10/07/2012
L'avancée des combattants tutsis du Mouvement du 23-Mars dans l'est de la République démocratique du Congo laisse craindre un regain de tensions dans une région où le Rwanda voisin est accusé d’attiser les braises.
À Kinshasa comme aux Nations unies, la méfiance reste de mise. Les mutins du Mouvement du 23-Mars (M23) ont eu beau assurer, lundi 9 juillet, qu’ils s’étaient retirés des localités dont ils s’étaient emparés un peu plus tôt, des troupes de l’armée régulière et des Casques bleus se dirigeaient, ce mardi, vers Goma. La capitale du Nord-Kivu, province de l’est de la République démocratique du Congo (RDC) est placée sous haute surveillance depuis le coup de force des soldats frondeurs.
L'UE "très préoccupée", la Monusco mobilisée
Constitué d'anciens combattants de la rébellion tutsie congolaise du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), les rebelles du M23 réclament depuis plusieurs semaines la pleine application des accords signés le 23 mars 2009 entre les autorités de Kinshasa et l’ancienne insurrection. "Nos principales revendications le gouvernement les connaît : le retour des réfugiés congolais qui sont au Rwanda, une bonne démocratie, et nos grades militaires doivent être confirmés...", a affirmé, lundi, le chef du mouvement, le colonel Sultani Makenga, après que ses hommes ont pris la ville de Rusthuru, située à 60 km de la principale ville de l’est du pays. Un regain de violences qui a fait plus de 200 000 déplacés et plus de 30 000 réfugiés au Rwanda et en Ouganda.
L'Union européenne s'est déclarée mardi "très préoccupée" par la situation dans la région et a appelé "à un arrêt immédiat de toute forme de violence perpétrée par les groupes armés". Au sein de la Mission de l'ONU en RDC (Monusco), l’inquiétude est telle qu’on évoque le pire. "Ce serait un désastre si Goma était prise", s’est ainsi épanché à l’AFP un responsable de l’organisation internationale, sous couvert d'anonymat. Forte de 18 000 hommes, la Monusco a ainsi dépêché sur place des troupes ghanéennes, guatémaltèques, jordaniennes et égyptiennes, placées sous les ordres du général britannique Adrian Foster. De son côté, un bataillon des Forces armées congolaises (FARDC), entraîné par des instructeurs américains pour combattre l'Armée de résistance du Seigneur [LRA, mouvement de rébellion contre le gouvernement ougandais, ndlr] dans le nord du pays, a rejoint les 7 000 militaires déjà stationnés dans le Nord-Kivu.
"Le M23 n’a pas intérêt à mener l’assaut contre Goma"
Avec seulement quelque 2 000 combattants dans ses rangs, le M23 a-t-il réellement l’intention et les moyens de prendre le contrôle de Goma, métropole dont la population est estimée à 1 million d’habitants ? "Les hommes du M23 veulent simplement obliger le gouvernement de Kinshasa à s'asseoir autour de la table et négocier le maintien de leurs privilèges acquis lors des accords de 2009, à savoir des postes de hauts gradés au sein de l’armée, affirme à FRANCE 24 une source à la Monusco. Ils veulent obtenir plus que ce qu’ils peuvent avoir de manière démocratique.
Ainsi pour nombre d’observateurs, le risque de voir les rebelles tutsis parader dans Goma reste minime. "Le M23 n’a pas intérêt à mener l’assaut contre la ville car la Monusco y dispose d’une force trop importante, observe Karen Büscher, chercheuse spécialiste de la RDC à l’Université de Gand (Belgique). Le gouvernement de Kinshasa et l’ONU savent que les rebelles n’entreront pas dans la capitale du Nord-Kivu. Ce qu’ils craignent, c’est le désordre que ce récent coup de force peut provoquer dans la ville." Lundi, des jeunes Congolais ont, en effet, traqué dans les rues de Goma des citoyens rwandais accusés de soutenir les mutins du M23 (voir vidéo ci-dessus). "Il existe un réel sentiment anti-tutsi et rwandais dans l’est de la RDC. Aujourd’hui, on peut craindre qu’une élite politique ne pousse ces jeunes à s’en prendre à eux", s’inquiète l’universitaire.
Malgré le démenti du chef rebelle, le colonel Makenda, Kigali est régulièrement accusé de soutenir les mutins. Et pas seulement par les Congolais du Nord-Kivu. Le 27 juin, des experts de l’ONU affirmaient détenir des preuves accablantes que l’armée rwandaise fournissait au M23 des armes, des munitions et des hommes recrutés de force.
"La guerre est un fonds de commerce"
"L’histoire se répète, le Rwanda voisin a déjà tenté de déstabiliser la région", constate Anneke Van Woudenberg, responsable du département RDC à Human Rights Watch. La chercheuse affirme que, pour des questions de sécurité, Kigali aime garder le contrôle d’une partie de l’est congolais, où il considère que la présence d’anciens génocidaires hutus menace les Tutsis qui y sont établis. Les combattants du M23, qui agirent auparavant au sein du CNDP, ont, estime Anneke Van Woudenberg, "une longue histoire d’atrocités contre les civils. Ils prétendent les protéger, mais c’est difficile de les croire. Beaucoup de violations des droits de l’Homme ont lieu durant leurs offensives."
"C’est bien de pointer du doigt Kigali, mais la maladie est interne !, diagnostique la source à la Monusco. Le talon d’Achille de la RDC, c’est son armée, qui n’a rien d’une armée républicaine. Les salaires ne sont pas payés, les soldats pas nourris, alors certains se révoltent, fuient et pillent." Ces nouvelles violences dans le Nord-Kivu mettent fin, en tous cas, aux récents espoirs que les tensions finissent par s’apaiser dans la région. "Depuis 2009, le front avait l’air maîtrisé, continue la source. Le gouvernement de Kinshasa – cela est à mettre à son crédit - avait gagné quelques points dans sa gestion du dossier. Mais voilà les choses ne changent pas. C’est déprimant et décourageant. La guerre est un fonds de commerce pour les rebelles comme pour les officiers des FARDC. Le statu quo arrange tout le monde. À Kinshasa comme dans le Nord-Kivu."
Des Rwandais pris pour cible à Goma, capitale du Nord-Kivu menacée par une offensive des rebelles tutsis |
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