02.10.2013
Par Cyril Bensimon (Bossangoa, envoyé spécial)
La mission catholique à Bangui accueille près de 25 000 personnes venues se réfugier
après les attaques des anciens rebelles de la Séléka et les ripostes des antibalaka (anti-Séléka).
Michael Zumstein/vu pour "Le Monde"
A Bossangoa et dans un large cercle de villages environnants, plus personne ou presque ne dort chez soi. Toutes les maisons sont vidées de leurs habitants. Les bâtiments de l'église ne sont plus consacrés à la prière et l'école Liberté n'est plus un site d'apprentissage. Chacun a été transformé en camp de déplacés. Sur la route principale de cette ville entourée de forêts et de villages déserts, les portes de la petite boutique "Pacifique la paix" sont fermées pour une durée indéterminée.
Bossangoa, à 305 km au nord de Bangui, la capitale de la République centrafricaine (RCA), est aujourd'hui l'épicentre des tensions entre la majorité chrétienne et la minorité musulmane. Une ligne de démarcation invisible sépare les deux communautés et le risque d'escalade est réel. Le sang a coulé de part et d'autre, les populations ne se parlent plus, ne se fréquentent plus et s'accusent de tous les maux.
"Tout est bouleversé à cause de ces problèmes d'incompréhension. Désormais, on vit comme des chiens de faïence", dit Mathurin, à peine sorti de la forêt où il survit avec les siens dans le dénuement le plus total. A la cathédrale Saint-Antoine-de-Padoue et dans les bâtiments attenants, l'abbé Frédéric Tonfio se débat pour porter assistance à 36 000 chrétiens (25 000 selon des sources humanitaires) venus trouver refuge. "Le choléra menace. Je dors avec des enfants dans mon lit, les mamans à côté", confie le vicaire général de la cathédrale.
"LES MUSULMANS SONT TOUS COMPLICES DE LA SÉLÉKA"
Pour cet homme de Dieu en soutane crème, le responsable de cette situation est la Séléka (l'"alliance" en sango, la langue nationale) : ce mouvement rebelle majoritairement composé de musulmans a renversé le 24 mars le président François Bozizé, et, depuis, a été dissoute par le nouveau président Michel Djotodia. "Quand il y a des problèmes, je vais voir le commandant de zone, le colonel Saleh, mais il ne me dit pas la vérité. Il promet de régler les situations, mais à chaque fois, les exactions se poursuivent. La nuit, ils commettent des crimes et coupent les réseaux téléphoniques pour que l'on ne puisse pas prévenir Bangui. Pour eux, tous lesgens de la région sont des fanatiques de l'ancien président Bozizé, car c'est sa région d'origine."
Bossangoa est située à 305 km au nord de Bangui
Infographie Le Monde
En poursuivant la discussion, on prend la mesure du fossé qui s'agrandit entre les deux communautés. "Depuis le début de la crise, vous ne verrez jamais un crime commis par un chrétien. La cohabitation est maintenant difficile car les chrétiens se sentent trahis par leurs frères musulmans, qui sont tous armés. Moi, je dis la vérité à l'imam, mais lui n'est pas sincère", avance l'abbé, sous le portrait de Benoît XVI.
A l'extérieur, les récits des fidèles assis sur le sol boueux, exposés aux pluies incessantes et qui ont subi de plein fouet la violence, sont encore moins policés. "Ce sont des gens mal créés. Nous ne pouvons plus collaborer ensemble. Les musulmans sont tous complices de la Séléka", déclare Julienne, une cultivatrice dont le beau-frère a été tué cinq jours plus tôt alors qu'il se rendait aux champs.
UN BILAN DES VICTIMES DIFFICILE À CHIFFRER
Depuis que les violences ont éclaté dans les villages environnants, samedi 7 septembre, les chrétiens ont subi leur lot de crimes (au moins 61 victimes, selon un responsable de l'Eglise à Bossangoa), les musulmans aussi. Le porte-parole de la présidence, Guy-Simplice Kodégué, évoque un bilan d'environ 100 morts, le secrétaire général de la communauté islamique parle de 369 tués parmi ses coreligionnaires, alors que l'imam de la mosquée centrale de Bossangoa avance le chiffre de 630 victimes musulmanes. Qui dit vrai ? Impossible à savoir.
Voyage au cœur du chaos centrafricain (photos de Centre Afrique)
Réfugié à l'école Liberté avec sa mère et sa petite sœur, Mohammed Ibrahim, un éleveur peul de 17 ans, raconte les yeux pleins de tristesse que dans son village, à 45 km de là, des jeunes du cru regroupés en antibalaka (des milices d'autodéfense) ont attaqué deux semaines plus tôt tous les musulmans sans faire de distinction. Son père et son frère ont été assassinés. Les membres de l'ex-Séléka l'ont récupéré sur la route.
Le récit d'Hissène Abdoulaye est plus circonstancié. Ce responsable de la communauté islamique de Korom-Poko, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Bossangoa, relate que, le mercredi 11 septembre, à 13 h 10, des assaillants aidés par le maire et des villageois ont tué 11 personnes, pillé les biens et incendié 97 maisons. A ce jour, dit-il, 17 des siens sont toujours portés disparus.
DES COMMUNAUTÉS SOURDES AUX MALHEURS DES AUTRES
Zaccaria Makaïl, l'imam de Zéré, une bourgade plus à l'ouest, assure, lui, que 57 musulmans dont le chef de la communauté et son fils de 8 ans ont été froidement assassinés par leurs voisins. Mais ce chef religieux refuse de parler de guerre interconfessionnelle, comme d'admettre que des musulmans aient pu commettre le moindre crime. Son alter ego de la mosquée de Bossangoa, l'imam Ismaël Naffi, tient le même langage et paraît insensible aux souffrances des chrétiens victimes des méfaits de l'ex-Séléka, qui a désormais tout pouvoir en ville. "Il y a beaucoup d'antibalaka qui sont réfugiés avec leur famille à l'église. S'ils trouvent un musulman à part, ils le tuent. Maintenant, ils doivent rentrer chez eux, car s'ils restent là-bas, cela veut dire quelque chose." Quel est ce quelque chose ? Cette question, l'imam préfère l'éluder.
Aujourd'hui, les communautés sont sourdes aux malheurs des autres et muettes sur les dérives des leurs. Le seul lieu où l'on se côtoie physiquement est l'hôpital central, géré par Médecins sans frontières (MSF). Gertrude, 16 ans, dort profondément. Sa mère, Fidéline, venue veiller à son chevet, lève le drap pour montrer un grand pansement collé sur l'abdomen de l'adolescente.
"Nous étions chez nous, dans le quartier Borro, lorsque mardi 17 septembre, vers 4 heures du matin, j'ai entendu des tirs. Après, les musulmans sont venus cogner aux portes pour attaquer les civils. Il y avait des Peul avec des machettes et des membres de la Séléka avec des fusils. Ils nous ont accusés d'être des membres des groupes d'autodéfense. Mon garçon Ulrich, qui avait 15 ans, a été tué, et ma fille blessée." Sur le matelas voisin, Amadou Bouba, un conducteur de moto-taxi musulman qui assure n'avoir jamais fait de politique, tente de se remettre après avoir reçu deux balles des milices d'autodéfense.
En République centrafricaine, les tensions communautaires ne sont pas apparues ces dernières semaines, mais l'offensive de la Séléka lancée en décembre 2012 est venue exacerber les vieilles rivalités commerciales et les conflits séculaires entre éleveurs musulmans et agriculteurs chrétiens. Aux abois, le régime de l'ancien président François Bozizé n'a pas hésité à jeter de l'huile sur le feu en appelant à la résistance populaire contre des assaillants présentés comme des hordes djihadistes, des terroristes d'Al-Qaida.
"NOUS SOMMES TRAITÉS COMME DES ÉTRANGERS"
Après sa prise de pouvoir par les armes le 24 mars, Michel Djotodia, le premier président musulman de l'histoire de ce pays, a multiplié les déclarations de bonnes intentions et les gestes d'apaisement. Il s'est rendu à plusieurs reprises à l'église, a démenti toute volonté d'islamiser le pays et a promis de préserver le caractère laïque de la RCA, mais les agissements de ses troupes sur le terrain ont sérieusement contribué à fissurer la confiance entre communautés.
Au cours de leur descente sur Bangui, les combattants de la Séléka ont pillé des églises et agressé des prêtres tout en épargnant les mosquées et les commerçants musulmans. Ces exactions relevaient plus de la rapine que de la volonté de se venger d'années de marginalisation, mais l'impact a été terrible. "Nous sommes aujourd'hui traités comme des étrangers dans notre pays", proclament de nombreux Centrafricains qui se disent sous la coupe de mercenaires venus du Tchad et du Soudan. Selon plusieurs sources diplomatiques, près de 80 % des combattants de la Séléka sont originaires de ces deux voisins du nord. Des miliciens antibalaka opposés aux soldats de l'ex-Séléka posent avec leurs armes dans la rue principale de la ville de Njdoh, à une centaine de kilomètres au sud de Bossangoa.
L'explosion de violences dans la zone de Bossangoa était prévisible. Dans cette région, François Bozizé, qui ne faisait qu'une confiance très relative à ses soldats par peur qu'ils le renversent, a aidé les villageois à se constituer en milices d'autodéfense. Les exactions répétées de la Séléka ont fait le reste. Les antibalaka se sont réactivés et cernent désormais toute la ville de Bossangoa. Leur première attaque est signalée le samedi 7 septembre sur le village de Zéré. Armés de fusils de brousse, de machettes et de couteaux, ils ciblent non pas les combattants de l'ex-Séléka, mais les civils musulmans. Le scénario se répète dans plusieurs localités.
A Bouca, le lundi 9 septembre à l'aube, les miliciens, selon un témoin digne de foi, ont massacré en moins d'une heure plus de 40 musulmans, incendiant plus de 250 maisons. Les représailles de l'ex-Séléka, aidée par des jeunes de la ville, sont sans merci. Une trentaine de chrétiens sont assassinés et 300 maisons brûlées. Une semaine plus tard, le mardi 17 septembre, les attaques prennent une autre ampleur.
"NOUS SOMMES LÀ POUR PROTÉGER LE PEUPLE"
Bien coordonnés, appuyés selon plusieurs sources par des soldats, les miliciens lancent un assaut sur Bossangoa. Attaquant sur plusieurs axes, équipés d'armes de guerre, ils tiennent tête pendant toute la journée aux nouveaux maîtres de la ville. Le colonel Saleh Zabadi, le commandant de la zone, reconnaît avoir perdu 46 de ses hommes dans ses tentatives de contre-offensive. Depuis, ce petit homme au teint clair et au visage effilé a reçu des renforts de Bangui, et il dément que ses soldats aient pu commettre le moindre crime. "Tout ce que les gens disent sur la Séléka, c'est du mensonge. Nous sommes là pour protéger le peuple, pas pour le détruire. Ceux qui ont lancé les attaques voulaient créer une rébellion, mais comme ça ne prenait pas ils ont mené des attaques tribales", affirme le général Yaya Issa, venu de Bangui pour renforcer les effectifs de l'ex-rébellion, devenue de facto la nouvelle armée régulière.
Plusieurs observateurs considèrent que les assaillants s'en sont pris délibérément aux civils musulmans pour provoquer une réaction et jeter le pays dans une spirale de vendettas aux terribles conséquences. "Sur une population de 150 000 personnes dans la sous-préfecture de l'Ouham, il y a 150 000 déplacés. La région n'est plus approvisionnée, les centres de santé sont fermés et les villageois sont réfugiés en brousse sans nourriture, à la merci de la malnutrition, du paludisme et de la rougeole", s'inquiète Tim Tranter, responsable de MSF à Bossangoa.
