Slate Afrique
Evénement: la traduction en français de «Congo, une histoire» du Belge David Van Reybrouck, rend ce livre accessible aux premiers concernés.
Streets of Kinshasa, by Irene2005 via Flickr CC
Paru en mai 2010, en Belgique, le livre que David Van Reybrouk consacre au Congo (RDC s’entend) fit déjà l’événement dans son pays natal (250.000 exemplaires vendus).
Mais tout le monde ne lit pas le néerlandais dans lequel il l’a écrit…
Aujourd’hui, ce pavé magnifique est traduit en français (Actes Sud, en librairie le 13 septembre) et va enfin pouvoir être lu par les plus chanceux des premiers concernés.
Congo, Une histoire a raflé à la fois le prix Ako, le Goncourt néerlandais et le prix du livre d’Histoire, Libris. De quoi s’agit-il donc?
D’une formidable biographie du pays, entre essai historique et roman d’aventures, que cet archéologue de formation commence à la préhistoire et achève en mars 2010, soit 90.000 ans d’histoire…
L'âme africaine de Van Reybrouk
Bien sûr, la plus grande partie s’étend du XIXe au XXIe siècle débutant, mais «le pays n’a pas commencé avec l’exploration de Stanley», s’agace l’écrivain qui revendique une perspective africaine.
Ses sources ne sont pas uniquement congolaises, bien sûr, mais il fait appel à des témoins qu’il rend présents de façon saisissante, à chacun des chapitres de cette histoire.
S’arrêter sur l’auteur, son regard, ses motivations, sa méthode, c’est insister sur l’aventure humaine et littéraire qui préside à ce livre aussi romanesque de style que rigoureux d’enquête.
David Van Reybrouck a en effet travaillé dans la transparence des sources, (voir l’appareil critique du livre!) avec une méticulosité remarquable, et surtout une indépendance financière vis-à-vis des pouvoirs en place, belge, congolais, et de ceux que représentent les ONG, notamment pour revisiter le discours sur les enfants soldats.
Né près de Bruges, fils d’un ingénieur des chemins de fer envoyé quelques années dans la région du Katanga, après l’indépendance, David Van Reybrouck (né en 1971) n’explique pas son entreprise par une enfance baignée d’Afrique.
«Chez nous, on n’en parlait pas beaucoup. Mais il y avait des masques africains, et notre chien répondait au nom de Mbwa qui veut dire chien en swahili. Il y avait aussi des billets de banque congolais. Cela dit, mon frère a vécu dans le même décor et ne s’est pas intéressé à ce pays!»
C’est par l’Afrique du Sud que l’écrivain est arrivé au Congo, et plus précisément par la voie des termites!
«Je travaillais sur une affaire de plagiat de Maeterlink, auteur de "La vie des termites", sur "L’âme des termites" du poète afrikaner Eugène Marais. Mais une fois dans ce pays, cette curiosité d’archéologie littéraire a vite été recouverte pas la réalité post-apartheid.»
A partir de là, l’auteur sillonne l’Afrique, Mozambique, Zambie, Zimbabwee, Namibie et entreprend son premier voyage en RDC en 2003. Ce sera le grand choc.
Avant de partir, souhaitant s’informer sur ce pays, il ne trouve pas le livre qu’il cherche.
«Beaucoup de livres ont été écrits , mais aucun ne fait une synthèse accessible, même si deux remarquables travaux s’en approchent: Histoire générale du Congo de Isidore Ndaywel è Nziem, (Duculot, 1998), et celui de Georges Nzongola-Ntalaja The Congo from Leopold to Kabila. Ecrire ce livre qui me manquait, je me suis dit que ce serait un bon projet pour moi.»
Pour lui? Ce belge, rappelé, dès son premier pas sur la terre congolaise, au souvenir de ses «oncles»?
«L’écrivain doit dépasser cette pensée déterministe, qui voudrait qu’un blanc ne puisse pas écrire sur l’Afrique et un noir ne pas devenir président des Etats-Unis. La bêtise n’a pas de couleur, l’empathie non plus. Un autre Belge n’aurait pas fait le même livre, qui idéalement, devrait sans doute avoir été écrit par une jeune femme congolaise, ou par un vieux chinois. Peut-être le prochain?»
De nombreux allers-retours au Congo
Stimulé dès le départ par sa compatriote l’écrivain Lieve Joris, qui lui a passé «le bâton» et confié une partie de ses livres avec une générosité rare, David Van Reybrouk obtient ensuite cinq bourses qui lui permettent de faire des allers-retours au Congo et de travailler six ans à ce livre.
N’importe qui peut l’ouvrir et se l’approprier, là est sa grande force. Car il est incarné. Les témoignages de vieux (très vieux) Congolais remontent jusqu’à l’esclavage dans la région, et l’arrivée des premiers pionniers.
Mis en scène dans le dénuement de leur actuel quotidien, les uns et les autres parlent aujourd'hui à cœur ouvert. Jusqu’à ces jeunes Congolaises qui vont faire leur marché à Guangzhou en Chine (le nom de la ville a été transformé en «nganzu» qui signifie de mauvaise qualité!).
Les recherches historiques, les analyses, alternent avec des pages d’où la vie semble surgir, des villages anéantis à l’urbanité naissante. Surtout, on y voit l’escalade de cette violence, morale, physique, ethnique, politique, économique depuis la colonisation jusqu’à la mondialisation au sein des guerres, décrite par le menu des faits.
