05/06/2012
Le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a indiqué que la position officielle de la RDC sera annoncée dès que l’enquête diligentée au niveau des services d’intelligence sera terminée et les conclusions remises au gouvernement.
Après le rapport confidentiel de l’ONU sur l’implication du Rwanda dans la situation d’insécurité qui prévaut à l’Est de la RDC, c’est une ONG américaine Human Rights Watch qui jette le pavé dans la marre en accusant le Rwanda de soutenir le rebelle Bosco Ntaganda et ses forces en fournissant des armes, des munitions ainsi que des hommes.
Ce soutien a permis aux mutins de tenir leurs positions militaires sur les collines de Runyoni, Tshanzu et Mbuzi et dans les villages environnants contre les assauts militaires de l’armée congolaise.
Face au silence observé par le gouvernement congolais, certains analystes politiques n’ont pas caché leur désapprobation.
Pour bon nombre d’analystes, en effet, ces accusations graves émanant des organisations crédibles comme l’ONU et Human Rights Watch devraient mettre Kinshasa devant ses responsabilités qui l’obligent à sortir de sa tour d’ivoire pour une prise de position claire.
Certains acteurs politiques de l’Opposition n’ont pas hésité à fustiger le comportement du président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, allant jusqu’à qualifier de « grosse faute », la décision de décréter le huis clos pour la question orale avec débat adressée au Vice-Premier ministre et ministre de la Défense, Alexandre Luba Ntambo.
Pour le député Martin Fayulu qui s’est exprimé au micro de RFI « ce silence s’apparente à une complicité entre les autorités congolaises et rwandaises. Nous ne pouvons pas comprendre qu’aujourd’hui, qu’il y a des choses graves qui se passent sur le terrain et que le gouvernement congolais se tait ».
L’élu de Lukunga voit dans cette langue de bois de l’Assemblée nationale « un complot contre les congolais » qui voudrait connaître la vérité sur ce qui se passe à l’Est.
La réaction du gouvernement ne s’est pas faite attendre. En effet, son porte-parole, Lambert Mende, promet que les conclusions seront publiées une fois l’enquête terminée. « Nous avons pris acte de ce rapport. Il y en a d’autres qui sont arrivés au même moment comme celui de HRW qui semble confirmer les informations qui sont en notre disposition. Dès que nous avions su ces informations au niveau de nos propres services de l’armée et auprès de prisonniers tombés entre les mains de notre armée, nous avons initié l’enquête par nos services d’intelligence. Cette enquête est attendue dans quelques heures ou les jours qui viennent. Notre position officielle sera annoncée dès que cette enquête est terminée et ses conclusions remises au gouvernement. », a indiqué Mende sur RFI.
La mutinerie à l'est, une initiative rwandaise ?
Selon plusieurs enquêtes menées actuellement par les autorités congolaises et par les Nations unies, la mutinerie en cours d’une partie de l’armée nationale, qui a déjà causé de nombreux drames humains et des déplacements massifs de population, serait activement soutenue, notamment en hommes, depuis le Rwanda.
Voici les premiers éléments de ces enquêtes que RFI a rassemblés.
À ce jour, au moins cinquante et un combattants de nationalité rwandaise se sont rendus aux autorités en RDC. Vingt-quatre sont hébergés dans le camp de la force de paix des Nations unies, la Monusco, à Goma, chef-lieu du Nord-Kivu ; treize autres sont entre les mains de l’armée régulière (FARDC), et enfin quatorze qui étaient arrivés à la Monusco le 17 mai dernier ont disparu, probablement reconduits en toute discrétion au Rwanda.
Lundi 28 mai 2012, la fuite d’un rapport confidentiel de la Monusco faisait état des premiers onze jeunes Rwandais, dont un mineur, qui avaient déserté le mouvement rebelle M23, composé à priori de déserteurs congolais. L’armée de la RDC a lancé une vaste offensive contre le M23 dans les collines autour de la ville frontalière de Runyioni.
Mardi 29 mai, le Rwanda a vivement démenti avoir envoyé des hommes sur le sol congolais. Le lendemain, la Monusco a prudemment déclaré que « les autorités rwandaises ne pouvaient pas être mises en cause ». Le gouvernement congolais a lui aussi adopté un profil bas, évitant toute surenchère à l’égard de son voisin. « Ce sont des individus qui se déclarent Rwandais, mais nous n’en avons pas la preuve », affirmait samedi le ministre porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende.
Des témoignages accablants pour le Rwanda
Les onze premiers à s’être rendus à la Monusco ont été interrogés les 29 et 30 mai derniers par des officiers congolais et rwandais à l’intérieur du camp de l’ONU à Goma, en présence de témoins membres de la force des Nations unies.
La RDC et le Rwanda entretiennent depuis 2009 une commission conjointe qui vient d’être réactivée, mais elle pourrait faire long feu au vu des réponses à ces interrogatoires, accablants pour le Rwanda. Les résultats de ces auditions ne laissent, en effet, plus de doute sur le caractère systématique du recrutement et de l’envoi de ressortissants rwandais vers la RDC, où ils combattent l’armée régulière aux côtés des mutins.
Ces Rwandais ne sont pas des soldats professionnels. Ils sont jeunes, à peine vingt ans, de milieu rural défavorisé, recrutés pour la plupart dans les collines de Mudende, à quelques kilomètres de la frontière congolaise.