Voyage au cœur du chaos centrafricain (photos de Centre Afrique)
Réfugié à l'école Liberté avec sa mère et sa petite sœur, Mohammed Ibrahim, un éleveur peul de 17 ans, raconte les yeux pleins de tristesse que dans son village, à 45 km de là, des jeunes du cru regroupés en antibalaka (des milices d'autodéfense) ont attaqué deux semaines plus tôt tous les musulmans sans faire de distinction. Son père et son frère ont été assassinés. Les membres de l'ex-Séléka l'ont récupéré sur la route.
Le récit d'Hissène Abdoulaye est plus circonstancié. Ce responsable de la communauté islamique de Korom-Poko, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Bossangoa, relate que, le mercredi 11 septembre, à 13 h 10, des assaillants aidés par le maire et des villageois ont tué 11 personnes, pillé les biens et incendié 97 maisons. A ce jour, dit-il, 17 des siens sont toujours portés disparus.
DES COMMUNAUTÉS SOURDES AUX MALHEURS DES AUTRES
Zaccaria Makaïl, l'imam de Zéré, une bourgade plus à l'ouest, assure, lui, que 57 musulmans dont le chef de la communauté et son fils de 8 ans ont été froidement assassinés par leurs voisins. Mais ce chef religieux refuse de parler de guerre interconfessionnelle, comme d'admettre que des musulmans aient pu commettre le moindre crime. Son alter ego de la mosquée de Bossangoa, l'imam Ismaël Naffi, tient le même langage et paraît insensible aux souffrances des chrétiens victimes des méfaits de l'ex-Séléka, qui a désormais tout pouvoir en ville. "Il y a beaucoup d'antibalaka qui sont réfugiés avec leur famille à l'église. S'ils trouvent un musulman à part, ils le tuent. Maintenant, ils doivent rentrer chez eux, car s'ils restent là-bas, cela veut dire quelque chose." Quel est ce quelque chose ? Cette question, l'imam préfère l'éluder.
Un milicien de l'ex-Séléka, le 23 septembre.
Michael Zumstein/Agence Vu pour "Le Monde"
Aujourd'hui, les communautés sont sourdes aux malheurs des autres et muettes sur les dérives des leurs. Le seul lieu où l'on se côtoie physiquement est l'hôpital central, géré par Médecins sans frontières (MSF). Gertrude, 16 ans, dort profondément. Sa mère, Fidéline, venue veiller à son chevet, lève le drap pour montrer un grand pansement collé sur l'abdomen de l'adolescente.
"Nous étions chez nous, dans le quartier Borro, lorsque mardi 17 septembre, vers 4 heures du matin, j'ai entendu des tirs. Après, les musulmans sont venus cogner aux portes pour attaquer les civils. Il y avait des Peul avec des machettes et des membres de la Séléka avec des fusils. Ils nous ont accusés d'être des membres des groupes d'autodéfense. Mon garçon Ulrich, qui avait 15 ans, a été tué, et ma fille blessée." Sur le matelas voisin, Amadou Bouba, un conducteur de moto-taxi musulman qui assure n'avoir jamais fait de politique, tente de se remettre après avoir reçu deux balles des milices d'autodéfense.
En République centrafricaine, les tensions communautaires ne sont pas apparues ces dernières semaines, mais l'offensive de la Séléka lancée en décembre 2012 est venue exacerber les vieilles rivalités commerciales et les conflits séculaires entre éleveurs musulmans et agriculteurs chrétiens. Aux abois, le régime de l'ancien président François Bozizé n'a pas hésité à jeter de l'huile sur le feu en appelant à la résistance populaire contre des assaillants présentés comme des hordes djihadistes, des terroristes d'Al-Qaida.
"NOUS SOMMES TRAITÉS COMME DES ÉTRANGERS"
Après sa prise de pouvoir par les armes le 24 mars, Michel Djotodia, le premier président musulman de l'histoire de ce pays, a multiplié les déclarations de bonnes intentions et les gestes d'apaisement. Il s'est rendu à plusieurs reprises à l'église, a démenti toute volonté d'islamiser le pays et a promis de préserver le caractère laïque de la RCA, mais les agissements de ses troupes sur le terrain ont sérieusement contribué à fissurer la confiance entre communautés.
