17/10/2012
La veuve Chebeya, née Annie Mangbenga Nzinga.
Image documentaire.
Dans une lettre datée du 7 octobre 2012, postée depuis Ottawa, au Canada, la veuve Chebeya, née Annie Mangbenga Nzinga, demande au chef d’Etat français de peser de tout son poids auprès de «Joseph Kabila» afin que «justice soit faite» dans le dossier judiciaire relatif au double assassinat du regretté directeur exécutif de l’association de défense des droits humains « La Voix des Sans Voix » (VSV), Floribert Chebeya Bahizire, et de son collaborateur Fidèle Bazana Edadi. Elle fustige par ailleurs le mutisme de la Cour militaire à la plainte qu’elle a déposée contre le «général» John Numbi Banza Tambo, l’ancien patron de la police nationale congolaise qui est le suspect numéro un dans cette affaire.
Dans sa correspondance, la veuve Chebeya rappelle en liminaire le rendez-vous fatidique donné à son époux ce 1er juin 2010 à 17h30, au siège de la police national, par l’Inspecteur général John Numbi Banza. «Il (Floribert, Ndlr) s’y était rendu à l’invitation du général John Numbi Banza Tambo (…)». Le corps sans vie de Chebeya sera retrouvé le lendemain au Quartier Mitendi sur la route de Matadi. Son chauffeur et collaborateur, Fidèle Bazana Edadi, n’a plus jamais été revu.
«Ma famille, orpheline, à laquelle se joint celle de Fidèle Bazana (…) vous adresse la présente lettre en vue de solliciter votre intervention personnelle auprès de vos interlocuteurs à Kinshasa afin de peser de tout votre poids auprès des autorités pour que justice soit faite dans cet odieux double assassinat», note-t-elle. Plus concrètement, «Mama Annie» prie François Hollande d’inviter « Joseph Kabila » à «contribuer à l’éclatement de la vérité» en laissant la justice poursuivre en toute indépendance les «véritables commanditaires» de la mort de son mari et de «mon frère» Fidèle Bazana Edadi. «A défaut, prévient-t-elle, en voulant à tout prix protéger son collaborateur John Numbi à travers une parodie de procès (…), l’histoire retiendra pour l’éternité sa responsabilité personnelle dans l’assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana».
Dans sa missive, Annie Mangbenga Nzinga dénonce le « refus » de la Cour militaire d’examiner la plainte qu’elle a introduite contre John Numbi. «Cette juridiction, conclut-elle, a aussi, systématiquement et sans motivation aucune, refusé de prendre en compte différents éléments d’enquête et des témoignages avérés susceptibles de démontrer l’implication de ce Général» dans ce double homicide.
Double crime d’Etat
Ceux qui ont eu l’opportunité de visionner le film-documentaire de Thierry Michel «Affaire Chebeya, crime d’Etat ?» ont eu à constater la «ligne de défense» adoptée par les accusés se résumant en ces quelques mots : «Nous n’avons jamais vu Floribert Chebeya encore moins Fidèle Bazana au siège de la police nationale ce 1er juin 2010». Un mensonge cousu de fil blanc.
Le colonel Daniel Mukalay, bras droit de John Numbi et chef de la DRGS (direction des renseignements et services généraux de la police nationale) a reconnu avoir fait parvenir à Chebeya un message en date du 31 mai 2010 lui confirmant que l’inspecteur général Numbi allait le recevoir le 1er juin 2010 à 17h30. Un message écrit a été porté au siège de la « VSV » par le policier Michel Mwila. Un témoin à charge inattendu, en la personne du Camerounais Gomer Martel, assure avoir vu Chebeya ce jour au siège de la police. Lors de la reconstitution de la scène, le colonel Mukalay de lancer à l’endroit du Camerounais : «L’homme que vous voyez ici est un grand délinquant !». Autre détail. Mukalay dira avoir fixé rendez-vous à Chebeya après concertation avec le responsable du protocole, la colonelle Alaine Ilunga, afin de connaître «l’emploi du temps du chef ». « Faux », rétorquait vivement Alaine Ilunga. Etrangement, la défense a constaté que quelques pages manquent dans le registre des visiteurs tenu au service du protocole pour la journée du 1er juin 2010. Coïncidence ?
Entendu en qualité de "renseignant" lors du procès, John Numbi prétend qu’il ignore la raison pour laquelle Chebeya voulait le voir. Alors même que ce dernier lui avait écrit en date du 10 février 2010. Il sollicitait son intervention afin d’obtenir «l’humanisation des conditions carcérales dans les cachots de la police». Chebeya avait demandé également une audience auprès du patron de la police. La réponse a été adressée à la VSV en date... du 31 mai 2010.
Dans le documentaire réalisé par Thierry Michel, les spectateurs n’ont pas manqué de noter le «trouble» affiché par Numbi. C’était lorsque le juge-président lui a demandé s’il était au courant d’un rapport que Chebeya se proposait de transmettre à la CPI (Cour pénale internationale) au sujet du massacre des adeptes du mouvement religieux Bundu dia Kongo. «Pas du tout !», protestait un John Numbi apparemment déstabilisé. Le magistrat militaire avait sans doute mis le doigt là ça faisait mal.
Paul Mwilambwe et Jacques Mugabo alias Amisi Mugango
Dans la récente interview accordée à Radio France Internationale, l’inspecteur de police Paul Mwilambwe, en fuite, confirme la présence de Chebeya et Bazana au siège de la police nationale ce 1er juin 2010. Le fugitif va plus loin en clamant, citant le major Christian Ngoy, que l’ordre d’exécuter Chebeya a été donné à John Numbi par le président de la République. Il n’y en a pas deux. « J’ai appelé le major Christian, confie-t-il à RFI. Je lui ai posé la question : « Qui a reçu l’ordre du président de la République ? Par téléphone ou par quoi précisément ? ». Il m’a dit : « Non, j’ai reçu l’ordre du président de la République par le canal du général Numbi ». Mwilambwe est formel : « C’est le général Numbi qui a intimé l’ordre au major Christian. Et lorsqu’il a donné cet ordre, il a dit au major Christian que cet ordre vient du président de la République. Ça c’est le major Christian qui me le rapporte. D’abord l’ordre est venu : toute personne qui accompagnerait Chebeya, que ça soit son fils, que ça soit son collègue, que ça soit son épouse, doivent subir le même sort que Chebeya. Et il m’a dit : « Voyez dans la voiture. Son chauffeur, on l’a déjà exécuté ». J’ai regardé la voiture et j’ai vu un corps sans vie. Et lorsque je parle avec le major Christian, les policiers sont en train de continuer à étouffer Chebeya».
Les propos tenus par Paul Mwilambwe confirment, à quelques virgules près, le témoignage fait à l’auteur de ces lignes par le sous-commissaire Jacques Mugabo, alias "Amisi Mugangu", alias "Mike Kilo". Bras droit et chauffeur de Daniel Mukalay, ce policier, disparu le 26 novembre 2010 à Kampala, était tout aussi formel : «Floribert Chebeya devait être exécuté le 23 mai 2010. Nous étions en embuscade aux environs de son domicile. Nos informateurs s’étaient trompés. La «cible» était rentrée plus tôt que prévu à son domicile. L’ordre final d’exécuter Chebeya a été donné au colonel Daniel Mukalay par le général John Numbi instruit par la «haute hiérarchie». C’était le lundi 31 mai à 10h00. Chebeya a été exécuté par étouffement. Après cela, nous nous sommes «occupés» de son chauffeur. Le corps du chauffeur a été immergé dans le fleuve aux environs de Kinsuka.» S’agissant du mobile, le flic a eu ces mots : «Chebeya dérangeait le pouvoir de notre Président. Il donnait une mauvaise image du régime à travers des rapports sur la situation des droits de l’homme.»
Pressions internationales
Après avoir fait des aveux le 4 juin 2010 devant des «enquêteurs» du Conseil national de sécurité (CNS), Mugabo trouve refuge en Ouganda plus particulièrement à Iganga, près de la frontière avec le Kenya. A partir de l’Ouganda, il contacte des diplomates en poste à Kinshasa. «J’ai participé à l’exécution de Chebeya et de son chauffeur, dit-il. Je suis prêt à témoigner à condition que ma sécurité soit garantie». Jacques Mugabo a quitté Kinshasa aux alentours du 5 juin 2010. Selon lui, il a été assisté par John Numbi non seulement pour obtenir un «vrai-faux» passeport de service sous le nom d’Amisi Mugangu mais aussi un petit pécule pour les frais de voyage. Numbi lui aurait remis une somme de mille dollars laquelle lui a permis de prendre un vol d’Ethiopian Airways à Brazzaville. Destination : Kampala. Le policier se disait traqué notamment par des sbires du CNS dirigé par Pierre Lumbi Okongo. «S’ils m’attrapent, je suis un homme mort», se lamentait-il. En Ouganda, il redoutait de se retrouver sur le même trottoir avec ses poursuivants. Il cite des noms : Elie Lungumbu, agent de l’ANR proche de Zoé Kabila, et Marcel Mbangu, colonel de la police et deuxième conseiller à l’ambassade de la RD Congo à Kampala. «Marcel Mbangu est un spécialiste en rapt», disait-il.
Au fil des conversations, Jacques Mugabo fera allusion aux contacts qu’il continuait à entretenir avec «son chef» le major Christian Ngoy, le fameux commandant en cavale du très redouté bataillon Simba. Le jour de sa «disparition», Mugabo se proposait de quitter Kampala pour rejoindre Ngoy à un endroit tenu secret. A-t-il été exécuté pour avoir "trop bavardé » ? La dernière fois qu’il a été vu en vie, il prenait place à bord d’un véhicule de l’ambassade congolaise en Ouganda…C’est un précieux témoin à charge qui a disparu. Il est tombé dans un traquenard. Un traquenard tendu par qui ?
Il ne fait plus l’ombre d’un doute que l’ordre d’exécuter Floribert Chebeya Bahizire émanait d’une «autorité supérieure». En éliminant le chauffeur Fidèle Bazana, le «cerveau» de ce double assassinat escomptait commettre un «crime parfait». Un crime sans témoin ni traces. Erreur. Tous les yeux sont désormais braqués sur John Numbi Banza Tambo et "Joseph Kabila". Le premier sert manifestement de «coupe-feu» voire de «fusible» au second.
Inféodée au pouvoir politique, la justice congolaise n’inspire aucune confiance aux citoyens. Elle incapable de faire éclater la vérité sur les circonstances exactes de ce double homicide. Seules, les pressions internationales pourraient mettre fin au «cirque judiciaire» qui se déroule à la Cour militaire de Kinshasa-Gombe. La veuve Chebeya a vu juste en s’adressant à un dirigeant occidental.
Baudouin Amba Wetshi
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