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mercredi 20 novembre 2013

« Il n’y a plus ni Hutus ni Tutsis au Rwanda»

Lu pour vous sur  Le Magazine de la DDC sur le Développement et la Coopération
n° 3/septembre 2013
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L’écriture est d’abord un devoir de mémoire pour la Rwandaise ScholastiqueMukasonga. Ses livres racontent la montée inexorable de la haine raciale et les massacres successifs, signes avant-coureurs du génocide de 1994. Cette écrivaine en exil, lauréate du prix Renaudot 2012, se dit pourtant persuadée que la réconciliation est possible. Entretien avec Jane-Lise Schneeberger.

Site mémorial de Murambi -
entre 15 et 50000 Tutsis ont été massacrés
dans cette ville en 1994
Un seul monde : C’est en 2006 que vous avez publié votre premier livre Inyenzi ou lesCafards, un récit autobiographique qui illustre la vie des Tutsis au Rwanda. Qu’est-ce qui vous a amenée à prendre la plume à 50 ans ? 

Scholastique Mukasonga : En réalité, le manuscrit existait depuis dix ans. J’ai commencé à écrire juste après le génocide d’avril 1994, dans le but de conserver la mémoire de ma famille. C’est la mission que mes parents m’avaient confiée 21 ans plus tôt, en 1973, lorsqu’une nouvelle vague de violence déferlait sur les Tutsis. Comme j’avais eu la chance d’accéder à l’enseignement secondaire et d’apprendre le français, ils ont décidé que je devrais vivre, afin de témoigner. Ils m’ont fait sortir du Rwanda en me disant : «Tu seras notre mémoire quand l’extermination arrivera. Grâce à toi, nous avons une chance de ne pas disparaître comme des cafards. » Ce terme péjoratif était utilisé pour désigner les Tutsis.


Vos parents redoutaient déjà des actes d’extermination?
À partir d’avril 1973, ils savaient que, tôt ou tard, leur tour viendrait et ils s’étaient résignés à mourir. Comme beaucoup de Tutsis, ils pressentaient le génocide. Nous étions habitués à la violence et à la haine. Des massacres avaient déjà eu lieu en 1959, en 1963 et en 1967. C’était à chaque fois un minigénocide. Les miliciens hutus tuaient les Tutsis avec des massues hérissées de clous, puis les jetaient à la rivière. Petite fille, j’ai été profondément marquée par la vision de ces corps que des torrents d’eau charriaient vers le lac. Ce qui s’est passé en 1994 n’a été qu’une répétition à grande échelle des tueries qui ont ensanglanté le pays pendant 35 ans.

Vous viviez déjà en France quand le génocide a eu lieu. Quel a été le sort de votre famille ? 
J’ai perdu mes parents, mes cinq frères et soeurs restés au pays, ainsi que la plupart de mes neveux et nièces. Après de longues recherches, nous avons localisé trois fillettes qui avaient miraculeusement échappé à la mort. Au total, 37 membres de ma famille ont été massacrés. Comme tant d’autres victimes, ils n’ont eu droit à aucune sépulture. Je me suis mise à écrire pour les sortir du charnier et recouvrir leurs corps d’un linceul de papier.

Après trois livres centrés principalement sur votre vécu personnel, vous avez opté pour la fiction. Votre roman Notre-Dame du Nil a pour cadre un pensionnat de jeunes filles, où se reflètent les haines raciales qui déchirent la société rwandaise. N’y a-t-il pas aussi une part autobiographique dans ce livre ?
Un écrivain part toujours de ses propres expériences. Les personnages de mon roman sont fictifs, mais je me suis identifiée d’une certaine manière à celui de Virginia, l’une des deux élèves tutsies. 
Comme elle, j’ai bénéficié du «quota ethnique » qui autorisait 10% de Tutsis dans les lycées. Et ce n’est pas par hasard si j’ai situé l’action au début des années 70, époque où j’étais moi-même lycéenne. On sentait alors monter inexorablement la haine raciale et la volonté d’exterminer les Tutsis, ce que j’ai restitué dans le livre. 
Cela dit, le recours à la fiction m’a permis de prendre une certaine distance par rapport à mon vécu. Je voulais comprendre les causes profondes du génocide et montrer comment nous en étions arrivés là. Ce roman m’a amenée à la conclusion que nous avons tous été manipulés, tant les victimes que les bourreaux.

En quoi consistait cette manipulation?
Les colonisateurs belges ont fabriqué de toutes pièces des catégories ethniques, allant jusqu’à définir une différence physique entre Hutus et Tutsis. Sur cette base, ils ont introduit en 1931 une carte d’identité mentionnant l’appartenance ethnique. 
Or, les ethnies n’existent pas au Rwanda. Aucun critère physique ne permet de distinguer un Hutu d’un Tutsi. Tout le monde parle la même langue, le kinyarwanda. Il n’y a pas de régions occupées par un groupe plutôt que l’autre. 
La première mesure que le gouvernement a prise au lendemain du génocide a été d’éradiquer cette maudite carte d’identité ethnique. Aujourd’hui, il n’y a plus ni Hutus ni Tutsis au Rwanda. C’est ce qui fait notre force. 

Croyez-vous qu’une paix durable puisse s’instaurer dans votre pays ?
Je suis profondément convaincue que nous allons vers la réconciliation. Nous nous donnons les moyens de dépasser cette haine qui nous a détruits. Les nouvelles autorités ont la responsabilité de restaurer l’unité nationale et de créer un pays où tout le monde aura sa place. On voit déjà les premiers résultats de cette politique. Aujourd’hui, le Rwanda est en plein essor. C’est une nation qui travaille et qui est tournée vers le développement. 

Qu’attendez-vous de la communauté internationale ?
Nous avons besoin de son appui sur le plan judiciaire. Le Tribunal international d’Arusha a fermé ses portes. Au Rwanda, la juridiction traditionnelle des gacaca a fait tout son possible pour juger les coupables. Malheureusement, la majorité des responsables du génocide se cachent encore dans les pays occidentaux. Ce sont eux qui ont incité les Hutus à prendre des machettes pour aller tuer leurs voisins, leurs amis. Ils doivent répondre de leurs actes. 
Nous demandons aux pays occidentaux de les arrêter et de les poursuivre en justice. Les génocidaires ne peuvent pas continuer de vivre en toute impunité.

Scholastique Mukasonga est née en 1956 dans la préfecture de Gikongoro, au Rwanda. 
En 1960, sa famille faisait partie des Tutsis déportés à Nyamata, une région inhabitée et insalubre. 
La jeune fille a étudié dans un lycée de Kigali, avant de fuir son pays à l’âge de 17 ans. 
Réfugiée au Burundi, elle y rencontre son futur mari, un ethnologue français. 
Depuis 1992, Scholastique Mukasonga vit en Normandie, où elle travaille comme assistante sociale. Elle a publié deux récits autobiographiques, Inyenzi ou lesCafards (2006) et La femme aux pieds nus (2008), puis un recueil de nouvelles, intitulé L’Iguifou (2010). 
Son premier roman Notre-Dame du Nil, paru en 2012, a remporté plusieurs prix littéraires, dont le Renaudot.

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