Au cours de leur descente sur Bangui, les combattants de la Séléka ont pillé des églises et agressé des prêtres tout en épargnant les mosquées et les commerçants musulmans. Ces exactions relevaient plus de la rapine que de la volonté de se venger d'années de marginalisation, mais l'impact a été terrible. "Nous sommes aujourd'hui traités comme des étrangers dans notre pays", proclament de nombreux Centrafricains qui se disent sous la coupe de mercenaires venus du Tchad et du Soudan. Selon plusieurs sources diplomatiques, près de 80 % des combattants de la Séléka sont originaires de ces deux voisins du nord. Des miliciens antibalaka opposés aux soldats de l'ex-Séléka posent avec leurs armes dans la rue principale de la ville de Njdoh, à une centaine de kilomètres au sud de Bossangoa.
Des miliciens antibalaka opposés aux soldats de l'ex-Séléka posent avec leurs armes
dans la rue principale de la ville de Njdoh, à une centaine de kilomètres au sud de Bossangoa.
MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR LE MONDE
L'explosion de violences dans la zone de Bossangoa était prévisible. Dans cette région, François Bozizé, qui ne faisait qu'une confiance très relative à ses soldats par peur qu'ils le renversent, a aidé les villageois à se constituer en milices d'autodéfense. Les exactions répétées de la Séléka ont fait le reste. Les antibalaka se sont réactivés et cernent désormais toute la ville de Bossangoa. Leur première attaque est signalée le samedi 7 septembre sur le village de Zéré. Armés de fusils de brousse, de machettes et de couteaux, ils ciblent non pas les combattants de l'ex-Séléka, mais les civils musulmans. Le scénario se répète dans plusieurs localités.
A Bouca, le lundi 9 septembre à l'aube, les miliciens, selon un témoin digne de foi, ont massacré en moins d'une heure plus de 40 musulmans, incendiant plus de 250 maisons. Les représailles de l'ex-Séléka, aidée par des jeunes de la ville, sont sans merci. Une trentaine de chrétiens sont assassinés et 300 maisons brûlées. Une semaine plus tard, le mardi 17 septembre, les attaques prennent une autre ampleur.
"NOUS SOMMES LÀ POUR PROTÉGER LE PEUPLE"
Bien coordonnés, appuyés selon plusieurs sources par des soldats, les miliciens lancent un assaut sur Bossangoa. Attaquant sur plusieurs axes, équipés d'armes de guerre, ils tiennent tête pendant toute la journée aux nouveaux maîtres de la ville. Le colonel Saleh Zabadi, le commandant de la zone, reconnaît avoir perdu 46 de ses hommes dans ses tentatives de contre-offensive. Depuis, ce petit homme au teint clair et au visage effilé a reçu des renforts de Bangui, et il dément que ses soldats aient pu commettre le moindre crime. "Tout ce que les gens disent sur la Séléka, c'est du mensonge. Nous sommes là pour protéger le peuple, pas pour le détruire. Ceux qui ont lancé les attaques voulaient créer une rébellion, mais comme ça ne prenait pas ils ont mené des attaques tribales", affirme le général Yaya Issa, venu de Bangui pour renforcer les effectifs de l'ex-rébellion, devenue de facto la nouvelle armée régulière.
Plusieurs observateurs considèrent que les assaillants s'en sont pris délibérément aux civils musulmans pour provoquer une réaction et jeter le pays dans une spirale de vendettas aux terribles conséquences. "Sur une population de 150 000 personnes dans la sous-préfecture de l'Ouham, il y a 150 000 déplacés. La région n'est plus approvisionnée, les centres de santé sont fermés et les villageois sont réfugiés en brousse sans nourriture, à la merci de la malnutrition, du paludisme et de la rougeole", s'inquiète Tim Tranter, responsable de MSF à Bossangoa.
Fadi Abdou (13 ans) et son petit frère Aboubacar, malade, patientent dans l'enceinte
de l'école Liberté de Bossangoa, où se sont réfugiés les habitants de confession musulmane.
MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR LE MONDE
Sur une centaine de kilomètres au sud de cette ville, tous les villages offrent le même visage de désolation. Abandonnés aux cochons, aux poules et aux chèvres. A Bandoro-Kota, les braises sont encore chaudes, une fine volute de fumée monte vers le ciel, le toit de paille de la maison de terre rougeâtre n'a pas encore achevé sa combustion. "Des malfaiteurs ont brûlé la nuit dernière 29 habitations dans notre village", lance Ferdinand, venu constater les dégâts. Qui sont ces malfaiteurs ? Ferdinand réserve sa réponse, mais pour les jeunes qui l'entourent cela ne fait aucun doute, ce sont des éleveurs peuls, "complices des ex-rebelles de la Séléka", qui ont mené la dernière attaque.
"A chaque fois qu'ils passent, ils lancent des roquettes, tirent avec leurs kalachs. Une balle est même arrivée dans l'assiette d'une femme réfugiée en brousse à deux kilomètres de là", affirme cet instituteur, machette en main. "S'ils reviennent, nous avons des garçons bien nourris pour nous défendre, mais malheureusement, ce sont les munitions qui nous font défaut", poursuit-il sous le regard approbateur de sa pauvre armée, équipée de quelques fusils de brousse, de couteaux, de gourdins et d'arcs.
"NOUS EN TUERONS D'AUTRES"
Ces miliciens, qui se disent invulnérables aux balles grâce à leurs protections mystiques, sont présents dans la quasi-totalité des villages de la zone. Des messagers circulent à travers la forêt pour coordonner les actions. Des sentinelles guettent les passages. Ndjoh, à une centaine de kilomètres au sud de Bossangoa, apparaît comme l'une de leurs principales bases. Leur chef, Benjamin, refuse l'étiquette de rebelle et dit combattre pour protéger les siens. "C'est une guerre contre les chrétiens. Ils ont tué nos mamans, nos enfants, alors que nous n'avons jamais attaqué les musulmans. On ne les déteste pas. On ne se bat pas pour Bozizé, mais nous voulons le changement. On déteste Djotodia", déclare froidement ce cultivateur qui revendique 2 885 antibalaka sous ses ordres. "2 886", rectifie l'un de ses "lieutenants".
Un habitant de Boy-Rabé, un quartier de Bangui, quitte sa maison par crainte
des pillages des rebelles de la Séléka, le 21 septembre.
MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR LE MONDE
A leurs côtés, Armel prétend avoir perdu ses deux enfants, son père et sa mère. Pour lui, ex-rebelles et commerçants musulmans ne font qu'un. "Il y a deux semaines, raconte-t-il, un camion escorté par des membres de la Séléka est venu chercher les musulmans de la ville. Deux jours plus tard, les commerçants sont revenus armés pour piller le marché. Il y a encore deux jours, ils sont venus pour nous menacer." Aujourd'hui, le petit marché est dévasté, les échoppes sont toutes vidées de leurs biens et l'emplacement réservé aux musulmans abandonné. Toute la population est réfugiée en brousse. Placide dit manquer d'adjectifs pour qualifier sa situation
A quelques kilomètres de là, Raphaël, un petit homme rond, ne souffre pas de la même pénurie. Son discours est sans concession. "Aujourd'hui, nous vivons comme des animaux dans la forêt, mais nous combattons pour notre indépendance. Nous avons chassé les musulmans, brûlé leurs maisons. Nous voulons qu'ils regagnent leur pays. Nous en avons tué et nous en tuerons d'autres car ils trahissent nos secrets." Dans une autre vie, Raphaël avait la charge de soigner des malades, quelle que soit leur confession.
Cyril Bensimon (Bossangoa, envoyé spécial)
Repères
Indépendance : le 13 août 1960.
Population : 4,6 millions d'habitants (début 2013).
Espérance de vie : 43 ans et 9 mois (179e pays au classement mondial).
Accroissement démographique : 1,5 % par an.
PIB : 2,2 milliards de dollars, soit 445 dollars par habitant.
Indice de développement humain (établi par le Programme des Nations unies pour le développement) : 180e pays sur 187 (classement de 2012).
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