Impossible de refaire ici le chemin, mais on n’oubliera pas ces infirmiers congolais qui ont soigné les blessés, pendant la guerre de 40, dans un hôpital ambulant de la jungle birmane.
Ni ces «évolués» qui font ces villes naissantes aux côtés des petits bourgeois belges, tandis qu’on danse au son de la rumba.
La musique est partout, bien sûr, on la retrouve au début de ce siècle jusqu’aux liens pervers entre les marques de bière et les groupes vedettes…
L’auteur réinterroge tout. Dépeint Lumumba (le premier Premier ministre du Congo indépendant) sans indulgence. Fait entrer Mobutu comme un héros plein d’ardeur, nous place aux premières loges du «combat du siècle» entre Mohammed Ali et Foreman, puis suit pas à pas le dictateur dans ses folies les plus meurtrières.
Tout ce que ce régime a entraîné clientélisme, corruption, économie informelle marque son empreinte sur les comportements d’une population qui doit s’en sortir coûte que coûte.
Bien sûr, le génocide rwandais voisin est au cœur de ces dernières années. Il faut le lire pour croire comment les dreadlocks des artistes qui l’accompagnaient lui ont servi de laisser-passer sur la route de Goma! Jusqu’à Laurent Nkunda (ancien chef rebelle du CNDP) qui se prend pour de Gaulle.
Ce qu'il faut retenir de l'ouvrage
Qu’est-ce que lui a appris, à lui, ce livre qu’il voulait tant écrire sur le Congo?
«L’histoire congolaise n’est pas une histoire irrationnelle. On a beaucoup tendance à réduire les atrocités qu’on voit au Congo à des atavismes tribalistes, je suis pas du tout de cette opinion là. Ce qui se passe est la conséquence très logique et très rationnelle de toute une série de pas réalisés dans ce pays. Ainsi, le Congo vit encore les conséquences de l’opération Turquoise de Mitterrand, le noyau dur de la guerre à l’est du Congo est lié à cela. Le génocide du Rwanda s’est déplacé. Depuis 96, les atrocités ont continué jusqu’à nos jours.»
Autre grande leçon de ce livre: l’appartenance du pays à l’histoire mondiale, qu’il s’agisse de ses matières premières, des enjeux de la guerre froide ou de ses rapports avec l’ONU. La troisième est du côté de l’humain pour un écrivain totalement inscrit dans la tradition humaniste.
Bientôt, cette somme va parvenir aux Congolais qui lui ont ouvert leur mémoire, leur souffrance, leur générosité et leur courage.
Grâce aux sommes gagnées par les prix qui ont couronné son livre, David Van Reybrouck va financer une édition à bas prix en RDC. Entretemps, les lecteurs auront pris la vraie mesure d’un immense pays qui reste d’une complexité extrême, mais désormais éclairé d’une lucidité pas seulement aveuglante.
Valérie Marin La Meslée
La musique est partout, bien sûr, on la retrouve au début de ce siècle jusqu’aux liens pervers entre les marques de bière et les groupes vedettes…
L’auteur réinterroge tout. Dépeint Lumumba (le premier Premier ministre du Congo indépendant) sans indulgence. Fait entrer Mobutu comme un héros plein d’ardeur, nous place aux premières loges du «combat du siècle» entre Mohammed Ali et Foreman, puis suit pas à pas le dictateur dans ses folies les plus meurtrières.
Tout ce que ce régime a entraîné clientélisme, corruption, économie informelle marque son empreinte sur les comportements d’une population qui doit s’en sortir coûte que coûte.
Bien sûr, le génocide rwandais voisin est au cœur de ces dernières années. Il faut le lire pour croire comment les dreadlocks des artistes qui l’accompagnaient lui ont servi de laisser-passer sur la route de Goma! Jusqu’à Laurent Nkunda (ancien chef rebelle du CNDP) qui se prend pour de Gaulle.
Ce qu'il faut retenir de l'ouvrage
Qu’est-ce que lui a appris, à lui, ce livre qu’il voulait tant écrire sur le Congo?
«L’histoire congolaise n’est pas une histoire irrationnelle. On a beaucoup tendance à réduire les atrocités qu’on voit au Congo à des atavismes tribalistes, je suis pas du tout de cette opinion là. Ce qui se passe est la conséquence très logique et très rationnelle de toute une série de pas réalisés dans ce pays. Ainsi, le Congo vit encore les conséquences de l’opération Turquoise de Mitterrand, le noyau dur de la guerre à l’est du Congo est lié à cela. Le génocide du Rwanda s’est déplacé. Depuis 96, les atrocités ont continué jusqu’à nos jours.»
Autre grande leçon de ce livre: l’appartenance du pays à l’histoire mondiale, qu’il s’agisse de ses matières premières, des enjeux de la guerre froide ou de ses rapports avec l’ONU. La troisième est du côté de l’humain pour un écrivain totalement inscrit dans la tradition humaniste.
Bientôt, cette somme va parvenir aux Congolais qui lui ont ouvert leur mémoire, leur souffrance, leur générosité et leur courage.
Grâce aux sommes gagnées par les prix qui ont couronné son livre, David Van Reybrouck va financer une édition à bas prix en RDC. Entretemps, les lecteurs auront pris la vraie mesure d’un immense pays qui reste d’une complexité extrême, mais désormais éclairé d’une lucidité pas seulement aveuglante.
Valérie Marin La Meslée
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire