Le carnet de Colette Braeckman
02/05/2013
L’histoire qui sera soumise cette semaine à la 49ème chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles réunit tous les ingrédients d’un bon polar : des accusations de blanchiment d’argent portant sur un montant de 80 millions de dollars, une tentative d’enlèvement d’un homme d’affaires congolais en plein Bruxelles, des rumeurs d’empoisonnement d’Etienne Davignon, des achats d’armes en Tchéquie et en Ukraine.
Mais en filigrane de cette affaire rocambolesque, il y a aussi le contexte dramatique d’un Congo en guerre, déchiré par des rébellions soutenues par les pays voisins, dont le chef de l’Etat a été assassiné en janvier 2001, un pays qui essaie de se défendre, alors qu’à l’inverse de ses agresseurs, il est frappé d’un embargo sur les armes décrété par les Nations unies…
A l’époque, le régime congolais, quasi exsangue, ne peut plus compter que sur une seule source de revenus, le diamant du Kasaï, exploité par une société d’Etat, la Miba (Minière de Bakwanga) dont à l’époque la société belge Sibeka, présidée par le vicomte Davignon, est actionnaire à hauteur de 20%. Le président de la Miba est alors Jean-Charles Okoto. Nommé par le président Laurent-Désiré Kabila, comment aurait-il pu refuser des crédits qui, après avoir transité par la Banque Centrale du Congo, seront affectés, à hauteur de 20 millions de dollars, à l’ « effort de guerre » et autres « dépenses de souveraineté » dont de vraisemblables « coulages ». C’est en 2003 qu’à Bruxelles, la CETIF, cellule de traitement des informations financières, s’inquiète de certaines transactions sur des comptes de la Belgolaise, dont a hérité le groupe Fortis qui a succédé à la Société générale.
Le juge d’instruction Michel Claise, spécialiste des questions de blanchiment, se saisit alors de l’affaire et, au delà du contexte géopolitique, conclut que la société Miba a subi un préjudice de 80 millions de dollars. Cette somme serait passée par les comptes de la Banque centrale du Congo, dirigée par le Katangais Jean-Claude Masangu, toujours en poste et appartenant lui aussi au premier cercle du régime. La BCC ayant des comptes à la Belgolaise, cette société est accusée d’avoir permis, entre autres, que des armes soient achetées avec le produit de la vente des diamants de la Miba. Le président et quatre hauts cadres de la Belgolaise à Kinshasa, inculpés, avaient cependant été blanchis tant par la Chambre du Conseil que par la Chambre des mise sen accusation.
Reste le dossier de Jean-Charles Okoto : s’il ne sera pas présent au procès, l’ancien PDG de la MIBA qui deviendra par la suite ambassadeur en Ouganda est cependant venu à Bruxelles où il a répondu aux questions des juges. Il a expliqué que les « dépenses de souveraineté » concernaient en réalité des frais engagés à l’occasion de la visite au Congo du Ministre des Affaires étrangères Louis Michel (voitures, escortes etc…) ainsi que des parachutes destinés à larguer du matériel dans des régions rendues inaccessibles par la guerre. Au cours du procès ouvert à Bruxelles, il sera aussi question de tentatives d’intimidations et de brutalités à l’encontre de Lambert Kalala. Numéro deux de la Miba à Bruxelles, il fut enlevé par des inconnus, jeté dans le coffre d’une voiture, délesté de son portable et de son portefeuille. Identifiés des mois plus tard, les agresseurs désigneront M. Okoto comme le commanditaire d’une opération destinée à effrayer un homme soupçonné d’être un « indic » au sein de la société. Dans le procès actuel, M. Kandala s’est constitué partie civile. Les juges examineront aussi un rapport de la Sûreté de l’Etat selon lequel le vicomte Davignon, qui présidait alors la société Sibeka, avait fait l’objet de projets d’enlèvement ou d’empoisonnement.
A noter que cette affaire a déjà fait une victime certaine : soucieuse, à cette époque, de préserver son image, la banque Fortis n’hésita pas à abandonner la Belgolaise, privant le monde bancaire belge du savoir faire d’une institution créée du temps de Léopold II…
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