Plusieurs témoignages de ces jeunes Rwandais ramènent à un personnage : un bouvier - un gardien de vaches - qui joue le rôle d’agent recruteur dans la région de Mudende. Il approche les jeunes désoeuvrés des villages et leur dit « qu’il y a de l’embauche dans l’armée rwandaise ». Quand il rassemble suffisamment de volontaires, il organise lui-même le transport par autobus, et les recrues sont rassemblées à Kinigi, à l’entrée d’un parc naturel célèbre pour ses gorilles.
Leurs effets personnels, cartes d’identité, téléphones portables et argent liquide rwandais sont confisqués. De là, privés de toute identification, ils partent en colonnes à pied vers la forêt de Runyioni, subissant au passage une formation militaire sommaire ; et ils se retrouvent en territoire congolais.
De nombreuses désertions
Runyioni est la place forte des mutins du M23. Ils y tiennent deux collines frontalières du Rwanda que les FARDC s’efforcent de reprendre depuis plusieurs semaines. C’est la plupart du temps en fuyant les bombardements que les jeunes recrues se sont rendues à la Monusco ou aux FARDC. Beaucoup auraient réussi à rejoindre leurs villages, d’autres seraient encore en train d’errer dans cette région forestière.
L’un des rescapés de cette fuite a raconté avoir croisé au moins une soixantaine de jeunes en train de fuir. « Arrivés à Runyioni, nous avons vu des militaires blessés », a-t-il dit aux enquêteurs. « Nous avions peur, nous étions démoralisés, nous n’avions à manger que quelques pommes de terre ». « Au début, on nous employait à chercher de l’eau et du bois, à porter des caisses de munitions, et installer les bâches des bivouacs, mais quand les bombardements ont commencé, il fallait que l’on aille sous le feu récupérer les blessés dans les trous de fusiliers ».
« On m’a envoyé chercher des bambous pour confectionner des brancards », déclare l’un d’eux, « j’en ai profité pour m’échapper en longeant une rivière ». Après deux jours de marche, certains de ces jeunes en fuite ne savaient plus s’ils se trouvaient au Congo ou au Rwanda quand ils sont arrivés à proximité d’un camp de la Monusco à Rugari (RDC).
Interrogés par les enquêteurs congolais et onusiens sur les raisons de cette guerre, ces jeunes recrues ne savent pas grand-chose. « On nous a dit qu’il fallait que l’on défende ceux qui parlent notre langue, que le gouvernement congolais combattait la langue rwandaise, et que nous devions nous battre pour la protéger ».
Une agression préméditée
Tous ont entendu dire que leur « grand chef » était le général Bosco Ntaganda, et qu’il leur rendrait visite à la fin de leur formation, mais ils déclarent ne l’avoir jamais vu. Bosco Ntaganda, recherché pour crimes de guerre par la CPI, a longtemps été protégé par les autorités congolaises, avant de prendre le maquis.
Le nom d’un autre chef du M23 présent à Runyioni est souvent cité : le Major Rukara. Mais « aucun major Rukara ne figure dans les registres de l’armée congolaise », affirme une source militaire, ajoutant qu’il s’agit probablement d’un officier venu « d’un pays voisin ».
Un autre élément trouble les enquêteurs congolais et onusiens : les premières défections des proches de Bosco Ntaganda au sein des FARDC datent du 9 avril dernier. Or, plusieurs parmi des recrues rwandaises déclarent avoir été acheminés sur le territoire congolais dès le mois de février. « C’est la preuve d’un plan minutieusement préparé de longue date, une infiltration pour une agression préméditée », dit un responsable qui tient à garder l’anonymat.
Plus troublant encore : les FARDC affirment détenir, à Goma, neuf anciens miliciens des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) qui auraient rejoint le M23, après avoir été désarmés et rapatriés au Rwanda par la Monusco. Ce groupe rebelle a été constitué à l’origine par d’anciens militaires des Forces armées rwandaises, accusés d’avoir perpétré le génocide de 1994, avant de fuir vers le Congo lors de l’arrivée au pouvoir du président Kagame. Les FDLR – théoriquement en lutte contre le régime de Kigali – mènent cependant leurs actions meurtrières uniquement sur le territoire congolais. Ce mouvement est en principe le pire ennemi du Rwanda.
L'ingérence rwandaise, un secret de polichinelle
Le gouvernement congolais sera-t-il amené à hausser le ton vis-à-vis de son voisin ? « C’est très difficile », avoue un conseiller ministériel. « Pour cela, il faudrait que nous soyons bien épaulés par la communauté internationale ». « Le régime rwandais bénéficie de beaucoup de soutien, bien plus que nous », ajoute-t-il.
La Monusco prendra-t-elle une initiative pour stopper cette ingérence qui met en péril la paix qu’elle essaie difficilement de préserver depuis plus de dix ans ? L’opinion congolaise en doute. Depuis 1994, l’ingérence rwandaise à l’est est un secret de polichinelle.
Que vont devenir ces dizaines de jeunes enrôlés entraînés malgré eux dans une guerre qui ne les concerne pas ? En toute logique, ils devraient être rapatriés. C’est d’ailleurs leur souhait. « Mais nous avons peur », déclarent-ils aux enquêteurs. « Ceux qui nous ont recrutés et qui ont confisqué nos papiers pourraient se venger, après tout ce que nous avons révélé à la Monusco ».
Le recruteur-gardien de vaches de Mudende aurait beaucoup travaillé, si l’on en croit les témoignages. Il aurait enrôlé une centaine de jeunes. Ces derniers révèlent aussi que le propriétaire du troupeau est un gradé de l’armée rwandaise.
T.N./MMC/RFI
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