairée la nuit. Et dire que Kinshasa est la vitrine du Congo…
Etes-vous passé sur le boulevard Lumumba ?
Effectivement. Il semble que cette belle artère est en cours de modernisation… Je ne sais pas si la réfection d’une route implique sa modernisation. Aujourd’hui, le boulevard Lumumba est réfectionné à partir de l’avenue Sendwe jusqu’à l’Echangeur de Limété. Le boulevard Lumumba va jusqu’à l’aéroport de Ndjili… Je veux dire que le tronçon réparé va de l’avenue Sendwe à l’Echangeur de Limete. Au-delà, rien n’est fait. Il n’y a ni feu, ni panneau de signalisation. On déplore chaque jour une vingtaine de morts. C’est une autoroute dans une agglomération. C’est ça les «cinq chantiers» !
Quelle est la position de l’UNC après la menace brandie par le président de la Ceni de «découpler» les élections présidentielles et législatives au cas où l’annexe à la loi électorale n’était pas votée avant le 10 août?
La mission de la Ceni est d’organiser les élections et non de se substituer au Pouvoir législatif. Or justement, le Parlement de ce pays a décidé que les deux scrutins précités se tiendront à la même date soit le 28 novembre prochain. Il n’appartient nullement au président de la Ceni d’en décider autrement. En tous cas, l’élection présidentielle et les législatives ne peuvent être découplées que par la volonté du Parlement.
Que pensez-vous de ceux qui allèguent que les propos du président de la Ceni cacherait en réalité une «fuite en avant» ?
Je peux vous dire que des observateurs avertis de la vie politique congolaise craignent que les Congolais n’aillent pas aux urnes avant la fin de l’année en cours. Je suis au regret de dire que les élections risquent de ne pas avoir lieu dans les délais légaux. Et je souhaiterais être démenti…Bien entendu, mon vœu est que ces élections aient lieu dans les délais fixés.
Que pourrait-il se passer dans cette hypothèse particulièrement en ce qui concerne le fonctionnement des institutions ? Chacun prendra soin de lire la Constitution…
Les «kabilistes», eux, se disent sereins. Ils invoquent la «continuité de l’Etat». Mieux encore, ils soutiennent que le président de la République en fonction reste en place jusqu’à l’investiture de son successeur… Faudrait-il encore que le chef d’Etat en fonction connaisse son successeur désigné par le corps électoral. Il faudrait relire la Constitution pour savoir ce que le législateur a prévu dans le cas où le président de la République est empêché constitutionnellement d’exercer le pouvoir d’Etat.
D’aucuns envisagent déjà l’idée d’un «gouvernement de transition» charger de préparer et d’organiser les consultations politiques. Qu’en dites-vous ?
S’il y avait crise, il y a lieu effectivement de penser à un «gouvernement de transition».
Avec les mêmes acteurs ? L’UNC a des exigences à poser. Lesquelles ?
Peu importe avec ou sans les mêmes acteurs, il faudrait en tous cas un canevas d’un programme économique et social de transition. Dans le cas contraire, l’UNC ne sera pas partante. C’est la première exigence. La deuxième, les accords économiques et sécuritaires devraient faire l’objet d’un réexamen. Troisième et dernière exigence, la «neutralisation» de l’administration publique congolaise. Pour l’UNC, un gouvernement de transition doit répondre aux attentes de la population et de la restauration de «l’impartialité» de l’Etat.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi
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