24/08/2012
Le Premier ministre congolais Augustin Matata Ponyo |
Recevant le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, mardi 22 août, à Lubumbashi, «Joseph Kabila» s’est refusé à répondre aux questions des journalistes belges. Ceux-ci s’apprêtaient à l’interroger sur la situation au Nord Kivu ainsi que l’implication du régime rwandais dans la rébellion du M-23. A Kinshasa, le Premier ministre Augustin Matata Ponyo, lui, a pris son courage à deux mains. Dans une interview accordée au quotidien bruxellois «Le Soir» daté du mercredi 22 août, Matata accuse, en termes à peine voilés, le Rwanda de Paul Kagame de «piller» le voisin congolais. L’allusion est plus que claire. Des propos sans précédent dans la bouche d’un officiel congolais sous Joseph Kabila. Sous la pression de l’opinion congolaise, un «verrou» a sauté : critiquer le satrape rwandais ne constitue plus un «blasphème». «Vive le M-23 !», est-on tenté de dire. On peut gager que les propos du «Premier» congolais suscitera une
«riposte» depuis Kigali.
Le chef de la diplomatie belge, le libéral francophone Didier Reynders, est attendu ce samedi 25 août à Kigali. Objectif : "écouter" les deux parties. «RDC-Rwanda : Reynders sur le fil du rasoir», titre l’hebdomadaire franco-belge «Le Vif/L’Express» daté du 24 août 2012. Mercredi 22 août, le ministre belge a été reçu à Lubumbashi par «Joseph Kabila». Celui-ci - qui ignore l’aspect «représentation» de la fonction qu’il assume - est apparu en veston. Sans cravate. Les médias belges ont souligné l’«imprévisibilité» du Protocole de la Présidence congolaise. L’audience prévue à 8 heures du matin n’a pu avoir lieu que dans l’après-midi.
De quoi les deux hommes ont-ils pu parler ? Ils ont évoqué plusieurs questions dont la situation au Nord Kivu et le soutien du Rwanda au mouvement rebelle M-23. Attendu à Kigali, Reynders s’est refusé à toute déclaration. Il s’agit de ménager la susceptibilité du chef d’Etat rwandais qui a l’habitude de tenir la dragée haute à ses interlocuteurs belges. On ne peut que comprendre l’esquive du «raïs» face aux sollicitations des journalistes belges. «Ce sera pour une autre fois», a-t-il bredouillé avant de tourner les talons.
Quelle est la situation au Nord Kivu ? Au cours du point de presse hebdomadaire de la Mission onusienne au Congo, le porte-parole militaire, le lieutenant colonel Félix Prosper Basse, a indiqué, mercredi 22 août, à Kinshasa, que la situation sécuritaire au Nord-Kivu, "reste sous le contrôle des forces gouvernementales et de la Monusco". La brigade onusienne au Nord-Kivu a intensifié ses patrouilles dans le territoire de Rutshuru dans le but de dissuader l’expansion des activités du M23 vers d’autres régions «menacées» et de sécuriser les populations locales. Les troupes de la force onusienne sont également déployées à Goma, afin d’empêcher toute incursion des éléments rebelles. Elles maintiennent une présence vigoureuse dans les régions affectées, dans le but de rassurer les populations civiles et d’interdire toute velléité des groupes armés susceptible de menacer la sécurité. Par ailleurs, un grand nombre d’éléments armés issus des rangs du M23, dont deux enfants soldats, du groupe Maï Maï, des Forces de défense nationale (FDN), des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et de l’Alliance des patriotiques pour un Congo libre et souverain (APCLS), s’est rendu aux postes opérationnels de la force de la Monusco de Rugari, Katale et Masisi, ainsi qu’aux FARDC.
"Piller son voisin"
Mardi 21 août, le «Premier» Matata a reçu Reynders en son cabinet. le chef du gouvernement congolais a, à cette occasion, accordé au «Soir» de Bruxelles une interview qui fera date dans les rapports entre Kinshasa et Kigali. Dans un «parler vrai» inhabituel, Matata a dit en liminaire sa volonté de «mettre de l’ordre dans la gestion du secteur minier». Au motif qu’«il y a des pays qui tirent profit du désordre qui existe dans certaines parties de notre pays, un désordre entretenu par ces mêmes acteurs». Quels sont ces pays ? Le locuteur est resté allusif. Pour lui, la situation de guerre qui prévaut au Nord Kivu serait une réaction de "ceux" qui tirent profit du désordre dans cette partie du Congo. «Ils ont compris que si l’ordre est mis par ce gouvernement, il faut lui faire la guerre». Pour qu’il soit bien compris par la planète toute entière, Matata poursuit : «(…). Je souhaite que la communauté internationale comprenne qu’on ne peut pas laisser un pays semer du désordre ailleurs, profiter de la mutinerie pour organiser son économie». Il faut refuser de voir pour ne pas percevoir en filigranne le Rwanda de Paul Kagame et dans une certaine mesure l’Ouganda et le Burundi.
Prenant littéralement le chef de la diplomatie belge à témoin, l’interviewé, tel un boxeur dont les coups font mouche, d’ajouter : « J’ai la conviction que le vice-Premier ministre belge (…) qui a géré les finances de son pays durant dix ans, a compris que la gouvernance est un concept global, qu’on ne peut parler de réussite économique si ce succès est obtenu en pillant le voisin. Il sait qu’on ne peut pas faire de la bonne gouvernance en tirant profit des ressources de son voisin : il ne s’agit pas là de la gouvernance, fondée sur des valeurs éthiques, mais de la tricherie».
Pour Augustin Matata Ponyo, «cette guerre est fondée sur l’exploitation frauduleuse des minerais par des groupes mafieux qui ont certainement des relais à l’intérieur du Congo. Nous sommes décidés à nous attaquer à tous ces réseaux, transfrontaliers ou non». Un avis semble-t-il partagé par Didier Reynders. "Le Rwanda a-t-il bâti son essor économique sur le pillage du Congo?", s’interrogeait Gérald Papy dans "Le ViF". Et de répondre : "C’est ce qu’a suggéré à Kinshasa au premier jour de sa tournée en Afrique centrale le ministre belge des Affaires étrangères. Pour ce magazine, c’est une "accusation grave" de nature à rendre "vaine voire contre-productive" l’escale de Reynders à Kigali.
Questions : Augustin Matata s’était-il concerté avec «Joseph Kabila» avant son interview ? Si oui, celui-ci se serait-il donc affranchi de la domination de son «parrain» rwandais? Dans le cas contraire, il ne serait pas surprenant que Kagame - à qui "Joseph" doit tout - exige dans les jours et semaines à venir le «scalp» de l’outrecuidant «Premier» à l’image du sort réservé en mars 2009 à Vital Kamerhe, alors président de l’Assemblée nationale. «VK» avait émis de réserves à la suite du déploiement des troupes régulières du Rwanda à l’insu des deux chambres du Parlement. Une motion de défiance est vite votée dans cette Assemblée nationale composée majoritairement des députés pro-kabilistes.
En tous cas, il faudra reconnaître à la rébellion du M-23 au moins un «mérite». Celui d’avoir "désacralisé" l’image du Rwanda de Paul Kagame. Brocarder le despote rwandais n’est plus un «sacrilège» au «Congo libéré». L’avenir le confirmera...
Madeleine Wassembinya/B.A.W (avec ACP)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire